31 août 2013 6 31 /08 /août /2013 17:13

 

 

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Le Sacrifice du Dragon

 

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Laurent "Dragon" Royer

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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31 août 2013 6 31 /08 /août /2013 17:02

 

 

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Le Sacrifice du Dragon

 

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Laurent "Dragon" Royer

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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31 août 2013 6 31 /08 /août /2013 16:56

 

 

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Le Sacrifice du Dragon

 

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Laurent "Dragon" Royer

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 





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16 mars 2013 6 16 /03 /mars /2013 18:25

 

 

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Le Sacrifice du Dragon

 

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Laurent "Dragon" Royer

 

 

 

 

 

 

 

 

CHAPITRE 12

 

 

       

 

 

Le puits se trouvait à proximité de l’église, sur la place principale, mais on avait eu tôt fait de se rendre compte que le feu avait pris à plusieurs endroits et se propageait rapidement. Il avait donc fallu organiser autant de chaînes humaines que possible. Le problème était que l’on n’arrivait pas à puiser suffisamment de sceaux que nécessaire. Le puits était censé desservir tout un village et on pouvait aisément y plonger quatre à cinq sceaux à la fois mais c’était de les remonter qui prenait le plus de temps.

Il y avait un autre puits dans la cour du château. Plus petit et surtout plus éloigné, il fut pourtant décidé de le mettre à contribution. Une longue file improbable se constitua jusqu’au château. Bientôt les deux premiers sceaux commencèrent à progresser le long de la chaîne mais quand le premier arriva à destination, il était au trois-quarts vide. Au fur et à mesure qu’ils étaient passés d’une personne à une autre, de l’eau s’en échappait inévitablement.

Les autres n’obtenaient pas forcément un meilleur résultat selon qu’ils devaient amener l’eau sur le côté de l’église. Prendre de plus grandes précautions signifiait forcément perdre du temps et laisser le feu gagner du terrain. De toute façon la lutte semblait inégale. Les flammes léchaient goulument la moindre parcelle de bois qu’elles rencontraient, s’y agrippaient comme des sangsues et continuaient leur progression. La fumée noircissait la pierre que la chaleur rendait dangereusement friable. Les vitraux commençaient à se fissurer quand ils ne s’étaient pas déjà déchaussés de leur gangue de plomb. Plomb qui coulait par endroit et grésillait au contact de la pierre chaude.

Régulièrement, on effectuait une rotation dans la file. Ceux qui se trouvaient au plus près des flammes partaient se reposer quelques minutes avant de remplacer ceux qui puisaient. Ces derniers se reposaient un peu également avant de prendre place dans la file et ainsi de suite. Malgré toute la bonne volonté dont il avait été fait preuve, le feu était en passe de remporter la bataille. L’église n’était plus qu’une immense torche qui illuminait le château et les demeures alentours.

Gyls, qui n’avait eu de cesse de déverser de l’eau tant et plus, recula de quelques pas. Il fallait se rendre à l’évidence, l’église était bel et bien perdue. Maintenant, il était impératif de contenir l’incendie, sinon ce serait le village entier qui serait détruit. Une autre préoccupation lui taraudait l’esprit mais il était probablement déjà trop tard. Il se demandait si Mathieu avait réussi à s’échapper de l’église à temps. Il ne l’avait pas aperçu parmi les sauveteurs mais il ne pouvait jurer de rien.

Thomas, aussi épuisé que lui, vint se placer à ses côtés. Il secouait la tête en affichant un air abattu et défait. D’un simple regard, il comprit ce à quoi Gyls songeait :


« Je ne l’ai pas vu et il semble que personne ne l’ait aperçu non plus, dit-il d’un ton las. Il n’est pas impossible qu’il ait voulu défendre la Demeure de Dieu jusqu’à la fin.


— Ce serait bien de Mathieu. Malheureusement, nous ne pouvons sans doute rien faire de plus. Il faut maintenant faire en sorte que le feu ne se propage pas. »


Thomas hocha de la tête en assentiment. Le feu était l’un de ces fléaux contre lesquels il était difficile de lutter. On ne pouvait bien souvent que limiter les dégâts qu’il occasionnait. À cet instant, il ne pouvait s’empêcher de songer que ce terrible événement venait s’ajouter à tous ceux qui les frappaient de plein fouet, à son frère et lui, depuis quelques semaines. Il ne put réprimer l’horrible sensation que ce n’était pas le dernier, que d’autres allaient encore se produire.

Il se rendit compte qu’il avait la gorge sèche et les yeux qui lui piquaient. Il plongea les mains dans un baquet d’eau que l’on avait laissé à la disposition des sauveteurs pour qu’ils se désaltèrent et but quelques gorgées avant de s’asperger le visage. Gyls en fit autant et quand il se redressa, il s’adressa à son frère, d’un ton résigné :


« Bien, puisque l’église est perdue, sauvons le village. Ce qu’il faut avant tout, c’est mouiller la chaume qui recouvre les maisons aux alentours. C’est par là que le feu peut prendre le plus facilement.


— Certes. Je pense néanmoins qu’il faut continuer à asperger l’église. Nous ne parviendrons sans doute pas à éteindre l’incendie mais cela aidera à l’y contenir et donnera du temps à ceux qui s’occuperont des maisons.


