C'est au tour de Pascal Vitte, auteur de la plupart des couvertures de notre webzine, illustrateur et graphiste talentueux, d'être interviewé par la rédaction d'YmaginèreS.
YmaginèreS : Bonjour Pascal. Je suis très heureux de vous faire subir aujourd’hui la torture de l’interview !
Pascal Vitte : Bonjour YmaginèreS.
Y : Pourriez-vous vous présenter rapidement et nous dévoiler votre itinéraire professionnel ?
P.V. : Je suis né en 63 en banlieue parisienne où j’ai grandi entouré de bouquins et d’œuvres d’art de toutes sortes. Mon grand-père avait acheté pas mal de tableaux et de sculptures pendant son heure de gloire, ce qui fait que les greniers de ses quelques maisons fourmillaient de trésors palpitants pour le gosse solitaire que j’étais. Ses jardins aussi me permettaient de libérer mon imagination. Pour les études, par contre, ce fut plutôt désastreux. Mais j’ai quand même réussi à me faire embaucher dans un petit studio de création alors que je prenais encore des cours de rough. Puis je devins directeur artistique et enfin je me suis mis à mon compte fin 99.
Depuis j’essaye de garder la tête hors de l’eau malgré mon caractère un peu trop entier. Pendant tout ce temps je n’ai jamais cessé de dessiner des images tirées des bouquins que je lisais ou bien à pondre des BDs selon mes humeurs. Mais comme beaucoup d’entre nous, il faut faire des choix et c’est l’alimentaire qui prévaut, surtout quand on est père de famille.
Y : Publicité, illustration, BD, création de jeux, peinture, sculpture… Vous êtes un artiste multifonction. Quel domaine de création a votre préférence ?
P.V. : Le dessin tout simplement. Je visualise constamment des trucs dans ma tête, des scènes de romans, des gags, des pensées un peu philosophiques, des artefacts imaginaires ou bien je « flashe » sur des visages, des arbres ou des paysages et il faut coûte que coûte que je les couche sur le papier. Chacun des domaines que vous citez est idéal pour certaines idées. Pour la pub, on applique son métier dans le concret, une bonne façon de ne pas s’isoler dans ce monde terriblement matérialiste. Pour l’illustration, il s’agit de faire passer un concept en une image forte. La BD est idéale pour joindre l’écriture et le dessin. Les jeux, c’est une vieille marotte qui mélange la mécanique ludique rigoureuse pour que ça marche et l’emballage graphique qui est un vrai régal. Quand à la sculpture et la peinture, c’est de l’expression pure, un vide salvateur pour l’âme que je recommande à tout le monde selon ses capacités, danse, écriture, photo etc. Pour moi en tout cas, ça passe toujours au départ par le dessin.
Y : Quels sont vos univers de prédilection ? Je crois me souvenir par exemple que vous appréciez particulièrement l’œuvre de Lovecraft…
P.V. : Ce bon vieux H P ! Sans doute que d’avoir joué des nuits entières à Call Of Chtulhu y est pour quelque chose. C’est vrai que j’ai adoré l’Affaire Charles Dexter Ward ou Démons et Merveilles, mais c’était un bien triste sire et depuis j’en ai aimé bien d’autres. Je n’ai pas d’univers de prédilection, je cherche avant tout des auteurs qui me surprennent et surtout pas des ersatz de tel ou tel. Des fois, j’ai besoin de voyager, des fois de réfléchir, un bon Pierre Bordage par exemple peut offrir les deux à la fois parfois. Je ne crache pas non plus sur un petit traité de philosophie de temps en temps (le post-humain à ma préférence en ce moment) ou un bon vieux Shakespeare ; c’est lui le père de la Fantasy et Hamlet ou Macbeth sont de purs chefs d’œuvre.
En voilà deux que j’aimerais illustrer un de ces quatre.
Y : En tant qu’illustrateur, êtes-vous autant à l’aise en Science-fiction qu’en Fantasy ?
