23 octobre 2012 2 23 /10 /octobre /2012 02:44

 

HORLOGE-DU-TEMPS.jpg 

Pour une

Vingt-Cinquième Heure

 

d'Andréa Deslacs

 

 

 

Avec une dédicace spéciale

pour notre cher informaticien,

Arkanan

 

 

Une seconde s’égrène derrière sa sœur qui fut sa mère, non sa grand-mère, non son arrière-grand-mère, non sa…

Et merde !

Le temps file. Les Parques ricanent et coupent leurs fils.

Un sourire se dessine.

Clatch.

Le nez déjà se tord vers la droite, alors que la trotteuse reprend sa course après une pause, brève mais précise, sur le douze. Elle fonce vers la commissure de la lèvre que forme ce « v » narquois esquissé par l’aiguille des heures se rapprochant du deux et celle des minutes qui vient de quitter le dix.

Une minute vient de disparaître et de mourir, et moi, je glande à regarder, hypnotisée, cette maudite pendule murale fixée au-dessus de mon clavier. Habituellement, le seul bruit du mécanisme me fout la pétoche et m’angoisse, mais là, la cavalcade de cette faucheuse me rappelle des symphonies folles emplies de terribles walkyries et autres chevaucheuses.

Et vlam !

Voilà. L’écran freeze encore. Mon système d’exploitation m’annonce qu’il va tenter de récupérer mes données suite à un « léger incident ». Si dans mon petit bureau éclairé par une seule lampe à la lumière cruelle et blafarde, je tenais le concepteur du logiciel – que j’exploite en ayant en plus payé la licence de mes propres petits deniers ! – je l’étranglerais et le passerais à tabac. Puis, je lui braquerais en plein dans le visage jusqu’à l’en faire pleurer cette maudite lumière crue et sépulcrale et je lui hurlerais à la figure d’un ton hystérique : « dis-moi que j’ai pensé à faire, il y a quelques secondes, une putain de sauvegarde ! » Toutefois, l’immonde honnêteté qui me ronge les entrailles susurre déjà dans mon inconscient un « non » terrifiant.

Alors, je pleure devant mon ordinateur. L’écran m’annonce joyeusement qu’il va redémarrer suite à une banale erreur fatale.

Fatal. Fatum. Destinée brisée. Mort.

 Mais non, je n’ai pas à m’inquiéter ! m’annonce-t-on en lettres d’or sur fond d’azur resplendissant. Car tout va revenir rapidement à ce merveilleux bureau bleu et à mon document initial. À cette page virginale de toutes nouvelles données et de toutes les heures désespérées que je viens de passer !

Je pleure dans mon thé, pour y mêler mon sel à la saveur amère d’un sachet qui a déjà trop trempé. Mes yeux arboraient déjà une rougeur injectée avant que l’autoapitoiement ne m’enserre la gorge. La fatigue. L’épuisement. L’état larvaire d’un zombi et autre mort-vivant.

Si je fumais ou buvais, je crois que là, j’avalerais un verre entier de whisky avec des mégots pour glaçons, car je craque. Cependant, je ne porte pas la malédiction de ces addictions, je militerais même contre. Enfin, j’ai toutefois poursuivi une de nos auteures pour qu’elle offre à la revue sa nouvelle tabagique... Finalement, soyons francs : ma morale s'avère particulièrement flexible surtout quand la passion m’emporte. Cette fois, elle m’a conduit au-delà des portes de la déraison. Publier une revue amateur d’écrits de Science-fiction, Fantasy et Fantastique… Secouer tout le monde et gueuler sans cesse comme un Dragon rouge pour stimuler mes chères Oies blanches. Je les soupçonne d’ailleurs d’adorer mes beuglements. Ils vont me tuer. La revue va me tuer. Demain doit être le jour du lancement des ventes du nouveau numéro d’Etherval sur le site internet de l’association. Et rien n’est bouclé. Rien.

Oui, dans le passé, j’ai toujours ressenti une forte attirance pour le théâtral, et surtout le drame. Cette nuit, toutefois, du travail m’attend. Jusqu’au bout de la nuit s’il le faut, mais je ne verrai pas l’aube nouvelle sans parvenir à l’accomplir ! Ma détermination est ma force. Mon entêtement sera ma perdition.

On m’autorise finalement à entrer mon mot de passe. Je vis d’intolérables minutes à me tortiller les mains. J’attends de voir à quel moment l’illumination inconsciente d’effectuer une sauvegarde a pu tout à l’heure me traverser l’esprit.  

