29 octobre 2011 6 29 /10 /octobre /2011 15:43

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LE DESTIN DE NAÏLA

CHAPITRE 9


       

           

            Au bout d’une semaine, ils arrivèrent en vue d’un immense volcan. Le bruit était assourdissant. Depuis leur arrivée dans les montagnes, leur chariot avait pris la tête du cortège et là, ils étaient aux premières loges. De grandes coulées de laves passaient non loin d’eux, la chaleur était insupportable, l'air lui brûlait la gorge et les poumons et le sol semblait onduler sous les effluves brûlants. Les Ouargues eux, n’avaient pas l’air gênés. Ils marchaient sur ces pierres bouillantes sans sourciller, avec la même facilité que si c’eut été de l’herbe fraîche.

            Après quelques heures éprouvantes, ils atteignirent enfin le sommet du cratère. En son centre volait une île portant la plus grande ville que Naïla ait jamais vue. Les murs étaient noirs, et de nombreuses tours pointues les dominaient de quelques centaines de mètres. Un mince pont de pierre, tenant par une mystérieuse magie dans les airs rejoignait cette cité. Quand ils s’y engagèrent, la fillette ne put retenir un frisson de peur en jetant un coup d’œil au vide en dessous d’elle. Elle se serra contre Râhgrabk, enfouissant son visage contre lui alors qu'il lui glissait quelques mots rassurants. Arrivés devant l’entrée une lourde porte s’ouvrit. Elle devait mesurer au moins cent mètres et était ornée de sculptures de dragons en marbre blanc. Ils s’engagèrent dans une longue allée surplombée par ces tours gigantesques. Au sein de la cité, l’air était doux et respirable, protégé par une sorte de bouclier de magie lui expliqua-t-on.

L’attelage fut mené au centre d’une petite place où de nombreux gobelins vinrent prendre en charge les animaux et le matériel. Râhgrabk la prit par les épaules et l’amena contre lui. « Ne me quitte pas d’une semelle, je dois demander à mon supérieur un entretien avec les Seigneurs Nouhérés. » Ils se dirigèrent vers les bâtiments voisins. Naïla sentait des dizaines d’yeux se poser sur elle. Elle se sentait très mal à l’aise et se serra plus encore, si toutefois c’était possible, contre son protecteur, évitant de croiser les regards, un bras passé autour de sa cuisse pour être sûre de ne pas le perdre.

Ils entrèrent dans une sorte d’armurerie où un immense Grorque était occupé à aiguiser les lames. « Chef Lurtz, dit Râhgrabk, je dois m’entretenir avec toi. » Celui-ci se retourna et posa son regard directement sur la fillette. « En effet, je vois que tu m’as ramené un cadeau ! » En prononçant ces mots, il arborait une sorte de sourire sadique plutôt inquiétant. Naïla lui tira la langue et se cacha derrière la jambe de son ami. « Non, elle n’est pas pour toi, reprit Râhgrabk, elle s’est enfuie du village que nous attaquions et s’est cachée dans ma charrette. Elle a tué Garland. Je voudrais demander l’autorisation d’en faire mon élève.

-Tu sais à quoi t’attendre ? Moi j’m’en fous, mais toi t’as l’air attaché à elle… Tu vas rien regretter ?

-Non. Son destin m’intrigue. Elle m’intrigue. Regarde son visage, elle n’a souffert de sa blessure que quelques jours. » Lurtz saisit l’enfant par le bras et la tira vers lui. Il la fit tourner sur elle même, lui tâta les bras, les jambes, lui tourna la tête sans ménagement. La fillette ne broncha pas et ne détourna à aucun moment ses yeux du regard inquisiteur du Grorque. « T’as p’t’être raison. Elle a du caractère en tout cas. Et pis qui sait, à quinze ans elle sera sûrement un excellent sac à foutre ! » Il ponctua sa phrase d’un immense éclat de rire mais Naïla, retournée contre son ami, le sentit se crisper à ces mots qu'elle ne comprenait pas. « C’est fou, t’y tiens vraiment ! Bon j’vais voir c’que j’peux faire pour toi. Tu devrais aller l’arranger un peu, on dirait une souillon ! » Il quitta la pièce puis se retourna et lança : « Un jour s’ils te la laissent, je suis sûr que tu te la baiseras. » Puis il repartit. « Ça veut dire quoi s’qu’il a dit ? demanda Naïla.

