Notre collaboratrice, Doris Facciolo, est allée à la rencontre d'Alan Spade, auteur talentueux et défenseur de l'autoédition.
YmaginèreS : Bonjour Alan ! Sur votre site web comme dans d’autres interviews, on peut lire de vous que vous avez suivi un parcours plutôt atypique. Vous avez passé plusieurs années en Afrique ; passionné de jeux vidéo, vous êtes ensuite devenu critique en ce domaine pour la presse écrite et enfin, vous vous êtes plongé dans l’écriture fictionnelle. Après plusieurs péripéties pour tenter de vous faire éditer, vous avez choisi la voie de l’autoédition. Quelle influence cela a-t-il pu avoir sur vos écrits ?
Alan Spade : Bonjour, Doris ! Je pourrais vous répondre que cela m'a responsabilisé, mais j'ai eu l'expérience d'être publié pour mon recueil de nouvelles de science-fiction Les Explorateurs chez un éditeur qui, à ses débuts, n'employait pas de correcteur professionnel, donc ce ne serait pas vrai. J'étais déjà habitué à rendre une copie la plus aboutie possible. Je crois qu'il n'y a pas de différence dans l'approche de l'écriture entre un auteur qui souhaite s'autoéditer et un autre qui cherche à se faire éditer, à condition que ce dernier n'ait pas écrit en fonction des goûts ou des besoins supposés d'un éditeur, ou n'ait pas simplement répondu à une commande. Les deux tendent vers la plus grande qualité possible. L'autoéditeur sait qu'il doit parvenir par ses propres moyens à une qualité optimale s'il veut que les lecteurs lui achètent son deuxième livre autoédité, et le candidat à l'édition doit non seulement montrer qu'il est un véritable pro de l'écriture, mais surtout susciter le coup de cœur du comité de lecture et du directeur de collection. Etant donné le nombre de manuscrits reçus, les éditeurs veulent désormais des "produits" quasiment finis - en règle générale, car on peut aussi se faire éditer par un ami, mais là, c'est différent.
Y : « Alan Spade » n’est pas votre véritable nom. Pour quelle raison avoir pris un pseudo ?
Alan Spade : Je l'ai choisi à l'époque où j'avais trouvé un éditeur pour Les Explorateurs. Il y a peut-être un moment dans la vie où l'on a besoin d'une nouvelle naissance, de se créer soi-même un tremplin vers de nouveaux horizons. Et surtout, il y avait mon expérience de lecteur : en me rendant dans mes rayons préférés, SF, Fantasy et Fantastique, les livres mis en avant étaient ceux d'Anglo-saxons en grande majorité. C'est un peu, si vous voulez, le réflexe du caméléon. Je me suis fondu dans la masse, non pas pour ne pas être remarqué, mais pour ne pas être ostracisé.
Y : Le monde de l’édition est généralement peu ou mal connu des lecteurs. Pouvez-vous expliquer en quelques lignes son fonctionnement et les différences majeures avec l’autoédition ?
Alan Spade : Un mot me semble résumer tout à fait le monde de l'édition : saturation. Saturation du nombre de manuscrits reçus par les éditeurs (surtout les grandes maisons, évidemment), saturation de livres dans les rayons durant la rentrée littéraire, mais aussi le restant de l'année. Selon le Centre national du livre (CNL), plus de 67 000 livres sont sortis en France en 2010. Cette saturation est voulue et orchestrée par les grands éditeurs. Il faut savoir qu'un tiers de ces ouvrages sont rédigés par des écrivains fantômes, ou nègres littéraires. Chacun d'entre eux peut écrire dix ou vingt livres par an, il ne faut donc pas s'attendre à une qualité optimale pour ces ouvrages ! Dans les littératures de l'imaginaire, la situation est un peu différente. L'éditeur en situation de quasi-monopole dans les rayons des libraires et grandes surfaces culturelles, Bragelonne et sa filiale Milady, s'est aperçu qu'il était coûteux et risqué de lancer des auteurs francophones inconnus. Ils préfèrent donc diminuer les coûts en profitant de l'aura