— Je suis d’accord. Occupe-toi de l’église, je m’occupe du village. Vous prendrez l’eau du puits de la place ; mes gens et moi utiliserons celui du château. »


Soudain, ils entendirent une exclamation générale provenant de ceux qui se trouvaient face aux portes de l’église. Comme un seul homme, les deux frères pivotèrent dans cette direction pour mieux voir. Les portes qui étaient déjà la proie du feu étaient ouvertes en grand maintenant. Une silhouette se détachait dans l’embrasure et semblait elle aussi faite de flammes.


« Seigneur Dieu Tout Puissant ! cria-t-on. C’est Philippe ! »


Gyls et Thomas se rapprochèrent en courant. L’homme se tenait debout devant les portes, les bras écartés. Contrairement à ce que l’on avait pu croire au premier abord, il ne brûlait pas mais il tenait des torches embrasées dans chaque main. Alors que quelqu’un cherchait à s’approcher de lui, peut-être pour lui porter secours, il le maintint en respect en le menaçant d’une de ses torches.


« Allez-vous en ! cria-t-il impérieux. Fuyez loin d’ici C’est la demeure du Diable. Elle doit être détruite.


— Philippe ! C’est toi qui a mis le feu ? » demanda Gyls, décontenancé par la tournure que prenait la situation.


Il se doutait bien de la réponse et concevait la futilité de sa question mais sur l’instant, c’était tout ce qui lui était venu à l’esprit. Thomas, toujours à côté de lui fit mine de tirer son arme avant de se rendre compte qu’il ne l’avait pas avec lui. Gyls remarqua son geste et lui fit non de la tête. Le mal était déjà fait et il serait toujours possible d’intervenir à temps si Philippe tentait une autre action désespérée.


« La mort de Anne est une tragédie qui nous a tous affectés, reprit Gyls, tout en faisant quelques pas vers le forcené. Nous comprenons ta peine mais ce n’était pas une raison pour brûler l’église. Tu n’as pas fait de mal au Père Mathieu, n’est-ce pas ? Est-il toujours vivant ?


— C’est le serviteur du Malin. C’est lui qui a aveuglé ma si gentille Anne. Qu’il meure ! Qu’il aille brûler en enfer, auprès de son maître ! Il prétendait prêcher la Parole de Dieu mais il ne faisait que souffler les mensonges du Diable.


— Allons, Philippe, lâche ces torches. C’est la peine et la colère qui t’aveuglent et te font agir ainsi. Le Père Mathieu croyait sincèrement qu’Anne avait vu la Vierge. Ton épouse était d’une très grande piété et ne pouvait mentir. Il est certain qu’elle aussi a été trompée et qu’elle a été la première victime de cette tromperie. Regarde, le Père Mathieu tenait à lui donner la sépulture chrétienne qu’elle méritait.


— Ce sont là les preuves qu’il a toujours été au service du Diable, rétorqua Philippe avec véhémence. Après avoir perverti l’âme de mon épouse, il allait profaner une terre consacrée. Par sa présence, il a corrompu ce lieu sacré. Seul le feu peut le purifier. Il en sera de même de la dépouille de ma femme. Ainsi, elle sera libérée du mal ! »


Gyls était à court d’arguments. Plus il cherchait à raisonner Philippe, plus il perdait de précieuses minutes. L’incendie prenait de l’ampleur et n’allait plus tarder à gagner les demeures voisines. Le seigneur de Monval se souvint justement que l’une d’elle était celle de Philippe et de sa femme. Cependant, il doutait qu’en faire mention ferait reprendre ses esprits au forcené.


« Il a perdu l’esprit, Gyls, souffla Thomas au creux de son oreille. Si nous n’intervenons pas, nous courons à la catastrophe. »


Gyls acquiesça de la tête ; il en était arrivé à la même conclusion. Par ce simple geste, Thomas comprit que son frère voulait qu’il donne les ordres qui s’imposaient. Il recula doucement vers la pénombre pour que Philippe ne le voie pas courir vers le château. Il ne pouvait demander aux hommes qui se trouvaient tout près d’intervenir, cela ne ferait qu’éveiller les soupçons du dément. Et puis, de toute façon, personne n’avait emporté d’armes avec soi. De plus, pour éviter d’aggraver la situation, un tir d’arbalète serait le meilleur moyen de l’arrêter.


« Philippe, écoute-moi, dit Gyls pour tenter de renouer le dialogue et surtout pour gagner du temps car, tout comme son frère, il ne croyait plus en une issue moins fatale. Il est normal que tu ressentes de la peine pour la disparition de ta femme. Il est normal que tu sois en colère à cause de la façon dont c’est arrivé.