-Rien. Laisse tomber c’est un connard. » Jamais encore elle ne l’avait vu dans un tel état de colère. Tous ses muscles étaient tendus à bloc, ses yeux jaunes semblaient flamboyer, et sa lèvre supérieure se soulevait en un tic nerveux, découvrant ses crocs saillants. Après quelques secondes où elle se demanda s’il n’allait pas lui broyer l’épaule sans le vouloir, il l’emmena dans une tour, marchant à grands pas qu'elle devait suivre en courant. A priori c'était la tour d’habitation réservée aux guerriers Grorques.

            Les appartements de Râhgrabk étaient très grands, à l'avant-dernier étage. Ils étaient composés d’une grande chambre confortable, une cheminée, de grandes fenêtres donnant directement sur le cratère flamboyant, une salle d’ablutions, et divers instruments pour se muscler ainsi qu’un râtelier d’armes plutôt fourni. Il lui prépara un bain, et la laissa se laver seule pendant qu'il préparait, en déchirant des pans de tissu, quelques habits propres. Il l’aida ensuite à les nouer sur son corps, puis d'une voix sombre il dit: « Naïla je suis désolé mais il est temps d'enlever les fils de ta plaie. Elle a bien cicatrisé et tu auras l'air plus présentable face... aux Maîtres. » Elle frissonna et porta la main à son œil. Les épais fils dans sa peau lui paraissaient durs comme du poil de ouargue et elle avait peur de ce à quoi elle allait ressembler. Il y avait un miroir dans la chambre mais elle avait pris soin de ne pas se retrouver en face. Néanmoins, inquiète, elle finit par s'en approcher pendant que Râhgrabk était allé chercher de quoi la soigner.

            Elle fut horrifiée par le reflet qu'elle aperçut: une petite fille maigre, habillée de haillons et dont la moitié droite du visage était traversée par d'épaisses hachures noires. La main longeant la cicatrice, sentant sous ses doigts les aspérités rigides du fil de suture, elle se mit à pleurer sans même s'en rendre compte. C'est la main de son ami dans son dos qui la ramena à la réalité. Sans un mot il la fit asseoir sur le rebord de son immense lit, et sans un mot, muni d'une pince fine et d'une lame, il entreprit de défaire les sutures.

            Naïla ne disait rien, ne bougeait pas. Elle sentait bien la douleur dans son œil, sa joue, son front, sa peau qui tirait quand les fils venaient, mais tout ça lui était égal. Elle avait perdu son visage. Il ne lui restait plus rien à cause de l'inaction des Dorélhôrs. Elle avait perdu un ami, sa famille, son foyer et même son visage. Elle sentit quelque chose d'humide sur sa plaie. Râhgrabk lui passait un linge imbibé d'un produit à la forte odeur d'alcool. En regardant autour d'elle, elle vit une multitude de morceaux de fil ainsi que le linge légèrement sanglant. Levant les yeux vers le miroir elle vit son visage barré d'un large trait clair et renfoncé dont toute la longueur était parsemée de petits points rouge. L'emplacement des fils. Ses larmes ne coulaient plus mais elle ne voulait plus toucher cette marque.

            Râhgrabk lui fit un sourire triste: « voilà, tu est presque comme neuve. D'ici quelques temps ça ne se verra plus autant. » Il rangea le matériel et revint lui faire une caresse sur le haut du crâne puis alla lui même s’apprêter. Il passa une armure de cuir, noire et rouge, estampillée d’un dragon cabré. La fillette ne put s’empêcher d’observer le corps de la créature qu’elle avait en face. Jusqu’à présent, elle n’avait pas vraiment fait attention, mais elle remarqua que son nez, ses oreilles, son torse, son ventre et la base de son sexe étaient percés d’anneaux dorés. Elle fut captivée par cette beauté. Ces bijoux mettaient en valeur son corps si puissant et elle était fascinée par ces morceaux de métal traversant la chair, se demandant à quoi ça servait, pourquoi ils en avaient presque tous? Quand Râhgrabk se rendit compte que la fillette le fixait, il eut un sourire gêné et fini de s’habiller rapidement.

