Vous allez pouvoir lire aujourd'hui l'interview de Vanessa du Frat, l'auteur des Enfants de l'Ô, roman publié à raison de deux chapitres par semaine sur www.ymagineres.net. Elle a été réalisée par Doris Facciolo.
YmaginèreS : Bonjour Vanessa ! Pour commencer cette interview, pourriez-vous nous parler un peu de votre parcours professionnel et de ce qui vous a amenée à écrire ?
Vanessa du Frat : Mon parcours est assez peu conventionnel. J’ai fait des études de biologie terminées par un master (génétique du développement, et plus spécifiquement le développement de la main chez la souris), et en parallèle je travaillais dans un aéroport comme agent d’escale (LE truc qui n’a rien à voir… Mais chez moi, c’est un schéma qui revient souvent…). La biologie m’intéressait énormément en tant que science, mais bosser dans le labo toute la journée, déjà beaucoup moins… Donc je me suis dirigée vers le domaine médical, que j’ai dû quitter pour des raisons personnelles, et je suis maintenant correctrice (j’ai suivi la formation du CEC) et webdesigner. Les Enfants de l’Ô est un roman qui réunit mes passions, à savoir la biologie (surtout la génétique), la médecine, la psychologie et l’informatique.
Y : Votre saga Les Enfants de l’Ô est un drame psychologique sur fond de Science-fiction. Pourtant, vous semblez beaucoup aimer les films d’horreur. Avez-vous déjà rédigé des récits d’horreur voire de fantastique ? Si non, pour quelle raison ?
VdF : Ahah, on sent l’influence des statuts Facebook pour cette question ^^ Oui, j’adore les films d’horreur (mais pas n’importe lesquels, je préfère les films très très réalistes. Un film avec des vampires ou des fantômes ne m’intéressera pas du tout. Par contre, un tueur en série échappé d’un asile psychiatrique qui vient assassiner une famille entière, c’est plus mon truc. Oui, je sais, c’est vraiment horrible, c’est mon côté obscur (je vous assure que j’ai des amis et une famille normale, et que mon appartement n’est pas décoré avec des engins de torture...). Mes romans ont une petite touche d’horreur à certains moments. Je finirai sans doute un jour par écrire un récit d’horreur, mais ce sera sûrement un scénario. J’ai du mal à imaginer avoir peur en lisant un roman (même si certains romans de Stephen King sont plutôt effrayants dans leur style), pour moi il faut quelque chose de très visuel.
Y : Sur votre blog, vous avouez souvent créer des personnages à problèmes psychologiques, ou des jumeaux, voire des jumeaux à problèmes psychologiques… D’où vient cette fascination ?
VdF : Les personnages sans problème et parfaitement équilibrés sont ennuyeux ^^ (pour moi, en tout cas). Étant donné que l’histoire tourne énormément autour des relations que les personnages entretiennent les uns avec les autres, il était plus intéressant pour moi de travailler avec des personnages complexes et torturés psychologiquement (alors que dans certains romans, axés principalement sur l’action et le suspense, c’est bien moins important). La fascination pour les jumeaux, je l’ai toujours eue, je pense que c’est parce que je me sentais trop différente quand j’étais enfant et que j’en souffrais, et que du coup j’aurais aimé avoir quelqu’un « comme moi », pour me sentir moins seule.
Y : Vous avez décidé de publier votre roman au rythme d’un chapitre par mois, gratuitement, sur votre site internet. Pourquoi cette méthode ? N’avez-vous pas peur que quelqu’un s’approprie vos écrits ?