— Normal, seigneur ? Vous trouvez normal que ma femme prétende voir la Vierge et que le prêtre qui nous rabâche que les esprits n’existent pas la croit. Mon père, lui, était convaincu que la forêt était habitée par des Esprits et qu’il avait pu parler à son propre père qui avait rejoint depuis longtemps le royaume des morts. Le père Sébastyen, d’abord, puis le père Mathieu, ont dit que ces esprits n’existaient pas, qu’ils étaient des artifices créés par le Malin pour nous tromper et nous entraîner en Enfer. Mais quand une femme qui avait été élevée dans la plus dévotion de Dieu se met à voir un Esprit qui prétend être la Sainte Vierge, là, il ne conteste pas. Au contraire, il la conduit jusqu’au lieu du sacrifice ! Alors, mon seigneur, croyez-vous sincèrement que tout ça soit normal ! »


Philippe s’était exprimé avec véhémence, agitant les bras, et les torches à leur extrémité, avec force et grands gestes. La fureur qui lui déformait les traits du visage lui donnait aussi un air réellement démoniaque. Les badauds, pourtant à bonne distance, reculèrent de quelques pas comme s’il allait se mettre à leur foncer dessus et mettre le feu à tout ce qui se trouverait sur son passage, être vivant ou demeure.

Gyls n’osait pas le quitter des yeux, pas même pour s’assurer que Thomas était de retour avec du renfort. Pourtant, du mouvement qui semblait provenir du côté du cimetière qui était encore épargné par l’incendie, attira son attention. Une silhouette difforme et imposante commença s’en détacher dans la semi-pénombre. Il réalisa alors qu’il s’agissait d’une personne qui en soutenait une autre.


« Philippe, mon fils… dit-on d’une voix enrouée, entre deux quintes de toux, le Malin nous a tous trompés… Et il continue de se servir de toi pour accomplir son œuvre… »


Le père Mathieu était à bout de souffle et toussa encore longuement avant de pouvoir reprendre sa respiration. Il s’appuyait contre Thibault qui était lui aussi secoué de quintes de toux. Comme tout le monde restait pétrifié face à cette nouvelle apparition, Gyls fut le seul à venir leur prêter main forte. Il aida Thibault à faire asseoir le Père Mathieu et lui donna de l’eau à boire.


« Philippe, dit encore le prêtre, pourtant épuisé, c’est bien pour éviter au Diable de s’emparer de l’âme de ta défunte épouse que j’ai tenu à ce qu’elle ait droit à une sépulture digne de sa dévotion passée… »


Les yeux révulsés, Philippe regardait le prêtre comme s’il avait enfin la preuve que Mathieu qui se prétendait homme d’église n’était en réalité qu’un démon. Qui, ou plutôt quoi, d’autre aurait ainsi pu échapper aux flammes sinon une créature du Malin.


« À présent que tu as détruit la maison de Dieu, et pire que tu as réduit en cendre la dépouille mortelle de ta femme, je ne vais plus pouvoir accomplir les rites sacrés et permettre à son âme de s’élever auprès du Seigneur. Tu viens de la condamner aux tourments éternels de l’Enfer. »


Gyls se tourna vers son cousin avec une expression horrifiée sur le visage. Peut-être était-ce parce qu’il venait d’échapper à une mort certaine qu’il n’avait pas les idées très claires. Si son intention était de ramener Philippe à la raison, de l’apaiser, son discours n’allait qu’envenimer la situation. C’était comme s’il venait de jeter lui-même un sceau d’huile pour éteindre l’incendie.


« Vous ne comprenez pas, rétorqua Philippe presque calmement. Dès qu’elle a mis les pieds dans cette église, ma femme a pénétré en Enfer. Et puisque c’est là que se trouve son âme, il ne me reste plus qu’à l’y rejoindre ! »


Joignant le geste à la parole, sous le regard stupéfait et incrédule de seigneur de Monval, de son cousin et de tous les spectateurs, Philippe laissa tomber les torches qu’il tenait avant de se tourner sur lui-même et de s’enfoncer dans le gigantesque brasier qu’était devenu l’église. Gyls faillit s’élancer pour l’en empêcher mais on l’attrapa par les épaules pour le retenir. La poigne était incroyablement ferme et quand il regarda derrière lui, s’attendant à voir Thomas, il fut surpris de faire face à Thibault.


« Vous ne pouvez plus rien pour lui, seigneur, dit le jeune homme. Il ne veut pas être sauvé. Quoi que vous puissiez dire, le Père Mathieu ou vous, il a déjà pris sa décision. »


Gyls contempla le jeune homme comme s’il le voyait pour la première fois. L’adolescent qui manquait d’assurance et qui était revenu mort de peur de la ferme du Grand Paul avait visiblement disparu. Il s’était métamorphosé. L’homme qu’il s’apprêtait à devenir était déjà en train de faire surface.

Et comme si le destin avait décidé de clore le dernier chapitre de cette sordide histoire, une poutre céda et barra le passage en s’écroulant en travers de l’entrée. Soudain, un cri, un mélange de terreur et de douleur, s’éleva derrière le rideau de flammes. Ce n’était pas un simple cri. C’était un nom : « Anne ». Philippe s’apprêtait à rejoindre son épouse pour l’éternité. Puis, brutalement, un lourd silence s’installa, seulement troublé par le crépitement des flammes et le craquement du bois.

Gyls se sentait à bout de forces. Il avait l’impression que quoi qu’il fasse, la fatalité se jouait de lui. Les événements tragiques se succédaient les uns après les autres et lui demeurait impuissant à les empêcher de se produire. Il était le seigneur de Monval et il était censé protéger son peuple. On massacrait une famille tout entière, une femme mourrait en buvant de l’eau, l’église du village brûlait et un homme s’immolait dans les flammes. Si l’on ajoutait l’invasion des rats à Piéval et la mort de son neveu et de sa nourrice, le malheur n’avait eut de cesse de frapper les deux domaines.