            Après quelques minutes d’attente silencieuse et peut-être un peu gênée, assis chacun d’un côté du lit, on frappa à la porte. Naïla sursauta et la voix de Lurtz résonna : « C’est bon, ils vont te recevoir. Venez avec moi ! » Ils sortirent donc et suivirent l’Orc. Son regard était dur et il dégageait une impression de colère immense. Ils traversèrent de longs couloirs noirs, montèrent des escaliers en spirale interminables, passèrent sur des ponts et des passerelles au-dessus de cours, de rues et de bâtiments. Tous ceux qu’ils croisaient les dévisageaient d'un air intrigué et plus ils avançaient vers son destin, plus Naïla se serrait contre son ami.



CHAPITRE 10


            Ils marchaient dans les tours sombres et acérées depuis bientôt une demi-heure, quand, enfin, ils arrivèrent devant une grande porte noire ornée de pierres rouges et d’entrelacs d’argent. Lurtz frappa. Le son de ses coups résonna dans le silence des couloirs pendant un temps qui sembla interminable. Au bout d’une éternité, la porte s’ouvrit sans que personne ne la tirât. Ils entrèrent alors dans une grande salle. Les murs et le sol étaient en pierre noire, comme tout le reste, mais de nombreuses tapisseries tentaient d’apporter un peu de couleur à tout ça. Les scènes au mur représentaient les heures de gloire lointaines du peuple Nouhéré. Des scènes de guerres, des monarques puissants survolant, sur des dragons, des villes riches et magnifiques. Certaines des tapisseries étaient brûlées par endroits. De hautes fenêtres donnaient sur la cité et le volcan environnant et Naïla réalisa qu'ils étaient au sommet de la plus haute tour, à une hauteur vertigineuse.

            Au fond de la pièce, sur un piédestal, siégeait un immense trône de bois rouge sang. Il était gravé de dragons entrelacés et chaque accoudoir avait une forme de dragon cabré, gueule ouverte. Le long des murs, de grands fauteuils disposés en arc de cercle, d'un bois noir, faisaient face au centre de la salle. Tous étaient occupés et Naïla, intimidée par le silence et l’atmosphère pesante, gardait les yeux rivés au sol. Elle sentait la vingtaine de regards posés sur elle et se sentait de plus en plus gênée et minuscule. Arrivés au pied du trône, les deux Grands Orcs s’agenouillèrent. Naïla fit de même après que Râhgrabk lui eut fait signe. Elle se sentait très mal, et avait l’impression que son ventre voulait déménager et vivre dans un autre corps. Une voix s’éleva du trône. Une voix douce, grave, chaude mais sévère : « Alors comme ça, Grorque, tu ramènes ici une humaine et tu prétends qu’elle peut être ton élève ? Ton chef m’a dit qu’elle avait abattu un des guerriers humains réputés. Ce n’était peut être que de la chance ? Je sais bien que votre race possède d’étrange croyance sur le destin inéluctable de toute créature, mais le Destin est une idée stupide et chacun est maître de sa vie et de ses actes. Et que faire d’une enfant normale ? Une future matrice à la limite ? » Il descendit les marches et commença à tourner autour de la fillette. Celle-ci, le regard toujours baissé, ne distingua que ses chaussures. Elle put en détailler chaque centimètre, toutes les broderies argentées sur le tissu noir. La fine semelle de cuir. Les quelques pierres rouges cousues dedans. Le froufroutement de la toile légère de son pantalon bruissait à ses oreilles. Quand il passa derrière elle, le bas de son habit lui frôla le bras, déclenchant un frisson irrépressible. A priori, cela eut l’air de satisfaire l’assemblée et une vague de murmure parcourut la grande salle. Il reprit : « Laissez-nous maintenant, nous devons observer cette créature. Je ne veux pas qu’elle soit perturbée par votre présence. » Les deux Grands Orcs se levèrent et sortirent. Naïla lança un regard paniqué à Râhgrabk qui lui sourit comme il put, apparemment inquiet et agacé par les propos du Nouhéré.