VdF : J’ai commencé à écrire les Enfants de l’Ô alors que j’avais 13 ou 14 ans, en le réécrivant un nombre incalculable de fois. Je suis finalement passée à autre chose (un autre roman) en laissant un peu tomber la saga. Quand je me suis retrouvée à l’université avec mes 35 heures de cours et 15 heures de travail par semaine et mes 2h30 de trajet par jour, je n’avais plus beaucoup de temps pour grand-chose. Et je n’écrivais plus du tout. C’est une phase qui a duré assez longtemps, et j’ai vraiment pensé à l’époque que jamais je ne continuerais les Enfants de l’Ô. Pour m’amuser, je l’ai mis sur le net chapitre après chapitre, en 2001 ou 2002 (je ne suis plus très sûre de l’année). Cela m’a forcée à faire un site (avant la création du premier site des Enfants de l’Ô (immonde), je ne savais même pas ce qu’était une balise html, ou même le html tout court), et j’ai publié le roman sur mon site. Je m’étais dit que tant qu’à abandonner l’histoire, autant la faire lire à d’autres plutôt que laisser le roman dans un tiroir. L’intégralité de mon tome 1 s’est retrouvée sur le site, et comme je n’étais pas trop motivée pour écrire le tome 2, j’ai écrit un tome « parallèle » (du moins c’est comme ça que je l’appelle car je ne sais pas encore exactement où le placer dans la saga), ce qui me permettait de changer radicalement de cadre et de travailler avec de nouveaux personnages. J’avais plus ou moins retrouvé l’envie d’écrire, mais ce n’était pas encore ça (cela dit, le tome est terminé). Je l’ai mis en ligne peu à peu aussi, et j’ai fait un truc monstrueux : j’ai arrêté la publication au bout de quelques chapitres, pour publier à la place la toute nouvelle version du tome un, une réécriture intégrale commencée dès le point final mis sur mon travail de master. Depuis, j’ai terminé le premier cycle (sept tomes) et la publication actuelle sur le site en est au tome 4.
Je n’ai jamais pensé que quelqu’un pourrait s’approprier mon roman, car je voyais mal ce que quelqu’un aurait fait avec un bout de tome 1 d’une saga de SF, et ensuite mon roman s’est retrouvé sur plusieurs sites internet différents, donc la question de la paternité de l’histoire ne se posait plus. Franchement, si maintenant quelqu’un publiait quelque chose qui ressemble aux Enfants de l’Ô, je pense qu’il y a une probabilité non négligeable que je l’apprenne dans les trois jours, et que les lecteurs qui me suivent depuis dix ans témoignent en ma faveur dans un éventuel procès pour plagiat. Mais vraiment, je doute que quelqu’un s’y intéresse J
Y : Il semblerait que le premier tome des Enfants de l’Ô sera publié prochainement. Pour quelle raison avez-vous choisi de passer par un éditeur plutôt que par l’autoédition ?
VdF : Ah non, pas du tout ! Je ne l’ai même pas envoyé à des éditeurs. Mais j’envisage en effet la possibilité de l’envoyer, car la diffusion serait meilleure qu’en autoédition. L’envoi est prévu, et une fois que j’aurai reçu toutes les lettres de refus, je pourrai faire mon autoédition sans regrets et l’esprit tranquille !
Y : Que pensez-vous des e-books et prévoyez-vous également une publication de votre roman sous ce format ?
VdF : Mon roman est disponible au format prc depuis maintenant 5 ou 6 ans, et depuis quelques mois au format epub (utilisé par les iPhones ou les iPad, notamment). J’étais une des pionnières en France sur la question des livres électroniques. J’ai même donné une de mes nouvelles à la société française Bookeen pour le « bundle » de départ disponible sur leur liseuse, la Cybook, et j’ai été interviewée par la radio suisse romande (RSR) il y a quelques années pour parler des liseuses de livres électroniques.
Donc oui, en effet, une publication de la version « finale » au format prc ou epub est prévue ^^
Y : Si je ne me trompe pas, vous n’avez fait aucune étude qui se rapproche de près ou de loin à l’écriture. Comment faites-vous pour vous perfectionner ? Avez-vous lu des ouvrages sur le sujet ou n’utilisez-vous que « l’appel à un ami » en plus des infos que l’on trouve sur le web ?
VdF : Je n’ai jamais lu aucun ouvrage concernant l’écriture, j’ai seulement dévoré beaucoup, beaucoup de livres à une certaine période de ma vie. Et oui, l’ « appel à un ami », je l’utilise souvent pour faire des brainstorming avec ma meilleure copine (qui ne fait pas particulièrement de suggestions pour mon roman, ni moi sur le sien, mais le fait d’en parler nous aide souvent à débloquer un passage ou développer une idée). Et j’ai beaucoup d’amis qui écrivent, à présent, donc j’aime beaucoup en parler avec eux, connaître leurs méthodes (par intérêt personnel), parler des « dessous » de nos histoires…
Y : Quelles sont vos méthodes d’écriture ?