« Thibault, prends des gens avec toi, finit par ordonner Gyls, non sans amertume, et occupez-vous de protégez les maisons en mouillant la chaume des toits pour commencer. L’église est perdue mais nous devons protéger le village. »


Mathieu continuait de regarder en direction des portes de l’église. C’était par là que Philippe s’était jeté dans les flammes. Les questions qui l’avaient taraudé un peu plus tôt dans la soirée, avant que le jeune Thibault ne vienne le trouver, lui revinrent alors en mémoire. Et elles lui paraissaient encore plus d’actualité, à présent. Est-ce que Dieu les avait abandonnés ? Est-ce que le Tout Puissant les mettait à l’épreuve ? Ou, pire, étaient-ils tous maudits ?

Gyls n’était pas certain de vouloir laisser Mathieu tout seul en cet instant. Il fixait le feu sans le voir et secouait la tête de gauche à droite en un signe de dénégation comme en réponse à de sombres pensées. Il aurait aimé que quelqu’un puisse emmener le prêtre au château mais il était vraiment urgent d’organiser les secours ici, au village. D’ordinaire, il s’adressait à Nicolas mais celui-ci s’occupait du groupe qui acheminait l’eau du puits du château. Heureusement, Thibault s’était trouvé présent.

En vérité, le jeune homme avait fait montre d’un grand courage en sortant Mathieu de l’église en feu. Gyls sentait qu’il pouvait lui faire confiance ; ce qu’il avait lu dans son regard l’avait rassuré. Il savait qu’il prendrait rapidement les choses en main et de façon efficace. Il ignorait quand la transformation s’était faite mais elle état bienvenue en cet instant.

Ce qui l’inquiétait maintenant, c’était que Thomas n’avait toujours pas reparu. Il était trop tard, naturellement et le résultat n’était guère très différent finalement. Peut-être qu’il avait assisté à la scène et qu’il avait opté lui aussi pour l’urgence en envoyant les soldats et les serviteurs protéger les demeures. Pourtant, il avait l’impression que plus personne ne faisait d’aller-retour entre le village et la cour du château, même la file avait disparu. Il se faisait peut-être des idées…

Soudain, il vit surgir un cavalier par l’entrée de la cour. Il talonnait l’animal pour qu’il prenne le galop. Il ne lui fallut que quelques minutes pour rejoindre le seigneur de Monval. Il s’agissait justement de Nicolas, le chef des gardes. Dès qu’il aperçu Gyls, il tira brusquement sur les rênes et il manqua de faire une chute tandis qu’il démontait trop vite. Le brasier de l’église n’était pas pour rassurer sa monture mais il semblait s’en moquer éperdument. A priori, ce qu’il avait à dire à son seigneur pouvait attendre :


« Seigneur Gyls… Il s’est passé quelque chose de terrible au château… »


Nicolas paraissait réellement bouleversé. Il donnait l’impression de ne pas savoir comment annoncer la nouvelle. Le cœur de Gyls se mit à battre à tout rompre. Puis ses pensées se tournèrent vers Ysabeau. Il se retint de secouer le malheureux pour le faire parler plus vite mais l’expression de son visage signifiait clairement qu’il n’attendrait pas beaucoup plus longtemps.


« Votre frère… Heu… C’est Dame Flora, mon seigneur…


— Et bien quoi à la fin ! Nicolas, dis-moi ce qui est arrivé !


— Dame Flora s’est jetée du haut d’une tour, mon seigneur. Elle est morte. »


Gyls eut comme la sensation que le sol s’ouvrait sous ses pieds et qu’il tombait dans un abîme sans fond. Cela ne s’arrêterait donc jamais ? Pourquoi le sort s’acharnait-il sur leur famille, sur leurs domaines ? Dieu les mettait-Il à l’épreuve et pour quelle raison, au juste ? Satan avait-il décidé de les tourmenter ? Ou bien, y avait-il un ennemi dont ils ignoraient encore tout ? Un événement tragique en entraînait un autre et le tout semblait former un cercle vicieux dont ils ne pourraient plus s’en sortir. Il ferma les yeux un instant avant de les rouvrir comme s’il venait de reprendre contact avec la réalité et qu’il réalisait enfin ce dont on venait de lui annoncer.


« Et Ysabeau ?.. osa-t-il à peine demander.


— Dame Ysabeau était sur la tour avec sa sœur. Elle a cherché à la raisonner, d’après ce qu’elle a dit à votre frère mais elle s’est quand-même précipitée dans le vide. »


Sans qu’ils n’ajoutent un mot, ni l’un ni l’autre, Nicolas tendit les rênes de sa monture à son seigneur. Gyls ne se souvint pas de l’avoir remercié tandis qu’il partait au galop vers le château. Thomas devait être anéanti. Il venait de perdre son fils et voilà que son épouse se donnait la mort. Quant à Ysabeau, c’était sa sœur qui la quittait. Elle aussi, elle aurait besoin de sa présence pour surmonter cette nouvelle épreuve.