Enfin ! Enfin ! Et…

Et voilà. Ils ont élu pour responsable des nouvelles de notre revue une pleurnicheuse. Je suis repartie à la recherche de l’illusoire mouchoir en papier encore vaguement blanc. Devant moi s’affiche orgueilleusement un beau document tronqué. Ne persiste aucun souvenir de mes heures entières consacrées à la mise en page et à la correction d’orthographe. Et le maudit tic-tac de la pendule au-dessus de ma tête qui me nargue.

Je n’en peux plus.

J’attrape un manteau et l’enfile au-dessus de ma négligée tenue d’intérieur. Mes pieds nus plongent tels quels dans une paire de chaussures. J’ignore où se sont enfuis les pétales de cerisiers qui symbolisent l’inéluctabilité de la vie qui s’écoule et s’envole, mais la montre indiquait déjà moqueusement deux heures huit quand j’ai claqué la porte de l’appartement pour plonger dans le froid, dans l’hiver. Celui du vide de ma vie ? Je frissonne dans le vent glacé de la nuit mal éclairée et où ni un cerisier, ni même un platane ne viendraient y agiter une fleur ou une feuille sur le trajet qui me guide jusqu’à mon garage. Je ne suis pas assez habillée, mais je m’en moque. Je conduis comme un pied, mais je m’en moque.

La dernière fois… La dernière fois, j’avais pris le métro. Je m’étais jugée heureuse qu’il en circule encore à cette heure-là. C’était toutefois avant que la rame ne soit arrêtée. Et un cœur aussi. Comme je l’ai dit, quand on m’a brièvement interrogée à l’époque, je n’ai pas vu le meurtre se dérouler. J’avais la tête encombrée de ce temps qui s’enfuyait et qu’il me fallait, coûte que coûte, rattraper. J’écoutais sur mon baladeur un texte converti en version audio pour prendre de l’avance sur mes lectures. Je m’étais isolée afin de ne pas attirer l’attention. Les transports, la nuit, ça peut s’avérer dangereux. Je n’avais, ce jour-là, jamais eu autant raison. Isolée dans ma bulle intérieure, je n’ai rien entendu de la bagarre survenue entre ces jeunes. Sans doute une histoire quelconque de racket. Je n’avais rien vu avec mon visage collé désespérément à la froide fenêtre dans l’espoir illusoire que mon quai de destination enfin m’apparaisse. Je n’avais compris et n’avais réagi que lorsque… Que quand… Hum… hum… Uniquement quand, en levant la tête en ne voyant pas le métro repartir, j’ai constaté que les rares voyageurs de la rame se tenaient debout et criaient autour d’un corps couché à terre, la poitrine en sang. Coups de poignard. Personne n’aurait pu réanimer le cadavre, pas plus que les secours arrivés en même temps que les forces de l’ordre sur les lieux pour jouer les nécromants et vouloir ramener Lazare parmi les vivants. Nul ne m’a rien demandé de plus. Un agent a juste relevé mon identité et m’a ordonné d’aller, le lendemain, contresigner ma déclaration au commissariat et remplir quelques autres papiers.

Ce jour-là, j’ai continué ma route grâce à un bus de nuit, heureuse qu’on m’ait crue et qu’on ne m’ait pas accusée de non-aide à personne à danger. Car, si j’avais dit à la policière, qu’à travers la vitre de la rame, j’avais vu…

Petits serpents ailés de brume noire.

Dragons d’ombre, longs d’une main et aux grands iris à la flamme dorée

Tournoyeurs de l’Irréel que mon œil troublé invente dans la noirceur de ce tunnel.

Pourtant… je les connais…

— Dégagez !

Quatre d’entre eux passent soudainement devant mon pare-brise. Leur mouvement fondant vers moi m’amène instinctivement à donner un coup de volant brutal pour les éviter. Idiot ! Ils n’ont aucune consistance physique, je le sais bien !

Cependant, le crissement de mes pneus lors de ma brusque embardée s’avère salutaire ! La voiture grise devant moi vient de piler ! Je la dépasse alors qu’elle manque de rentrer en collision avec le véhicule encore devant. Heureusement, l’autre conducteur a braqué dans la direction opposée à la mienne.