d'auteurs anglo-saxons et choisissent le plus souvent de traduire. On est dans une logique purement économique. De manière générale, en faisant du livre une industrie, on a diminué la qualité. Mécaniquement, en diminuant la qualité, on incite un plus grand nombre de personnes à écrire. Les gens se disent - et moi le premier - "je peux faire aussi bien, voire mieux !" Et tout aussi mécaniquement, à force d'être refusés par les maisons d'édition, les auteurs, talentueux ou non, se tournent vers l'autoédition. Aux Etats-Unis, le système de l'édition traditionnelle a atteint ses limites. Les gens se rendent compte que la finalité première de l'éditeur, sortir des livres les plus réussis possible pour offrir la meilleure expérience de lecture, a été remplacée par une finalité de pouvoir et d'argent : les éditeurs continuent à vendre leurs ebooks trop cher pour privilégier les ventes des livres papier. Or, les ebooks - d'auteurs autoédités en majorité - se vendent à présent plus que les livres de poche outre-Atlantique ! Le public n'est pas aveugle. Et les auteurs non plus, d'ailleurs. On sait depuis longtemps que dans le système traditionnel, les auteurs ont toujours été une variable d'ajustement. Même des romanciers renommés comme Houellebecq touchent beaucoup moins sur leurs ventes que leurs éditeurs. Leur pourcentage de droits d'auteur étant plafonné quelles que soient les ventes, plus ils connaissent de succès, plus leur éditeur empoche la mise - les rentrées des auteurs augmentent avec le succès, mais en de bien moindres proportions. Aux Etats-Unis, cependant, ce système est en train d'être battu en brèche par l'essor de l'ebook et de l'autoédition. Bizarrement, les médias français n'en parlent guère...
Y : Les livres publiés en autoédition ont-ils autant de chances que les autres de paraître dans les rayons des grandes librairies ? Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées à ce sujet ?
Alan Spade : Je suis sûr que vous connaissez déjà la réponse à cette question... De nombreux mécanismes empêchent les livres publiés en autoédition de paraître dans les rayons des grandes librairies. Le manque de moyen pour couvrir les 7000 librairies et points de vente de France, bien sûr. Même pour les simples bases de données libraires, il faut par exemple verser 90 euros par an à Dilicom pour voir ses livres figurer dans Ediweb. Y figurer ne garantit en rien d'avoir des commandes de livres, je peux le certifier ! Le second système, Electre, très utilisé par les libraires, les bibliothèques et les médiathèques, exclut quant à lui d'emblée les autoéditeurs... Autre mécanisme, l'effet de masse : j'ai eu un "agitateur culturel" chez qui mes ouvrages ne sont restés que trois jours, car il a reçu une livraison massive de Bragelonne et de Milady. Ce n'est sans doute pas de la faute de ces éditeurs, bien sûr, c'est juste que le libraire a voulu trop bien faire, et ne pas se priver de ses clients les plus importants... Le système en place est très pernicieux, en fait : pour être pris au sérieux, il faut avoir un diffuseur, et pour que celui-ci vous prenne au sérieux, vous devez sortir des livres régulièrement. C'est un système productiviste où l'on doit inonder les rayons. Autre expérience édifiante : je n'ai jamais dédicacé au Grand cercle, la plus grande librairie du Val d'Oise, car le critère de sélection des auteurs en dédicace là-bas est que leur éditeur doit avoir un diffuseur ! Ce n'est évidemment pas mon cas, ce serait trop risqué financièrement pour moi. Ils ont trop de demandes de séances de dédicaces, et ont décidé de mettre en place ce critère de tri assez particulier.
Y : Vous semblez mener un grand combat pour faire décoller les ventes d’ebooks en Europe. Est-ce parce qu’ils sont plus rentables ou par affection pour ce format ?