 

 

 

 

 

 

 

 

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9 mars 2013 6 09 /03 /mars /2013 17:42

 

 

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Le Sacrifice du Dragon

 

de

 

Laurent "Dragon" Royer

 

 

 

 

 

 

 

 

CHAPITRE 11

 

 

       

 

 

Les lames en bois s’entrechoquèrent dans un claquement sonore dont l’écho se répercuta dans toute la salle avant d’être suivi d’une série de coups plus secs. Les deux bretteurs avançaient et reculaient alternativement. Ni l’un ni l’autre ne semblaient parvenir à prendre réellement le dessus. Les assauts se succédaient entraînant les deux adversaires d’un bout à l’autre de la salle qui donnait l’impression ne plus être assez grande pour contenir la joute improvisée.

Après le repas et quelques parties de dés ennuyeuses, Gyls et Thomas en étaient arrivés au constat qu’ils avaient un grand besoin de se défouler. La nuit était tombée depuis quelques heures déjà, il était donc hors de question d’une chevauchée débridée. Et puis il y avait longtemps qu’ils ne s’étaient pas confrontés à l’épée. Si leurs alliances les avaient opposés ces dernières années, ils ne s’étaient jamais ouvertement affrontés sur les champs de bataille. Le vin aidant, sans doute, ils en vinrent à se demander qui aurait été lé meilleur s’ils s’étaient retrouvés face à face.

La salle d’armes était située près de la salle des gardes au rez-de-chaussée et donnait sur la cour. À cette heure, il n’y ferait pas très chaud, d’une part et il faudrait allumer beaucoup de torches pour l’éclairer suffisamment. De plus, le raffut dérangerait les hommes qui se reposaient juste à côté, même s’ils ne se risqueraient pas à se plaindre. Gyls préféra envoyer un serviteur leur chercher des épées d’entraînement en bois.

La rumeur du duel entre les deux frères se répandit dans tout le château et tous ceux qui n’étaient pas occupés par une tâche quelconque voulurent se rendre compte par eux-mêmes. Des gardes censés se reposer, ceux-là mêmes dont Gyls et Thomas n’avaient pas souhaité troubler le sommeil, ne furent pas les derniers pour assister à l’échange de passes d’armes.

Ysabeau, qui avait tenu compagnie à sa sœur jusqu’à ce que celle-ci décide d’aller se coucher, avait été prévenue par une servante quelque peu inquiète. La Dame de Monval n’avait pas voulu dormir tout de suite, non pas tant pour attendre son époux que pour passer un petit moment de détente. Elle était donc en train de broder près du feu tandis qu’une jeune suivante jouait de la harpe quand la servante était entrée, au bord de la panique. D’après elle, les deux frères étaient en train de se battre à l’épée.

Le sourire que l’un et l’autre arboraient et les yeux pétillants de malice rassurèrent la châtelaine. Ils ne se battaient pas, ils s’amusaient. À cet instant, elle voyait deux petits garçons en train de jouer comme au temps où ils cherchaient à obtenir les faveurs de la dame de leur cœur. Ysabeau ne put réprimer un petit rire. Ni l’un ni l’autre ne s’étaient rendu compte de sa présence. En fait, ils n’avaient même pas l’air de prêter la moindre attention à l’assistance toute entière.

Il y avait eu tant de malheurs et de drames ces dernières semaines qu’un peu de distraction ne faisait de mal à personne. Ysabeau songeait aussi bien à son époux et à son frère qu’aux gens qui les entouraient. La plupart d’entre eux étaient au service de Gyls et prenaient volontiers le parti de leur seigneur mais nombreux étaient ceux qui avaient connu Thomas quand il était enfant et n’hésitaient pas à l’encourager tout autant. Certains étaient venus avec le Seigneur de Piéval et se manifestaient parfois avec un peu de véhémence pour soutenir leur maître. Tout ça restait bon enfant et il n’y avait pas à craindre le moindre débordement.

Les deux adversaires commençaient enfin à montrer des signes de fatigue. Les épées étaient peut-être en bois mais elles étaient suffisamment lestées pour que leur poids s’approche de celui des vraies. Le souffle court, ils marquèrent une pause, chacun de son côté. C’est alors qu’ils remarquèrent leur public.


« Et bien, mon cher frère, je crois que nous avons suffisamment de témoins pour affirmer que je sors vainqueur de cette passe d’armes, déclara Gyls d’un ton enjoué.


— Oui, je constate qu’il y a suffisamment de témoins pour affirmer que, bien au contraire, je suis le vainqueur de cette joute, répliqua Thomas sur le même ton.


— Ah ! J’ai comme l’impression que nous sommes en désaccord, mon frère.


— Hum. Je crois, mon humble et très cher frère que nous sommes d’accord sur un point, c’est que nous ne sommes bel et bien en désaccord. »


Cette nouvelle joute, verbale, cette fois, ravit l’assemblée qui riait de bon cœur. Ysabeau était heureuse de voir les deux frères de nouveau aussi unis. Elle n’ignorait pas ce qui avait éloigné Thomas mais ses sentiments étaient toujours les mêmes. Elle était amoureuse de Gyls, son époux et ne ressentait qu’une profonde, mais sincère, amitié pour son jeune frère. Le jeune homme fougueux et impétueux était devenu un seigneur capable et apprécié de ses gens. Il aurait pu être un bon père, et le pourrait toujours, même si l’amour qu’il portait à son épouse n’était pas aussi fort.