L’esprit toujours hébété, j’ai continué ma conduite instinctive sans même ralentir. Trop tard pour m’arrêter et voir si je peux porter de l’aide, je me trouve déjà trop loin. Quant à effectuer une marche arrière sur l’autoroute, je ne suis pas dingue ! Et puis en ricanant, on peut dire que les secours attendent juste en face, alors je ne suis pas réellement concernée par un « délit de fuite ». En effet, mon esprit d’analyse me restitue à présent l’intégralité de la séquence des incidents que je viens d’éviter de justesse. Je darde inutilement un dernier regard dans mon rétroviseur, vide maintenant.

Tout à l’heure, j’avais bien aperçu au loin, sur l’autre voie de l’autoroute, un véhicule de police et les deux ambulances au gyrophare coloré. Ils étaient garés sur le bas-côté, juste derrière deux voitures impactées. Je n’y ai accordé aucune importance. Une banalité dans cette ville où l’on loue la conduite calamiteuse comme un sport local triomphant.

La curiosité malsaine de ce spectacle de tôles froissées semble par contre avoir vampirisé l’attention d’autres individus que les voraces dragons de brume. Peut-être que cette nuit le Destin trouve-t-il que le sang n’a pas assez coulé et que le fer ne s’est pas assez entrecroisé ? Bref, quelqu’un dans ma voie a dû ralentir pour zieuter le premier accident morbide. Le conducteur suivant lui est rentré dedans et la voiture grise a évité de s’ajouter à la collision. Moi de même.

Grâce aux dragons ? Hum… Je sais bien que ce soir ni ils ne s’agitent, ni ne dansent pour moi. A priori, leur Maître m'autorise à tenter de le rejoindre. Oui, ses envoyés ont simplement dû être attirés par ce qui se déroule encore au fond de rétroviseur et s’éloigne fatalement alors que je continue ma route. Quand les dragons noirs volent dans l'angle de ma vision, la mort frappe fréquemment à proximité. L’autoroute longe le principal hôpital de la partie nord de ma ville et les carambolages s'avèrent fréquents sur cette portion. Deux accidents et je ne sais combien de victimes ? Pour cette nuit, les reptiles de brume des alentours devraient être comblés. J’ai souvent remarqué que ces chimères de cauchemar pullulent dans ce quartier hospitalier.

Je comprends. Le temps, la maladie, les décès. Des enfants morts nés aux vies volées avant même d’avoir réellement commencé, sans parfois un pourquoi pour pouvoir l’expliquer. Les gens ne pensent jamais avant qu’il ne s’avère trop tard à l’impotence, au handicap, à la diminution physique ou à la démence. À ces stades de la vie où chaque minute possède une durée épouvantablement longue et vide, où l’on attend avec impatience le tranchant de la lame de la chevaucheuse de la mort. Est-ce horrible, absolument non éthique ni politiquement correct de dire qu’on ressent une impression horrible de temps gaspillé alors que le résultat final s’avérera impitoyablement fatal. Où se cachent dans ces cas-là, les ricaneurs dragons de brume, ces maudits glaneurs du temps des démons ?

Suis-je un monstre de penser cela, moi qui vois sur la montre de ma voiture deux heures vingt s’afficher et qui ne suis pas encore arrivée à ma destination ? Je ne sais pas. J’ai… j’ai peut-être commencé à changer depuis que je l’ai rencontré… Le marchand de la vingt-cinquième heure.

Je tente de me reprendre dans un ultime sursaut d’honneur envers l’humanité. Je me fustige alors en me rappelant que toute vie a un sens et que chacun a le droit à un petit bout de bonheur, même si c’est simplement la bouillie pour édentés du quatre heures, le sourire d’une mère pour son bébé, ou le plaisir du spectacle d’un ciel étoilé.

 La nuit. Elle s’enfuit, et le temps passe, en cette époque de carnage où l’on ne nous autorise pas à ignorer comment le monde se porte mal. Ma radio diffuse d’ailleurs des informations. Tiens, là, une inondation, ici un séisme, là encore un raz de marée. Un attentat à l’explosif. Un avion qui est tombé dans une région enneigée. La bourse qui, une nouvelle fois, menace de s’écrouler aux mains de vils spéculateurs.

Bon, bon, bon.

Non, non, non.

Non, il n’y a pas un dragon de brume qui est enroulé sur le siège passager à côté de moi et qui ronronne en écoutant le débit de paroles monocordes par le haut-parleur. Je l’ignore superbement, et tente de me concentrer. Je suis connue pour m’endormir au volant et mon état d’épuisement me pousse à redoubler d’attention. Je ne peux pas mourir ce soir. Je n’ai pas même pas de temps à gaspiller pour le houspiller. Au moins, suis-je presque arrivée.