Elle resta à genoux. Les pas des deux géants s’éloignaient. La porte se referma et le temps parut s’allonger indéfiniment. La fillette ne bougeait pas. Elle se sentait observée, scrutée, elle commença à transpirer. Son genou au sol lui faisait mal, elle avait une crampe dans l’autre jambe qui commença à la faire trembler. Le Nouhéré recommença à tourner autour d’elle. Il lui demanda de se lever, lui fit subir un examen détaillé. Ses bras, ses jambes, son dos, sa souplesse, ses articulations. « Regarde-moi. » Il attrapa son menton et lui tourna la tête vers lui. Elle plongea son regard dans le sien et fut saisie. Une telle beauté et une telle grâce étaient-elles vraiment possibles ? Une telle sévérité dans un regard au milieu d’un visage si fin et doux ? Elle fut subjuguée. Fascinée par ces yeux gris entourés de longs cils blancs. Fascinée par cette peau sombre si lisse et parfaite. Par ces longs cheveux blancs tombant en cascade sur ses épaules. Fascinée par cette bouche aux lèvres fines et délicates, découvrant dans un tendre sourire carnassier de magnifiques dents blanches. Elle soutint comme elle put le regard perçant du Seigneur face à elle. Il lui caressa la joue gauche, et une fois de plus la petite fille frissonna, mais il passa ensuite un long doigt fin sur sa plaie. Elle sentit une douleur fulgurante et eut un mouvement de recul qu’elle rattrapa bien vite, puis elle se ressaisit et mit de côté sa joue brûlante et le sang lui coulant dessus. « Très bien jeune fille, je vois que tu es... courageuse. C’est déjà ça. Quel est ton nom ?

-Naïla. » Une gifle violente l’envoya à terre. « Naïla MONSEIGNEUR ! » tonna le Nouhéré. « Pardonnez-moi, Monseigneur. Naïla, Monseigneur. » Elle se redressa et n’essuya ni ses larmes ni le sang qui lui coulait désormais de la bouche. « Très bien. Peut-être ton maître Orc a-t-il raison ? Quel âge as-tu ?

-J’ai huit ans, Monseigneur.

-Veux-tu vraiment devenir l’élève de cet orc ?

-Oui, Monseigneur.

-Sais-tu à quoi cela t’engage ?

-Non, Monseigneur.

-Alors pourquoi dans ce cas ?

-Parce qu'il croit en moi, Monseigneur. Et je n’ai plus rien à perdre, Monseigneur.

-Plus rien ? Je suis sûr que si. Sais-tu à quoi cela engage ton Maître de te prendre comme apprentie ? Tu le découvriras tout à l’heure mais crois-moi, je t’ai vue, il te reste quelqu’un à perdre. Quels sacrifices es-tu prête à faire pour avancer. Pour progresser, pour te montrer digne de notre Armée, de notre Pouvoir ?

-Je suis prête à tous les sacrifices Monseigneur, même si je pense que vous allez accepter la demande de Râhgrabk sinon vous ne m’auriez même pas reçue. » Une autre puissante gifle la jeta de nouveau au sol. Elle se redressa encore et fixa, d’un regard noir, le puissant Seigneur Nouhéré qui l’avait frappée. Elle ne se rendit pas compte que cela le fit reculer d’un pas.

            En revenant à sa hauteur, il souffla entre ses dents, la saisissant par le col : « Quelle impertinence ! Crois-tu que tu mérites l’attention que nous acceptons de te porter ? Pour qui te prends-tu ? » puis il se tourna vers l’entrée et hurla : « Que l’on fasse entrer l’épreuve ! L’interrogatoire est fini ! Maintenant elle devra vaincre ou mourir ! » La porte s’ouvrit, laissant Naïla entr’apercevoir son ami, arborant un air inquiet qui vira à la panique quand il vit la fillette couverte de sang. Un jeune homme entra puis la porte claqua. Il s’avança et s’agenouilla au centre de la pièce. C’était un beau blond, très carré malgré son jeune âge. Il ne devait pas dépasser 17 ans, et pourtant il arborait une musculature impressionnante, preuve de l’entraînement intensif qu’il recevait depuis tout petit. Un long bâton d’acier ornait son dos. « C’est un combat à mort. Naïla tu n’as pas d’arme à cause de ton impertinence, débrouille-toi. Tous les coups sont permis. Ce garçon est né chez nous, il est un des meilleurs des jeunes apprentis humains… Je te souhaite une mort rapide. » Après ces encouragements, le Seigneur des lieux rejoignit son trône, un sourire mauvais sur le visage.