VdF : La pire méthode du monde : foncer tête baissée sans le moindre plan, partir à l’aventure, écrire un chapitre sans même savoir ce qui va se passer après… Une cata. Mais ça marche pour moi (je suis d’ailleurs fan du groupe Facebook « je ne suis pas bordélique, je range différemment », qui s’applique à la fois à mon appartement et à mon roman !). Je ne conseille cette méthode à personne. Déjà, j’oublie des bouts d’intrigue, je me rends compte tout d’un coup à la fin d’un tome que j’ai zappé un passage essentiel, et récemment, j’ai dû établir une chronologie pour mon tome 1… Ce qui n’est pas difficile en soi, lorsqu’on la fait en cours d’écriture. Mais après coup… c’est l’horreur.
Y : Lorsque vous vous mettez à écrire, parvenez-vous à rédiger un chapitre entier d’un seul coup où votre créativité s’étale-t-elle sur plusieurs jours ?
VdF : J’ai des moments de très grande créativité pendant lesquels je peux écrire éventuellement les trois quarts d’un chapitre. Mais mes chapitres sont assez longs, entre 6000 et 9000 mots. Je n’écris pas forcément très vite (je tape vite, mais je réfléchis beaucoup entre chaque phrase), du coup, 6000 mots en un jour, pour moi, ce n’est pas possible. Je crois que ma performance maximale a consisté à écrire pendant 9h d’affilée.
Y : Beaucoup d’auteurs disent écrire avant tout pour eux-mêmes, pour leur propre plaisir. Si les textes plaisent au public, c’est du bonus. Qu’en pensez-vous ? Tenez-vous toujours compte de l’avis des lecteurs ?
VdF : Ah, c’est sûr, j’écris parce que j’aime ça, donc c’est pour mon plaisir. Je pense que si ça devenait une contrainte, j’arrêterais. J’écris ce que j’aimerais lire, mais pour moi, plaire aux lecteurs, ce n’est pas un bonus, c’est essentiel. Au début, sans doute, j’écrivais uniquement pour moi, et en effet, si c’était apprécié, tant mieux. Mais maintenant, ça fait longtemps que ce n’est plus le cas. En mettant mon livre sur internet, accessible à tous, mon but principal était de partager mon histoire avec le plus grand nombre, et évidemment, je voulais aussi leur faire plaisir à eux !
L’avis de mes lecteurs compte énormément, comme je le leur répète très souvent sur le site. Les très nombreux commentaires des lecteurs sur le premier tome ont été indispensables pour mes corrections. L’avantage de la mise en ligne d’un roman (mon premier jet, en l’occurrence), c’est qu’on a l’avis de son public cible, ou du moins celui d’une partie de ce public. J’ai tenu compte de toutes les remarques (et même quand je n’étais pas forcément d’accord, je me suis quand même remise en question et j’ai essayé d’être objective). Plusieurs lecteurs m’ont fait des commentaires très détaillés sur l’ensemble du premier tome, et pas seulement sur la forme, et ça m’a été très utile également.
Par contre, je n’écris pas un roman influencé par les idées des lecteurs : l’ensemble du premier cycle est déjà écrit, donc je ne vais pas tout d’un coup changer l’histoire parce qu’un lecteur suggère quelque chose. En revanche, lorsque j’ai mis le tome 1 en ligne, j’ai tenu compte des remarques de style pour la rédaction de mes autres tomes et j’ai essayé de corriger mes défauts d’écriture.
Y : Quel serait votre meilleur conseil pour un écrivain amateur qui désire se lancer dans l’aventure de la rédaction ?
VdF : Alors… Un : ne pas écrire de la science-fiction. Deux : ne pas écrire une saga. Trois : ne surtout, surtout pas écrire une saga de science-fiction !
Non, pour être sérieuse, je dirais que le principal est d’écouter les remarques, de ne pas se vexer, et de se remettre en question même si ça ne nous fait pas forcément plaisir et nous blesse même parfois. J’ai vu quelques cas d’auteurs amateurs qui, certains de leur talent, envoyaient tout le monde sur les roses dès qu’on leur faisait une remarque ou une critique. Ce n’est pas facile, et je dois dire qu’au début, quand j’ai commencé à écrire, j’étais sûre que j’étais la plus géniale, que mon roman était super original, que j’allais avoir le prix Goncourt, etc. (bon, j’exagère un peu, mais c’était un peu ça) J’ai progressé en écrivant énormément (mine de rien, ça se travaille) et surtout en écoutant les remarques.
Y : Merci beaucoup d’avoir répondu à ces questions et bonne chance dans l’aventure de l’édition !
VdF : Merci à vous pour cette interview, qui m’a fait très très plaisir !