Alan Spade : Je possède un lecteur d'ebooks, et je ne ressens pas plus de fatigue visuelle qu'avec un livre classique. Je me rends même compte que je lis davantage depuis que je me le suis fait offrir. Quand je demande à d'autres personnes de mon entourage qui en possèdent un si c'est le cas pour eux, ils me répondent par l'affirmative. C'est tout simplement plus pratique qu'un livre papier. N'oublions pas qu'un lecteur d'ebooks peut facilement contenir 1000 livres... Les études statistiques aux Etats-Unis prouvent que les gens achètent plus de livres et lisent plus une fois qu'ils possèdent un lecteur d'ebooks. Donc, ces appareils sont bons pour la lecture, et pour les auteurs. Ils peuvent les rendre indépendants de la terrible lourdeur du système de distribution que je viens de décrire. Grâce à eux, l'auteur peut toucher directement le lecteur. Les seuls intermédiaires restants sont les fournisseurs d'hébergement lorsque les livres électroniques sont vendus sur le site de l'auteur, et des sociétés comme Apple, Amazon ou (prochainement) Google. Je préfère traiter avec ces gens-là, car ils versent 70% du prix de l'ebook (dans le cas d'Apple en France, et d'Amazon pour les ebooks de plus de 2,60 euros, la rémunération passant à 35% en dessous de ce seuil), là où la plupart des éditeurs traditionnels vont verser 10 à 15% de droits d'auteur. En s'affranchissant de distribution physique, les lecteurs pourront retrouver des ouvrages non distribués en librairie, et ne rien manquer de chaque parution. Il leur suffira juste de connaître le site de l'auteur. Ils ont aussi accès gratuitement à toutes les œuvres libres de droits, que l'on peut télécharger en toute légalité sur Internet. A ce sujet, en France, nous avons une solide tradition de piratage, mais cela ne m'effraie pas. Plus il y a d'auteurs qui s'autopublieront, plus eux et leurs proches rechigneront à passer par des sites illégaux pour télécharger des ebooks. Et pour ceux qui le feront, je suis persuadé que si ce ne sont pas des collectionneurs, s'ils lisent véritablement les ouvrages, ils finiront par les acheter. Surtout si le prix des ebooks est suffisamment bas. C'est pourquoi je suis contre les technologies de verrous numériques de type DRM, de toute façon aisément contournables et qui se traduisent souvent par une gêne pour le lecteur.
Y : Vous écrivez à la fois de la Fantasy (le cycle d’Ardalia) et de la science-fiction (Les Explorateurs). Faut-il effectuer autant de recherches pour rédiger de la Fantasy que de la SF ? Y a-t-il un genre plus « facile » que l’autre ?
Alan Spade : Tout dépend du public que l'on veut contenter. Dans les deux domaines, il faut être un bon lecteur de ces deux genres littéraires particuliers pour toucher un public de connaisseurs, mais je crois la SF plus exigeante que la Fantasy. Cela dit, à partir du moment où j'ai voulu créer un "livre-univers" avec le cycle d'Ardalia, il m'a donné beaucoup plus de travail que mon recueil de nouvelles SF. Là aussi, j'y avais développé un univers, mais la grande différence, c'est qu'avec Les Explorateurs, je pouvais disposer d'un "background", d'un référentiel connu du lecteur, alors qu'avec Ardalia, j'ai dû élaborer moi-même une bonne partie de ce référentiel. J'ai donc trouvé l'écriture des Explorateurs, si l'on veut, plus "facile". Pour les deux genres, il faut parvenir à surprendre le lecteur. Je pense que le grand public sera plus sensible à ce que vous mettez de vous-même dans votre œuvre, là où les connaisseurs réclameront des personnages très originaux et hauts en couleur, une précision et un développement plus important de l'univers déployé, et une qualité d'innovation dans l'intrigue.
Y : Vous avez créé un véritable « Fantasy Space Opera » avec le cycle d’Ardalia. Beaucoup de romanciers, en Fantasy, se basent sur des mondes et des races déjà créés par d’autres, comme J.R.R. Tolkien pour ne citer que lui. Le monde d’Ardalia se démarque véritablement de toute la littérature Fantasy actuelle de par son originalité. Combien de temps vous a-t-il fallu pour mettre ce monde et ses spécificités en place ? Y a-t-il quelque chose en particulier qui vous a inspiré ?