Le jeune homme se leva dégaina et se rua sur Naïla avant même qu’elle ait pu réagir. Elle prit son coup dans l’estomac et s’écroula en vomissant, le souffle court. Elle eut à peine le temps de reprendre sa respiration quand un deuxième coup dans le dos la rejeta à terre. Quand, pour la troisième fois, elle vit l’arme s’abattre sur elle, elle roula sur le côté pour esquiver. Elle entrevit le sourire réjoui du Roi Nouhéré, ce qui eut pour effet de la mettre hors d’elle. Elle se releva alors pour faire face à son adversaire. Ses côtes lui faisaient mal et le sang séchant sur son œil la gênait mais, comme pendant le combat avec Garland, la rage avait repris le contrôle de son corps ! Elle se jeta sur le garçon et lui sauta sur les épaules. Déséquilibré par ce poids inattendu, il chuta en arrière. La fillette se retrouva alors à genoux sur son thorax. Elle commença à lui asséner de violents coups de poings au visage. Elle retrouva son rire d’enfant heureux. Elle aimait sentir le contact dur des os, la vive douleur dans ses jointures, la torsion brusque du nez… Mais le jeune homme, en poussant sur ses jambes parvint à la basculer et à se relever. Il était fort, pas elle. Elle devait être rapide. Elle se rejeta sur lui mais cette fois lui asséna un coup de tête dans l’entre-jambe. L’adolescent s’écroula, les mains sur le bas ventre. Elle lui attrapa les cheveux et heurta son crâne sur le sol. Puis elle le retourna, se rassit sur son torse et lui enfonça les pouces dans les yeux et recommença à rire en sentant l’épais liquide chaud couler sur ses doigts. Les hurlements du garçon la faisaient vibrer ! Elle aurait voulu que ça ne s’arrête jamais, sentir cette force pour toujours, ne pas redevenir la frêle gamine qu'elle était... mais le Seigneur Nouhéré lui ordonna de l’achever. Elle posa ses minuscules mains sur le cou de la victime et y enfonça ses ongles… Elle prit le temps, par provocation comme par plaisir, puis finit de lui arracher la gorge, profitant des derniers soubresauts et glouglous du jeune guerrier, s'étonnant de la fragilité de la peau qui se déchirait si bien sous ses doigts. Enfin, elle se redressa, essuya le sang de ses mains sur ses vêtements, puis se tourna vers les spectateurs médusés et salua, souriante.



CHAPITRE 11


            Le Seigneur Nouhéré, la mine déconfite, tendit la main vers la porte qui s’ouvrit aussitôt. Les deux Grands Orcs rentrèrent et le visage de Râhgrabk s’illumina en voyant sa protégée vivante. Ils s’agenouillèrent à nouveau. « Comme vous le voyez, commença le Maître des lieux d'une voix glaciale, l’enfant a vaincu. Elle a donc, en effet, du potentiel. En revanche elle n’est pas encore votre élève. Vous savez que pour cela, Grorque, vous devez affronter votre supérieur et le mettre à mort, seuls les Maîtres peuvent avoir des élèves personnels. Il est bien plus guerrier que vous et vos duels amicaux du passé se sont souvent soldés par des échecs pour vous. De plus, si vous échouez, la fillette finira comme le décidera votre chef. Vu le regard qu’a ce dernier, je crains que le destin de la jeune fille ne soit… agité… profondément agité. » Il avait insisté sur ces derniers mots d'une manière que Naïla ne comprit pas mais un grand sourire malveillant éclaira le visage du roi et une lueur lubrique traversa les yeux de Lurtz qui se passa la langue sur les lèvres en regardant la petite fille.

            Naïla en apprenant tout cela fut bouleversée. Alors son défenseur allait devoir tuer son supérieur et ami ? Il allait devoir risquer sa propre vie pour la former ? Elle se senti brusquement de trop, mal à l’aise et recula vers les murs cherchant à se faire oublier. « Vous avez le choix des armes, le combat débute quand vous le souhaitez. » Un grand râtelier fut amené et Lurtz prit une épée à deux mains, Râhgrabk lui, choisit deux énormes cimeterres, chacun d'eux faisait presque la taille de Naïla... mais ils semblaient bien plus lourds. Ils se firent face, l’air grave, Râhgrabk n'osant lever les yeux sur son ancien mentor et Lurtz chargea le premier, un sourire carnassier aux lèvres.

