Quelques mois après une partie de jeu de rôle désastreuse qui m’a laissé des séquelles (j’en fais toujours des cauchemars et me réveille souvent en hurlant, agrippé à ma table de nuit comme à une bouée !), un pote m’a convaincu de participer à un jeu de rôle grandeur nature. Plein d’entrain, la joie de vivre revenant peu à peu dans mon cœur de rôliste, j’attendais avec impatience que mon ami passe me chercher. Après une bonne demi-heure d’attente (c’est récurrent chez mes copains !), le voici qui daigne allumer son portable et m’appeler pour me dire qu’il ne pourra en fait pas venir. Un pépin de dernière minute… « Bon, c’est pas grave, je vais rester chez moi, j’ai un tas de choses à faire » lui répondis-je. « Non, non, surtout pas, je ne voudrais pas te priver d’une expérience unique ! Mon cousin, qui devait venir avec nous, arrive, vous irez ensemble ! »
Un cousin dont je n’avais jamais entendu parler fait en effet bientôt son apparition au volant d’une 4L jaune canari vraiment… heeeeu… tout à fait… comment dire… effroyablement repoussante, laide à vomir, un pou sur roues cabossé, un mélange de poubelle et de porcherie saupoudré d’un zeste de mauvais goût !!! J’eus un mouvement de recul. Le petit-déj’ que je venais d’avaler, de peur, a même failli se faire la malle ! Et ce n’étais pas le pire ! Non, c’était le gars ! Un géant, un ogre, un monstre quoi ! Il avait des cheveux longs, gras et mal peignés, un rasage frais d’il y a huit jours, une haleine de Yéti alcoolique, des yeux injectés de sang, un pétard entre les lèvres, un tee-shirt qui avait dû être bleu jadis et un jean troué comme le meilleur gruyère. Tout ça le faisait ressembler à un beatnik périmé ! Quelle fut la folie qui s’empara de moi à l’instant où il me demanda « on y va ? », pourquoi répondis-je « Ok ! » ? Mais bon sang, quelque chose ne tournait pas rond chez moi ou quoi ?!?
Tout en me posant des questions sur ma santé mentale, assis sur un siège dont les ressorts sodomites s’amusaient à torturer mes fesses, je regardais l’aiguille du compteur de vitesse et me rendais compte que ce tas de boue faisait des excès de lenteur, à peine 50 sur une nationale limitée à 90 ! On se faisait doubler, les gens nous regardaient en se marrant, un gars a même ouvert sa fenêtre en tendant sa clope pour nous demander si on n’avait pas du feu ! Putain, je regardais mes pompes comme un môme honteux mais furibard contre moi-même d’avoir accepté de monter dans cette caisse sortie de l’hospice automobile !
Le mec s’appelait Paul (à l’évocation de son prénom, je ne peux m’empêcher de penser à l’extraterrestre du même nom !) mais il préférait qu’on utilise « Kurgan », le nom de son perso favori ! Tout un programme ! Il me parla de sa passion des jeux de rôle grandeur nature avec force détails. Entre deux tirades, il me proposa un sandwich thon mayo que je refusai d’un vigoureux signe de la main devant l’immonde et énorme morceau de pain dégoulinant qu’il me tendait avec un sourire dévoilant ses dents de carnassier jaunies. Je fermai alors les yeux pour tenter d’oublier cette abominable vision mais il recommença son long monologue sur les GN tout en prenant bien soin de ponctuer le tout au moyen d’éructations sonores et gargantuesques qui se mariaient merveilleusement avec sa voix d’outre-tombe. De temps en temps, il se tournait vers moi et me demandait si tout allait bien, si je n’étais pas malade en voiture, faisant remarquer que j’étais blanc comme un cachet d’aspirine. Alors, je le regardais et lui répondais « Non, ça va, merci, un petit coup de fatigue sûrement ! » et je détournais mon regard prestement quand mes yeux se posaient sur l’immonde filet de bave à la mayo qui s’enroulait tel un serpent pervers autour de son menton mal rasé. Ooohhhh ! Mon Dieu ! Que c’était loooong !!! Et puis j’avais un putain de mal au cul, bordel !!!
Et voilà que ce qui devait arriver arriva… Après quelques dizaines de kilomètres à se trainer dans un bruit horrible, à sentir vibrer la guimbarde de tous ses boulons, celle-ci s’échoua, fumante, dans un dernier souffle carboné sur la bande d’arrêt d’urgence. On aurait dit un fossile automobile échappé d’un Jurassik Park de Renault !!! Kurgan m’informa qu’il restait encore cinquante bornes avant d’arriver à destination. J’étais là, paumé au beau milieu de nulle part, debout aux côtés d’un escogriffe de Cro-Magnon, en train de donner les derniers sacrements à un tas de boue ! Génial ! C’est à ce moment-là que je décidai de casser la figure à mon cher copain dès que je rentrerais et que je me mis à envisager sérieusement de les faire livrer par FedEx, lui et son imbécile de cousin, dans une tribu de réducteurs de têtes, dans un charmant petit bled de Nouvelle-Guinée, avec tous mes remerciements !