P.V. : Comme dit Terry Pratchett, la SF c’est de la Fantasy avec des boulons. Mais dessiner des boulons demande un peu plus de rigueur qu’une vielle sorcière biscornue. Il n’y pas de grandes différences pour moi entre le Gritche de Dan Simmons ou Smaug le dragon. Il faut à chaque fois retranscrire une atmosphère, avec sincérité.
Y : Quel est le projet que vous rêveriez de réaliser et qui vous tient le plus à cœur ?
P.V. : Un bel album de BD tiré de l’œuvre de Clarck Ashton Smith, un auteur de la revue Weird Tales, un copain de Lovecraft d’ailleurs. J’ai l’impression qu’on l’a un peu oublié celui-là, c’est injuste, ce qu’il écrivait était très sombre aussi mais ses visions étaient beaucoup plus riches et exotiques.
Y : Que pensez-vous du monde de la BD et de l’illustration aujourd’hui ? Comment a-t-il évolué ? Faut-il absolument de nos jours savoir manier le crayon ET le stylet d’une palette graphique pour arriver à se faire une place dans ce milieu ?
P.V. : Le travail est toujours la composante essentielle, enfin j’aime à le croire, mais il faut du culot et de l’opiniâtreté. C’est la mondialisation après tout, il y a internet et si les artistes du monde entier se vendent ici, nous on peut se vendre ailleurs. Il y a un véritable brassage des cultures, c’est très enrichissant. Maintenant, pour être reconnu dans la profession, il faut parfois s’armer de patience et donc avoir les moyens de tenir. Les relations se font au fil du temps. Certains se trompent toute leur vie d’essayer en vain et d’autres de ne jamais tenter par simple prudence. Moi je suis un peu entre les deux, je suis toujours en lice mais je ne crache pas dans la soupe, la com me fait vivre et je ne veux pas me considérer comme un artiste maudit, trop négatif et stérile, j’ai besoin d’être rassuré.
Y : Beaucoup d’illustrateurs ont quelques anecdotes à raconter au sujet de certaines de leurs créations. Sans vouloir paraître insultant, en un demi-siècle d’existence (), vous devez bien, vous aussi, en avoir une ou deux tapies dans vos souvenirs… Si c’est le cas, pourriez-vous les partager avec nous ?
P.V. : La première date de mon époque sculpteur, on nous avait commandé une réplique de l’obélisque de la Concorde de 5m de haut pour la sortie au salon du livre d’un ouvrage sur Champollion. On avait bossé à 3, plusieurs semaines, à creuser des hiéroglyphes au cutter dans de la mousse. J’avais aussi conçu l’armature en agglo et le truc devait être fini pour l’ouverture du salon. Quand je suis monté sur l’échelle pour poser le chapiteau qui pesait son poids, Laurent Fabius, 1er ministre à l’époque, faisait sa visite inaugurale. Mais le poids de l’objet à failli me faire tomber sur lui. Mes potes se sont cramponnés à l’échelle, empêchant un carnage qui nous aurait peut-être rendus tristement célèbres. Plus récemment, quand je dessinais une fresque sur le mur d’une école communale juste avant la rentrée des classes, les gosses du village passaient me voir et faisaient des commentaires élogieux d’une fraîcheur que je ne suis pas prêt d’oublier. J’ai revu cette fresque il y a quelques jours et je suis très heureux de leur avoir offert ça. Il s’agit d’un bon gros « ent » gentil qui les accueille chaque matin.
Y : Quel est votre mode de fonctionnement pour créer ? Une image, une musique, une parole, une personne entrevue dans la rue suffisent-elles à vous inspirer ou bien le processus de création met-il plus de temps à s’enclencher ? Travaillez-vous plus le jour ou la nuit ? En plusieurs étapes ou sans relâche jusqu’à aboutir au résultat final ?