            Le début du combat fut effrayant. Les lames filaient en tous sens, s’entrechoquant dans un bruit d’enfer. Les deux géants se tournaient autour à un rythme fou. Lurtz donnait des coups puissants, Râhgrabk était rapide. C’est bizarre quelqu’un d’aussi énorme qui bouge si vite. La fillette impressionnée s’était, sans le vouloir vraiment, rapprochée d’une des deux rangées de Nouhérés. Eux-mêmes, sans doute pour mieux profiter du spectacle, s’étaient levés. Elle sentait l’un d’eux juste derrière elle mais n’y prêtait aucune attention, trop captivée et apeurée par la joute. Elle ne pouvait s’empêcher d’admirer son nouvel ami se battre ainsi. Il était beau, et c'était la première fois qu'elle le voyait comme ça, lui qui avait été si calme jusqu'à présent, elle le voyait enfin comme le guerrier qu'il était.

            Au bout d’une vingtaine de minutes de combat acharné où il était impossible de dire lequel des deux combattant avait le dessus, Lurtz s'écarta, la pointe de sa lame posée au sol, lui servant à prendre appui sur l'épée, a priori fatigué. Râhgrabk s’arrêta aussi, le souffle court. Ils se fixèrent, se jaugèrent. Lurtz jeta un regard à la fillette, puis bondit sur son ennemi. Surpris, Râhgrabk tenta de parer mais la puissance du coup ainsi que le poids de la lame eurent raison de ses défenses et la lourde épée entailla profondément l’épaisse armure de cuir. Du sang coula. L’orc hurla de douleur et recula d'un bond. Naïla, paniquée, cria et se retourna, se cachant le visage dans les habits du Nouhéré dans son dos. Celui-ci au lieu de la repousser lui mit la main sur l’épaule et la retourna vers la scène. Elle le dévisagea, se rendant compte de la situation. Il était d’une beauté à couper le souffle. Il émanait de lui une impression de noblesse et de puissance incroyable. Sa peau gris fer était très douce, son regard dur et tendre à la fois, peut-être à cause de ses longs cils blancs. Ses doigts étaient fins et graciles, munis de longs ongles noirs et acérés. Elle sentit tomber sur son épaule ses cheveux blancs. Son crâne était parfaitement rasé sur les côtés n’arborant que cette crête de longs cheveux blancs magnifiques. Il se pencha vers elle et lui chuchota : « Hyaguilé noléné raâlohr falkia. Garde toujours les yeux sur ce qui t’effraie. » Curieusement, alors qu’elle était au bord des larmes quelques secondes avant, elle reposa les yeux sur la scène. Elle n’avait pas saisi les mots elfiques, cette langue différant beaucoup de celle des Dorélhôrs mais la voix du Nouhéré avait su la rassurer.

            Son ami saignait abondamment et avait l’air de souffrir, la respiration sifflante, les tempes couvertes de sueur. Lurtz regarda la fillette triomphant, se passant une main sur l'entrejambe de manière équivoque... Elle lui en rendit un regard plus noir et plus mauvais que celui d’un démon. L’orc parut déstabilisé un instant mais se reprit bien vite. Il n’allait pas se laisser impressionner par une gamine ! Râhgrabk se releva péniblement, s’appuyant sur une de ses lames. Il tenta de porter un coup mais la douleur le figea et il frappa dans le vide avant de retomber à genoux. Son souffle se transformait en râle rauque et chaque effort pour inspirer faisait couler un peu plus de sang mais il ne voulait pas arrêter le combat, il ne pouvait pas laisser Naïla à la merci de son ancien maître. C'est donc la rage au ventre qu'il se releva et se précipita en rugissant sur Lurtz. Ce dernier, surpris, ne pu esquiver parfaitement et se fit entailler une cuisse. Il grogna et reprit le combat férocement attaquant avec encore plus de force et de violence un Râhgrabk affaibli mais enragé. Ce dernier avait les yeux flamboyants de colère, un rictus déformant son visage et dévoilant ses crocs, de la salive sanglante coulant au coin de sa bouche.

            Pour la première fois depuis le début de la joute, Râhgrabk prenait le dessus. Sa vitesse augmentait chaque fois, il semblait ignorer les gerbes de sang qui jaillissaient de son torse, la douleur n'existait plus, il était dominé par la colère. Lurtz quant à lui déchantait. Il ne faisait plus que parer, se retrouvant rapidement acculé dans un coin de la salle immense, essayant au mieux d'arrêter les violents coups de Râhgrabk. Il ressentait la peur et perdait confiance mais la vitesse et la force de son adversaire baissait. Sa blessure était profonde et toute sa rage n'empêchait pas son sang de couler, il faiblissait, et Lurtz s'en aperçut. Il attendit le bon moment et quand il sentit les mouvements de son ancien apprenti ralentir, quand il vit ses yeux se voiler légèrement il attaqua. Il porta un puissant coup du plat de sa lame sur l'épaule du grorque qui poussa un cri de douleur et recula, manquant tomber en arrière, il se rattrapa en se servant d'un cimeterre comme béquille. Mais Lurtz avait repris du poil de la bête et ne comptait pas laisser son rival reprendre le dessus. D'un autre coup violent il lui frappa l'avant bras, lui faisant lâcher une de ses armes.