On dut se résoudre à faire de l’auto-stop, dans l’impossibilité que nous étions à contacter un garage, nos portables ne captant pas dans ce trou du cul du monde. Le seul téléphone dans les environs était complètement arraché, un peu comme si un chien mutant s’était fait les crocs dessus… Bref, il fallait maintenant trouver un bon Samaritain pour nous emmener dans la ville la plus proche ou, mieux encore, à destination. Mais là, on croyait encore au Père Noël ! Par quel miracle un automobiliste sain d’esprit s’arrêterait-il en voyant une espèce de troll agiter les bras comme un fou furieux sur le bas-côté de la route ?!? Hein ? Vous voulez bien me dire ?!
Et c’est là que tout a dérapé ! Ah oui, vous pensiez que tout avait DEJA dérapé ? Eh bien, j’étais encore loin d’avoir atteint le fond des fosses abyssales du désespoir quand soudain… le malade qui m’accompagnait, devant le peu d’enthousiasme des conducteurs pour nous venir en aide, fut pris d’une colère invraisemblable, énorme, ineffable, sadique. Il hurla des insanités, des injures sorties de la besace d’un démon possédé, des mots que je n’avais même jamais entendus. Il frappa du pied le sol tel un gamin capricieux, jeta son pétard par terre et sauta à pieds joints dessus comme un marsupilami de l’âge de pierre ! On aurait dit que les feux de l’enfer s’étaient allumés dans ses yeux, une veine bleue, presque noire se mit à enfler et battre sur sa tempe gauche, il me foutait la trouille, ce grand con !!! Il alla ouvrir le coffre de son épave et en sortit ce que je pensais être la réplique d’une flamberge monumentale, une arme de GN quoi, mais quand il frappa le capot de notre voiture de sa lame de Goliath, j’entendis le bruit monstrueux et métallique que le choc produisit et, là, je vis la 4L s’effondrer, achevée par ce barbare enfui d’un asile. Son crime commis, il se tourna vers la route et se mit en son milieu, la barrant, terrible et menaçant, son épée dans les mains. Une voiture arriva et le dingue n’attendit pas, il se croyait dans un film. Il se mit à courir à sa rencontre, son arme brandie, prête à trancher menu l’adversaire qui roulait vers elle, inconsciente du danger ! Mais le conducteur finit par freiner, faisant crisser et fumer ses pneus sur le goudron pour ne pas renverser celui qu’il avait pris au départ pour une hallucination due à la fatigue. Et là, notre cinglé abattit son épée sur le toit de l’Audi, enfonçant la tôle comme du carton-pâte. Puis il remit ça, l’enragé, et paf, et bing ! Un vrai berserk, il ne manquait plus que Thor agitant son marteau et Odin, un corbeau sur l’épaule. Incrédule, j’entendais presque la chevauchée des Valkyries en le regardant s’agiter ainsi ! Heureusement que plusieurs camionneurs, battis comme des chars Leclerc, passèrent par là et stoppèrent leurs engins pour essayer de mettre hors d’état de nuire Paulo, le siphonné !!!
Quand le calme fut revenu, que le zouave fut saucissonné avec des ceintures et que la gendarmerie fut appelée avec la CB d’un des camions, le conducteur de l’Audi s’extirpa de sa bagnole en miettes et se mit à pleurer, réalisant avec soulagement qu’il allait survivre à ce carnage !
Ce sont les gendarmes qui me donnèrent, après m’avoir interrogé, un numéro de taxi. Ils me demandèrent où je désirais aller et, vous ne me croirez jamais, je répondis « Chez moi ! » Cela venait du fond du cœur ! Mais le pire, c’est que l’énergumène qui sert de cousin à mon pote me dit avant d’entrer dans le fourgon de la gendarmerie : « Chouette journée, hein ? On remettra ça un de ces jours, j’espère ! » Et moi de lui répondre, l’estomac retourné et les jambes flageolantes : « Bien sûr, euhhh, mais tu sais, je suis trèèèèès occupé d’ordinaire, on verra, hein. Allez, bonne fin de journée ! »
Ce jour fut le deuxième de ma carrière de rôliste à pouvoir se vanter d’avoir été merdique ! J’ai quand même participé ensuite à des GN, j’ai même beaucoup apprécié… surtout le fait de ne pas avoir rencontré à nouveau Gus le Terrible ou l’un de ses semblables. Ceux-ci sont heureusement peu nombreux mais malheur à ceux qui les rencontrent !
Bon, en tout cas, moi, pour ma prochaine partie de jeu rôle, il va falloir que je prenne une assurance-vie, on sait jamais ! La dernière fois que je vous ai parlé de mes malheurs, j’ai rencontré peu de temps après Kurgan le sanguinaire. J’ai comme l’impression qu’il y en a un ou deux qui veulent ma peau ! Putain de boulot, le métier de rôliste !
Acte 1
Acte 3