Là où je m’arrête, plusieurs véhicules stationnent. Nous ne nous trouvons pas non plus très loin de l’un des derniers arrêts de métro de la ligne. L’angoisse m’étreint. Et si ces voitures garées étaient également là pour lui ? J’ignore totalement si je le trouverai là ce soir. Je tremble à l’idée même qu’il n’ait plus de marchandise à cette heure tardive. Je tente de me donner du courage en me disant que vu que je ne cesse d’apercevoir des créatures reptiliennes de l’ombre, c’est qu’on sait que je vais ce soir me présenter. L’identité cosmique du « on » ? Je préfère ne pas m’interroger. Aussi bien ma santé mentale que mon agnostisme risqueraient d’en prendre un coup. Des dragons de brume, invisibles aux autres et qui virevoltent autour de lieux de ligne de vie brisée, oui, pourquoi pas, mais un dém… Heu, non, ça, non.

J’aperçois la queue, là-bas, comme d’habitude, devant l’horloger du « Temps perdu » et en face du restaurant abandonné à l’enseigne vacillante « Au banquet de Faust ». J’accélère avant que quelqu’un surgisse de je ne sais où et vienne me piquer ma place. Devant moi, se tient un jeune homme en T-shirt et jeans malgré la température. Il lit des pages manuscrites et je pense qu’il doit préparer un examen quelconque. Il bouge dans tous les sens, mais je ne crois pas que cela soit dû au froid. Je penche plutôt pour un excès de produits excitants. Pourtant, il doit en arriver au bout des effets, car par moment, son menton tombe brutalement et ses genoux manquent de ployer avant qu’il ne se reprenne. L’homme, devant lui, lui adresse des coups d’œil inquiet. Il redoute visiblement que le jeune ne s’effondre sur lui par mégarde. Celui-là officie visiblement en tant que cadre. Celui qui le précède encore porte un costume et un attaché-case. Un commercial, visiblement. J’ai souvent remarqué cela. Tout le monde court après le temps, mais peu trouvent le marchand de la vingt-cinquième heure. Souvent, il s’agit d’intellectuels ou de diplômés. De gens qui savent la valeur de ce qui se marchande ici et le coût réel de que cela peut représenter ? D’êtres capables de s’isoler des ricanements médisants du vent mauvais et de se convaincre qu’ils ne se tiennent pas au seuil des enfers ?

 Cette place ne se trouve nulle part. Pour l’avoir cherchée une fois en plein jour afin de « prendre de l’avance sur du temps qui allait mettre nécessaire », je ne l’ai pas trouvée. Personne ne parle ce soir, mais si l’un de nous osait poser la question de la provenance des uns et des autres, je sais que nous nous découvrirons originaires de villes très éloignées. Pourtant, chacun avouerait qu’il n’a mis que vingt-quatre minutes pour parvenir jusqu’à cette ruelle obscure. Ce qui est impossible n’est pas de ce monde. Je rêve, je songe, je dévie. Je ne suis pas ici.

J’ai avancé de plusieurs pas sans même m’en rendre compte, ce qui signifie que certains sont passés, ont pris la dose qu’ils étaient venus quémander et sont partis. Frustrés ou satisfaits ? Je l’ignore. Le temps est comme la file, il est sensé s’écouler qu’en sens unique. Enfin, voilà ce que je croyais, avant que la rumeur du marchand ne me parvienne. Celui qui m’en a parlé sous le sceau inquiet du secret est un informaticien qui établit toute la nuit des lignes de codes. J’ai failli ne pas le croire, mais un terrible doute m’a envahie. Alors, je n’ai pas tenu vingt-quatre heures suite à cette révélation et moi aussi, je suis partie en quête de la vingt-cinquième heure. Celle qui vous manque toujours, celle qui vous manque déjà.

Le temps, le temps, le temps.

Un poison, une respiration, une nécessité.

Une fois qu’on y a goûté, on ne peut plus s’en passer.

Mon tour ! Mon tour arrive et je me retrouve face au marchand de la vingt-cinquième heure. En le voyant, on ne dirait ni un démon, ni un dealer. Juste un homme brun et souriant qui vous regarde de ses grands yeux noir ardent. De son visage et de son habillement, je n’en ai aucune idée, car mes pupilles ne sont braquées que vers ses lèvres dont j’attends un « oui » béni quand j’aurai fini de bafouiller ma demande. Il m’a écoutée d’un air songeur, mais amical. Il semble réfléchir un moment.