            Cette fois, la colère, la peur ou aucun sentiment ne purent redonner de la force à Râhgrabk qui, à genoux, en appui sur sa lame restante, crachant du sang, peinait à respirer. Lurtz éclata d’un grand rire victorieux puis, se tournant vers le Seigneur Nouhéré, dit : « Et bien je crois que notre ami désormais n’est plus en position de se battre. Je suis donc vainqueur !

-Allons seigneur Grorque, répondit le Roi un sourire tendre aux lèvres, je croyais vous avoir dit qu’il s’agissait d’un duel à mort ? Pourtant, votre vieil ami n’est que blessé… demanderiez-vous ma miséricorde ?

-Non Monseigneur. Je vais l’achever… ce vieil ami. » À ces mots il se retourna sur son adversaire encore au sol et leva son épée pour lui asséner le coup fatal. « Un dernier mot Râhgrabk ? » Celui-ci regarda vers la fillette et souffla : « Je suis désolé. » Naïla en entendant ça ne put retenir ses larmes et voulut se jeter au milieu mais une longue main gris fer la retint fermement. « Non ! Dis pas ça ! » cria-t-elle au milieu de ses pleurs : « Tu peux pas mourir et me laisser toute seule ! Je sais que t’es assez fort ! Je t’en supplie… » Puis elle s’écroula à genoux elle aussi, rongée par le même sentiment d’impuissance qu’en voyant son village massacré sans pouvoir rien faire. Les larmes se mêlant à sa plaie rouverte lui faisaient mal, elle avait envie de vomir et d’uriner, ses côtes la torturaient et elle avait la désagréable sensation que sa vie allait s’écrouler. En voyant ça, Râhgrabk ferma les yeux, sans bouger. Pour la fillette, tout se déroula alors comme au ralenti. L’épée de Lurtz commença sa descente vers la nuque tendue de sa cible. Soudain, le bras de l’Orque blessé se tendit vers elle, et bloqua la lourde lame sur ses protections d'avant bras. Le cuir d'ouargue était solide mais la lame traversa tout de même et lui entailla profondément la chair. Son autre main qui tenait toujours un cimeterre plongea alors dans le ventre du Seigneur Grorque qui s’effondra, les yeux écarquillés et la bouche entr'ouverte sur un cri de surprise.

            Râhgrabk se releva et d'un geste lent remonta sa lame dans les entrailles de son maître. Enfin, il lâcha sa lame, se tourna vers l’assemblée et poussa un long hurlement victorieux avant de tomber de nouveau à genoux, à bout de souffle. Naïla, soulagée et ravie se jeta contre lui, oubliant qu’il était blessé. Il la serra dans ses bras en dépit de la douleur et l’embrassa sur les joues, les yeux et le front, puis se tourna face au Roi Nouhéré : « Alors Monseigneur ? Sera-t-elle mon élève ? » La fillette serrée contre son ami, attendit la réponse, fixant de ses yeux humides le puissant Elfe noir. « Vous avez l’un comme l’autre prouvé que vous méritiez de nous servir. Toi… humaine, tu nous a montré que tu avais un talent prometteur. Montres-nous maintenant que tu mérites l’honneur que nous te faisons et surpasse tous ceux de ta race. Je te déclare officiellement élève Guerrier Grand Orc. Tu devras respect et obéissance à ton Maître …Râhgnok ? Quant à vous, vous êtes désormais le plus haut gradé de votre race, ne nous décevez pas. » La petite fille et le Grorque s’inclinèrent en même temps, puis, en ayant reçu l’ordre, se retirèrent.