P.V. : Comme je l’ai déjà raconté il y a quelques instants, il n’y a pas de recette systématique. Quand c’est une commande précise, il y a une période de gestation plus ou moins longue, ça trotte dans ma tête. Puis les crayonnés commencent, à n’importe quelle heure, je peux très bien me lever en pleine nuit. Des fois c’est laborieux, des fois ça vient tout seul. Mais à chaque fois il y a au moins un moment d’exigence et d’honnêteté avec soi-même.
Y : Êtes-vous tenté par l’écriture ?
P.V. : Oui, j’ai toujours un scénario ou deux en tête.
Y : Autre chose vous attire-t-il ? La photographie par exemple ?
P.V. : La photographie, bien sûr, avec Photoshop on peut faire des choses très intéressantes.
Y : Pourriez-vous nous parler de vos futurs projets ?
P.V. : Une BD est en cours, écrite par Mestr Tom (NDLR : rédacteur en chef du journal Fan 2 Fantasy). Une histoire comique avec des enfants démoniaques qui s’opposent aux forces de la lumière, enfantines elles aussi. On se marre bien. Et peut-être un Artbook sur la Terre du Milieu, car bien que tant de choses ant été faites, il reste encore beaucoup à illustrer.
Y : Pour conclure, pourriez-vous répondre à notre habituel questionnaire de Proust de façon succincte ?
• Votre principale qualité ? Contemplatif
• Votre principal défaut ? Fainéant
• Ce que vous appréciez le plus chez vos amis ? Leur joie de me revoir.
• Votre occupation préférée ? L’utopie
• Votre idée du bonheur ? Fais comme tu le sens, mais fais-le.
• Votre idée du malheur ? Ne plus pouvoir communiquer avec les autres.
• Si vous n’étiez pas Pascal Vitte, qui désireriez-vous être ? Impossible, on fait avec, le reste n’est que de l’envie. Quoique Gandhi…
• Où aimeriez-vous vivre ? Lanzarote, une île des Canaries
• Vos auteurs favoris ? Terry Pratchett, Donald Westlake, Dan Simmons etc.
• Votre roman préféré ? Magie et Cristal de Stephen King (cycle de la Tour Sombre)
• Le meilleur illustrateur selon vous ? Gustave Doré
• La plus belle illustration ? Le joueur de cartes zombie dessiné par Brom pour Deadlands (NDLR : jeu de rôle de type western-fantastique)
• Votre BD favorite ? J’hésite entre Blueberry et Sin City.
• Vos héros préférés dans la fiction (littérature, ciné, BD…) ? Le Pistolero
• Vos héroïnes préférées dans la fiction (littérature, ciné, BD…) ? Pélisse dans la Quête de l’oiseau du temps.
• Votre jeu de rôle préféré ? Call of Chtulhu
• Votre chanson favorite ? I fought the law des Clash Ou This is Halloween de Danny Elfman, ça dépend des jours en fait.
• Le film que vous appréciez le plus ? Blade Runner
• Vos héros dans l’Histoire ? Martin Luther King et Gandhi
• Vos héroïnes dans l’Histoire ? Olympe de Gouges
• Ce que vous détestez par-dessus tout ? Les gros 4x4 avec des verres fumés
• Quel est le don surnaturel que vous aimeriez avoir ? Celui d’apprécier à leur juste valeurs les conneries que j’ai faites ou pas. La conscience absolue en fait.
• Comment aimeriez-vous finir votre vie ? Dans mon sommeil face à l’océan.
• Quel est votre état d’esprit actuel ? Tranquille
• Quelles sont les fautes qui vous inspirent le plus d'indulgence ? Celles due à l’ignorance
• Le juron que vous lancez le plus souvent ? Putain !
• Votre mot favori ? Pardon
• Quelle est votre devise ou votre citation préférée ? « Vivre simplement pour que simplement d’autres vivent. » (Merci Gandhi)
Y : Un mot encore pour nos lecteurs ?
P.V. : Merci d’avoir supporté mes réponses.
Y : Merci d’avoir répondu à nos questions. J’espère que vous vous en remettrez ! ;-)
P.V. : aaaaarrrgh !