Je tremble. Et s’il disait non ?

Panique ! Affre. Doute. Supplice !

J’en appelle dans mon esprit aux petits dragons de brume qui envahissent désormais mes nuits de doute, m’accompagnent en mes jours sombres, et devancent mes pas quand ils croisent la mort. Qu’ils soient mes messagers ! Qu’ils lui disent que je n’ai pas trahi l’existence secrète des heures volées et que j’ai horriblement besoin de ces quelques heures supplémentaires qu’il pourrait m’accorder.

Le marchand de la vingt-cinquième heure ne se fait payer en aucune monnaie. Toutefois, nul ne le prend pour un bienfaiteur donateur, nul n’oublie qu’il s’agit d’un vendeur. Cependant, si l’on s’inquiète soudainement de qui paye, ou à quel moment il est temps de rembourser, alors…

— Accordé, accepte soudainement le marchand.

… alors autant ne pas se poser de questions et laisser le temps vous emporter et vous écraser. Autant ne pas venir en ce lieu de perdition et s’interroger sur le sens du mot « damnation ». Autant ne pas se demander si cette vingt-cinquième heure, qui n’existe sur aucune montre et que l’on vient de se faire octroyer, sera prise sur votre existence ou sur celle d’autrui.

Car, lorsqu’on a goûté au plaisir suave du temps contrôlé et accordé…

On en vient à ardemment désirer que, quelque part, sur le bord d’une route inconnue, à quarante-huit minutes fatidiques de distance, se trouve un marchand de la vingt-sixième heure. L’atteindre de toute façon ne constituerait pas une perte de temps, car à partir de l’instant précis où l’on baisse les yeux, qu’on se détourne de son sens moral et que l’on accepte de partir à sa recherche, les secondes sont suspendues.

Pas la peine de rouler comme un fou au retour pour utiliser cette heure divinement ou diaboliquement accordée. Pour rentrer, il suffit d’un battement de cil, comme pour s’extraire d’un rêve.

Je me retrouve devant mon écran d’ordinateur qui m’annonce de façon guillerette qu’il va tenter de récupérer mes données suite à un « léger incident ». Mon regard injecté de sang s’élève vers la pendule murale au-dessus de mon bureau. Il est une heure moins neuf du matin.

Je ne vais pas dormir de la nuit. Je vais travailler comme une folle pour recommencer tout ce que je viens de perdre en données. Je vais suer larmes et sang, à m’en laminer les doigts, à m’en crever les yeux, à m’en faire carboniser le cerveau.

La revue sera prête demain, afin de voir naissance en cette aube précise qui a été décidée il y a déjà neuf mois. Pour que le projet vive, je n’hésiterai pas à y sacrifier des heures entières de ma vie. Pour mes amis, pour nos héros, pour nos récits !

Non, finalement, le marchand de la vingt-cinquième heure est peut-être un mécène désintéressé que seul le vent de notre réussite viendra payer. Car pour le plaisir des lecteurs, qu’est-ce donc, pour un auteur, que d’offrir de façon consentante des parcelles de son âme et de sa vie ? Rien. Néant. De toute façon, elles appartiennent déjà au public qu’il sert.

Des vociférations, ainsi que des bruits sourds et répétés, résonnent depuis l’étage d’au-dessus de mon bureau. Un petit dragon de brume ronfle, roulé en boule, à deux pas de ma souris. Je le caresse et je souris alors que, là-haut, se poursuivent les cris.

Moi, je n’ai plus peur. Mes doigts cavalent déjà sur le clavier au rythme d’une démente symphonie.

Demain, j’aurai fini.

 

 

FIN

 

 

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Nous publions aujourd'hui la nouvelle d'une consœur, Andréa Deslacs, œuvrant pour la revue Etherval dont le numéro 1 paraîtra le 28 octobre 2012.


 

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ETHERVAL 1 : LA TRAHISON 

« TU QUOQUE FILI ! »

 

Six nouvelles de Fantasy, de Fantastique et de Science-fiction

peuplent les pages de ce numéro aux côtés d'articles écrits sur le thème de la trahison

 

 

Nous leur souhaitons bonne chance et grand succès !

 

 


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