« Je ne vois qu’une façon de régler ce différent, mon frère, poursuivait Gyls avec grandiloquence. Nous allons devoir nous battre.


— Encore ? Tu es sûr de vouloir perdre une fois de plus. Je ne voudrais pas t’humilier devant tes gens, Seigneur de Monval.


— Saches, jeune seigneur de Piéval, que ta cuisante défaite les distraira bien mieux…


— Seigneur Gyls ! Seigneur Gyls ! » cria-t-on depuis le couloir, l’interrompant brutalement.


Un homme bardé de cuir et affublé d’une cotte de maille entra précipitamment dans la salle. Il devait s’agir d’un des gardes en faction à l’extérieur. Assurément, il ne s’attendait pas à trouver autant de personnes mais, bien discipliné, il retrouva rapidement ses moyens et se dirigea droit vers Gyls :


« L’église est en feu, seigneur ! » dit-il dans un souffle.


L’homme conservait son son calme tandis que le seigneur de Monval, toujours un peu grisé par la joute avec son frère, le regardait un instant sans comprendre. Puis, il commença à réaliser ce qu’on venait de lui annoncer. Et il n’était pas le seul. Le garde l’avait dit suffisamment fort pour que tout le monde puisse l’entendre. Un murmure nerveux parcouru l’assemblée.


« Que les hommes qui étaient de repos aillent s’équiper, ordonna Gyls en se tournant vers Nicolas qui se trouvait également dans l’assistance. Que les gens des cuisines et les autres serviteurs aillent remplir des sceaux d’eau. Est-ce que quelqu’un sait où est le Père Mathieu ? »


Le prêtre n’avait même pas assisté au repas. Maintenant qu’il y réfléchissait, Gyls se souvint que Mathieu avait indiqué qu’il voulait préparer la chapelle ardente pour Anne. Il y avait donc de fortes chances qu’il se trouvât encore dans l’église. À moins… à moins qu’il n’ait mis le feu lui-même ! Non, Gyls chassa cette idée de son esprit. Son cousin avait certainement été secoué par ce qui s’était passé à la fontaine mais il doutait que sa foi se soit ainsi brisée au point qu’il mette le feu à sa propre église.


« Allons, Gyls, c’est pas le moment de rêvasser ! l’invectiva Thomas en le tirant par la manche. Rejoignons les autres. Monval est moins grand que le bourg de Piéval mais le feu pourrait se propager rapidement.


— Oui. Une horrible pensée m’a traversé l’esprit. Et j’espère de tout mon cœur me tromper.


— Mathieu ne se laisserait détourner de ses croyances aussi facilement, rétorqua Thomas qui avait deviné le fond de la pensée de son frère, ou bien la même lui était-elle venue, sans doute.


— Tu as raison. Au contraire, il a insisté pour inhumer Anne en lui donnant une sépulture chrétienne parce qu’il continuait à avoir foi en Dieu et en Son pardon. Je crois bien que le Malin en personne ne parviendrait pas à faire douter notre cousin. »


Sur ces mots, les deux frères s’élancèrent vers la sortie de la salle où ils s’arrêtèrent net, face à Ysabeau qui semblait les y attendre. Elle paraissait inquiète. Présente au moment où le garde était venu les avertir, elle savait bien sûr ce qui se passait mais son inquiétude semblait être tout autre.


« Dès que j’ai appris que l’église brûlait, leur dit-elle sans préambule, je suis allée aussitôt trouver Flora mais elle n’était plus dans ses appartements. Personne ne semble l’avoir aperçue. Vous me pardonnerez si je ne vous aide pas à organiser les secours, mes seigneurs, il faut absolument que je retrouve ma sœur.


— Voyons, ma douce, je ne vois pas pourquoi je te tiendrais rigueur de vouloir chercher ta sœur alors qu’elle est encore si vulnérable, répondit Gyls en lui serrant les mains dans les siennes.


— Connaissant mon épouse et sa grande piété, une telle nouvelle, si jamais elle l’a déjà apprise, ne va pas l’aider à aller mieux, je le crains, renchérit Thomas, sincèrement inquiet, lui aussi, pour Flora. Je t’aurais bien accompagné, Ysabeau, mais je serais sans doute plus utile à combattre le feu. Retrouve-la et veille sur elle… Enfin, continue… comme tu le fais déjà… »


Thomas se sentit soudain gêné. Il avait l’impression que depuis quelques semaines déjà, il s’était défait de son fardeau sur les épaules de sa belle-sœur. Ysabeau se contenta de lui faire un sourire qui se voulait rassurant. Après tout, c’était sa jeune sœur, il était normal qu’elle prenne soin d’elle, semblait lui dire son regard.

Ce fut Gyls, cette fois, qui ramena son frère à la réalité en lui tapotant l’épaule et en l’entraînant dans les escaliers. Ils devaient faire vite pour empêcher le feu de se propager. Les serviteurs et les soldats devaient être à pied d’œuvre à présent mais ce n’était pas une raison. Ysabeau les regarda donc un instant s’en aller de leur côté tandis qu’elle-même s’apprêtait à chercher Flora.