Alan Spade : J'ai commencé l'écriture du Souffle d'Aoles, premier tome du cycle d'Ardalia, en 2004 pour l'achever en mars 2010. Entretemps, j'ai sorti Espace et Spasmes en 2006, réédité en 2009 sous le titre Les Explorateurs. Il m'a donc fallu environ six ans pour mettre tout cela en place. Je m'étais lancé un défi, celui d'écrire sur des créatures uniquement non humaines, sur une autre planète. Pour quelqu'un comme moi, finalement assez terre-à-terre, c'était terriblement "casse-gueule". Je suis donc allé dans la simplicité, en partant de quatre peuples reliés aux quatre éléments. Puis, j'ai développé leurs spécificités et celles de leur monde. L'histoire des peuples, la faune, la flore, la mythologie, la géographie. Enfin, je me suis attaché à raconter l'histoire en elle-même. J'ai dû m'y reprendre à plusieurs reprises, car je me suis aperçu que j'avais tendance à faire de l'histoire une simple vitrine de cet univers. Si je m'étais "lâché", je serais allé encore plus loin dans les rituels, les us et coutumes, les modes de vie. Mais c'était l'histoire qui devait arriver au premier plan, et les personnages. Je devais aussi parvenir à toucher le grand public, faire en sorte qu'il puisse "se faire son film" sans avoir besoin d'annexe, d'explications trop lourdes ou de longues descriptions. Il me fallait concilier la phase de mise en place avec une histoire prenante, tout en évitant de recourir à la scène d'action en ouverture, une ficelle un peu trop usée à mon goût. J'ai alors décidé de me concentrer sur l'univers intérieur du personnage principal, Pelmen.
Y : La plupart des auteurs ont une peur bleue de l’effet « page blanche ». Y avez-vous déjà été confronté et que conseilleriez-vous aux écrivains amateurs qui nous lisent pour lutter contre la panne d’inspiration ?
Alan Spade : Se couper du monde et de ses distractions. Elaborer des scènes dans sa tête, la nuit. Ne pas y penser tout le temps, se laisser le temps. Se relire, souvent. Se corriger pour avancer. Se laisser porter par ses personnages, être à leur écoute. Quand j'ai ce problème de page blanche, c'est que mon histoire a besoin d'être alimentée en réflexion. J'ai un fichier où je note mes idées pour le scénario, donc je l'alimente à chaque fois que je suis bloqué.
Y : Avez-vous une technique d’écriture particulière ? Préférez-vous établir des plans détaillés avant de vous lancer ou foncez-vous en laissant vagabonder votre imagination ?
Alan Spade : Justement, concernant ces notes de scénario, je les écris au fur et à mesure où je me sens bloqué dans l'histoire. Ce sont des phases de réflexion et d'imagination. Je dois prendre en compte le passé, l'environnement et la personnalité des personnages. Quand je dis "le passé", c'est de l'histoire dont il s'agit. Vers où me mène l'histoire ? Si elle a fait dire telle chose à l'un des personnages, c'est peut-être qu'elle ne veut pas que je passe tout de suite à cette autre séquence précédemment imaginée, et qui devait se dérouler juste après. En cela, les points d'articulation d'une scène à l'autre recèlent parfois leurs vérités propres. Il est bon de se laisser surprendre par ces vérités, qui proviennent souvent des personnages, pour mieux surprendre son lecteur. J'ai des étapes importantes dans ma tête, mais je laisse volontairement énormément de flou, plutôt que de bâtir des plans détaillés.
Y : Que pensez-vous des ateliers d’écriture et regroupements de « bêta-lecteurs », qui aident tout auteur en lisant ses textes et donnent leur point de vue tant sur la forme que sur le fond ? En avez-vous fait usage, vous aussi, à un moment quelconque de votre parcours ?
Alan Spade : Je fais usage de "bêta-lecteurs", mais je ne suis jamais allé à des ateliers d'écriture. Pour compenser, j'ai consulté certains ouvrages abordant les techniques d'écriture. Je crois, en revanche, qu'un autoéditeur peut arriver au même degré de perfectionnement qu'un éditeur. Par exemple, s'il connaît déjà un certain succès, en embauchant un directeur de collection ou un correcteur dont la maison d'édition a fait faillite, et en tirant parti de ses conseils d'écriture. Il faut absolument démythifier l'éditeur. Il y a aussi des agents littéraires qui font bénéficier d'un appui littéraire. J'ai heureusement la chance d'avoir de très bons relecteurs.
Y : Quel serait votre meilleur conseil à donner aux écrivains autodidactes qui nous lisent ?
Alan Spade : Faites-vous plaisir tout en croyant en vous-mêmes.
Merci beaucoup pour avoir accepté de répondre à ces quelques questions. Bonne chance pour votre avenir et à bientôt en terre d’Ardalia !
Lisez sur ymagineres.net la critique du premier tome du cycle d'Ardalia, Le Souffle d'Aoles, d'Alan Spade.