CHAPITRE 12


            Ils retournèrent difficilement dans les appartements de Râhgrabk et Naïla lui proposa de guérir ses plaies. Elle avait l’habitude de soigner ses frères et sœurs, et pour ce qu’elle ne saurait pas faire, il le lui expliquerait. Délicatement, elle l’aida à ôter son armure. Il grogna au moment de retirer son plastron, la plaie étant assez profonde mais a priori sans gravité, le sang commençait à coaguler. Pendant que Râhgrabk préparait les bandages, Naïla prépara un bain chaud et aida son ami à s’y plonger. La douleur commençait à se faire sentir sérieusement et ses mouvements devenaient difficiles. L’eau vira vite au rouge, le sang continuant de couler en de légers filets. Celui qui avait déjà séché partait difficilement sous l’éponge de l’enfant. « On voit que tu as l’habitude, lui murmura Râhgrabk, je ne ressens pas de douleur de ton contact.

-Les gosses ça se fait tout le temps des bobos et je déteste quand ils braillent alors il faut bien apprendre à faire doucement.

-Qui croirait que tu as déjà tué deux personnes ? Tu es toute petite, toute fine, tu as un visage d’ange… Au pire ce sont tes yeux qui peuvent te trahir, mais jamais il ne viendrait à l’esprit que tu peux faire partie des puissants guerriers Grorques.

-Tant mieux ! La surprise est une bonne arme paraît-il. » L’orc sourit tendrement.

            Quand elle eut fini de soigner la blessure de son torse et entreprit de nettoyer celle de son bras, elle se mit à pleurer. « Allons, qu’est-ce qui ne va pas ? » demanda son ami en lui relevant le visage. « C’est ma faute si t’es blessé… Je savais pas… Je suis désolée. » Elle sanglotait maintenant assez fort, comme la petite fille épuisée qu'elle était. « C’est juste une cicatrice de plus, rien de grave. Et pis à cause de moi ton visage est abîmé, on est quitte ! » Elle renifla puis reprit ses soins, tentant de retenir ses larmes. En la regardant faire, le Grand Orc fut étonné de voir une si petite main sur son corps si massif, il se demandait vraiment comment elle avait fait pour survivre à tout ça.

            Maintenant la blessure lavée il fallait la fermer. Naïla aida son ami à s’extirper du baquet puis à se sécher le dos, mais elle dû monter sur une table pour atteindre ses épaules. Quelle créature immense ! Il lui expliqua ensuite comment faire un bandage correct et solide, puis, quand tout fut fini, elle l’aida à se coucher et alla elle-même se laver et se soigner. Il lui dit qu’elle devait avoir des côtes cassées mais qu’il n’y avait pas grand chose à faire pour les soigner, super, donc elle allait souffrir un moment. La plaie de son œil qui commençait à peine à cicatriser avait été rouverte par le Nouhéré et elle dut désinfecter seule cette blessure douloureuse, serrant les dents et les mains tremblantes. Elle avait mal, elle avait eu peur, elle était en terrain inconnu au milieu de milliers de monstres... Épuisée et lasse, elle s'écroula, adossée au grand bac de bois qui servait de baignoire et se mit à pleurer. Elle avait l'impression de ne plus pouvoir retenir ses larmes, sa peine, sa peur, sa douleur... Que toutes ses émotions refluaient d'un coup, elle revoyait son village brûler, sa mère la supplier, le visage des deux êtres qu'elle avait tués... Elle resta les genoux repliés sur elle-même à sangloter pendant de longues minutes puis exténuée, elle sécha ses pleurs, se releva puis retourna dans la chambre.

            Râhgrabk ne dormait pas, et il lui fit signe de grimper sur le lit, il verrait demain pour lui faire faire un lit à sa taille. La petite fille se hissa donc sur sa couche et se glissa bien vite sous les draps, contre l'orc, rassurée par cette seule présence familière. Il la regarda quelques instant, puis bercé par sa respiration lente, il finit aussi par s'endormir.

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commentaires

S
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A
<br /> <br /> C'est magnifique, facile à lire, j'ai déjà les larmes aux yeux....complètement fan.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Bravo Solenne. ce sont les seules mots que je peux dire, gros poutouXXXX<br /> <br /> <br /> <br />
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P
<br /> <br /> J'adore se roman et j'attend la suite des aventures de Naïla avec impatience maintenant ! A quand le chapitre 13 ? J'ai trop hate de savoir ! <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> En tout cas bravo à l'auteur . <br /> <br /> <br /> <br />
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Y
<br /> <br /> Les chapitres 13 à 16 vont être publiés ce soir. <br /> <br /> <br /> Encore un peu de patience et vous connaîtrez la suite des aventures de Naïla !<br /> <br /> <br /> <br />