« Ysabeau. » entendit-elle comme un murmure. Elle tourna la tête dans tous les sens mais n’aperçut personne qui l’interpellait. Maintenant que la nouvelle s’était propagée, le château était comme une ruche en pleine activité. Les soldats comme les serviteurs allaient et venaient de toutes parts. Les premiers étaient alertés par les seconds pour aller prêter main forte pour éteindre l’incendie. Pas un ne semblait prêter attention à la Dame de Monval.


« Ysabeau. » entendit-elle de nouveau, plus fort lui sembla-t-il. Puis, elle crut discerner une silhouette qui lui faisait signe dans l’escalier qui montait vers le donjon. Des torches éclairaient le passage, elle ne pouvait donc mettre le manque de netteté de la silhouette sur le compte de l’obscurité. La jeune femme jeta encore un œil derrière elle mais tout le monde avait une tâche bien précise à accomplir et ne s’occupait pas de ce que leur maîtresse pouvait faire.


« Mère ? » hasarda-t-elle.


Comme si le fait de la nommer lui donnait plus d’emprise sur la réalité du monde, l’apparition se fit un peu plus précise.


« Ysabeau, hâte-toi. Je sais où se trouve Flora. »


Ysabeau ne se fit pas prier plus longtemps et se précipita à la suite de l’esprit. Elle savait que l’apparition n’était pas le fruit de son imagination. Contrairement à sa sœur, elle n’avait jamais rejeté les croyances de leur mère. Cette dernière, après la fin de sa vie mortelle, leur avait rendu visite à différentes occasions mais seule Ysabeau parvenait encore à la voir et à lui parler.

Elles grimpèrent ainsi jusqu’au chemin de ronde que les sentinelles avaient toutes déserté et coururent vers la tour de guet dont la porte était restée grande ouverte. L’esprit s’engouffra à l’intérieur et Ysabeau eut à peine le temps de la voir monter à l’échelle qui menait au sommet de la tour. Son sang ne fit qu’un tour en comprenant que c’était sans doute là que Flora avait trouvé refuge. Elle savait que c’était aussi le meilleur endroit pour contempler l’incendie.

Prenant son courage à pleines mains, soulevant le bas de sa robe qui la gênait un peu, Ysabeau commença à escalader l’échelle à son tour. Heureusement, la trappe au-dessus de sa tête était déjà ouverte. D’ailleurs, des cris, des ordres transmis des uns aux autres pour la plupart, commençaient à lui parvenir de l’extérieur. Il lui semblait entendre aussi le mugissement du vent qui s’était sans doute levé et qui devait attiser les flammes au grand dam de ceux qui cherchaient à éteindre l’incendie.


« Vite ! l’intima Émeline. J’ai l’impression qu’elle est fascinée par le feu. »


C’était sans doute plus facile pour un esprit de s’élever le long d’une échelle mais avec une robe qui entravait vos mouvements, cela représentait quelques difficultés. Ysabeau manqua à plusieurs reprises de se prendre les pieds dans l’étoffe et de louper un barreau. Tant bien que mal, elle parvint jusqu’au sommet. Son cœur battait la chamade de plus en plus fort, non tant par l’effort que par la crainte d’arriver trop tard. Elle avait malheureusement sa petite idée sur la raison pour laquelle Flora était montée jusque-là. Ce n’était certes pas pour admirer la vue ou assister au spectacle de l’église en flamme.


« Flora. C’est moi, Ysabeau. » s’annonça-t-elle en apercevant sa sœur qui se tenait trop près des créneaux à son goût. Juste à côté d’elle, le spectre de leur mère se tenait prêt à intervenir, même si cet effort serait parfaitement inutile. L’esprit lui parlait avec des mots de réconfort mais la jeune femme paraissait sourde aux paroles apaisantes et ne semblait même pas remarquer la présence de l’apparition. Elle se retourna, par contre, quand Ysabeau l’interpella.

Elle avait les larmes aux yeux et secoua la tête comme pour intimer à son aînée de ne pas aller plus loin. Le vent faisait claquer les volants de ses manches et soulevait des mèches rebelles de ses cheveux qu’elle avait pourtant nattés de façon serrée. Sa poitrine se soulevait au rythme de sa respiration que la peur rendait rapide. La peur et le désespoir. Voilà ce qui rendait Flora si malheureuse qu’elle en avait perdu le goût de vivre. Ysabeau l’avait compris depuis longtemps mais malgré tous ses efforts, elle n’était pas parvenue à aider sa petite sœur et le regrettait amèrement. Maintenant plus que jamais.


« Il ne fait pas très bon ce soir, ne serions-nous pas mieux près du feu à écouter la mandoline, tenta de la raisonner Ysabeau.


— Ne vois-tu pas tout le malheur qui nous frappe, ma sœur, lui répondit Flora sans à propos. Ne vois-tu pas que le Seigneur nous a abandonnés. Le Malin s’est rendu maître de nos terres, de nos cœurs et de nos destins.


— Flora, le Malin ne peut se saisir de nos cœurs que si nous le laissons faire. Tu sais ce que dirait Mathieu, si ta foi est plus forte alors le Diable ne peut rien contre toi.


— Tu ne peux pas comprendre, Ysabeau. Toi, tu as épousé l’homme que tu aimais et qui t’aimait. Moi, l’homme que j’ai épousé ne voyait en moi que la sœur de son véritable amour. Je lui ai malgré tout donné un fils. J’aimais cet enfant mais le Malin me l’a repris. Mon fils est mort, Ysabeau, et je suis déjà morte avec lui.


— Ne dis pas ça ! Ton époux t’aime. Il aimait votre enfant et il t’aime toi. Vous aurez d’autres enfants. Ils ne remplaceront pas le fils que vous avez perdu mais ils vous combleront de bonheur.


— Non. Thomas ne m’aime pas. Il est amoureux d’une autre femme et ce depuis toujours. Et tu le sais. Il n’a pas tant été heureux de revoir son frère que de te revoir, toi. Cela a toujours été ainsi et jamais rien ne changera. Si je disparais, tu pourras avoir les deux frères pour toi toute-seule, comme autrefois.


— Voyons, que racontes-tu là ! Je n’ai jamais aimé que Gyls. Je n’ai jamais éprouvé d’autres sentiments que fraternels envers Thomas. Qu’il ait pu être amoureux de moi autrefois ne change rien au fait qu’il est maintenant ton époux et qu’il s’inquiète pour toi. Il ne souhaite que ton bien et ton bonheur, j’en suis sûre. »


Pendant qu’elles échangeaient ces quelques mots, Ysabeau était parvenue à avancer de quelques pas et se trouvait maintenant à mi-chemin. Hélas, sa sœur s’était reculée et elle avait maintenant le dos tout contre un merlon. Tant qu’elle ne faisait pas l’effort d’escalader le créneau, elle ne risquait pas de tomber mais de là où elle se trouvait, Ysabeau doutait de pouvoir intervenir à temps si jamais il lui en prenait l’envie.


« Il est toujours amoureux de toi ! Je l’ai entendu le dire au Père Gaël. Le soir même où notre fils est mort. Quelques instants auparavant, ses pensées étaient toutes tournées vers toi. Pourquoi, crois-tu, en réalité, faisait-il la guerre à son frère ? Parce que Gyls t’avait épousé et que lui n’avait que la si fragile et si frêle petite sœur !


— Cesse de dire des sottises. Thomas s’inquiète pour toi. C’est lui qui a voulu et insisté pour que je reste auprès toi ces derniers temps. Nous avions été séparée toutes les deux depuis si longtemps qu’il espérait tu serais heureuse de me retrouver. Il ne pensait qu’à ton bien-être. Jamais il ne m’a fait la moindre avance ou dit un mot déplacé. Je puis t’assurer que tu étais au centre de ses préoccupations. »


L’esprit de Dame Émeline était toujours là. Elle se savait impuissante, aussi bien physiquement que par les mots. Flora ne la voyait pas ou ne voulait pas la voir, ce qui revenait quasiment au même. Elle regardait alternativement ses deux filles. Elle n’osait pas dire un mot de peur de détourner l’attention d’Ysabeau ou de laisser penser à Flora que sa sœur se désintéressait d’elle.

Soudain, un étrange sourire se dessina sur le visage de Flora, comme si elle venait de réaliser l’absurdité de ses actes. Elle leva les yeux vers Ysabeau pour la regarder bien en face. On pouvait toujours y lire une grande tristesse mais aussi tout l’amour qu’elle portait à sa sœur. La flamme d’une grande détermination venait également de s’y allumer.


« Ysabeau, je ne te l’ai peut-être jamais dit quand nous étions enfants mais je t’aime. Tu as plus été une mère qu’une sœur pour moi. Mère vivait dans un autre monde, un autre temps. Elle ne me comprenait pas. Et puis, il y a eu Mathieu. S’il n’avait pas décidé de devenir prêtre, peut-être aurait-il bien voulu m’épouser. Il était le seul à me comprendre. Il était le seul à vraiment m’écouter. »


Elle marqua une pause pour se retourner et commença à escalader le créneau. Ysabeau réalisa avec horreur qu’elle avait échoué à la raisonner. Elle savait que si elle tentait quelque chose maintenant, elle ne ferait que précipiter les événements. Flora sembla hésiter un instant et s’adossa contre le merlon avant se tourner une nouvelle fois vers sa sœur.


« André m’attend. Il a encore besoin de moi. Dis à Thomas que j’avais fini par l’aimer. »


 Sur ces mots, Flora se laissa basculer dans le vide tandis qu’Ysabeau s’élançait pour une tentative désespérée pour la rattraper.

 

 

 

 

 

 

 

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2 mars 2013 6 02 /03 /mars /2013 16:06

 

 

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Le Sacrifice du Dragon

 

de

 

Laurent "Dragon" Royer

 

 

 

 

 

 

 

 

CHAPITRE 10

 

 

       

 

 

À genoux, les mains jointes tenant fermement son chapelet, Mathieu priait. Le crépitement des flammes des bougies était à peine audible mais il régnait un tel silence dans la chapelle qu’il avait l’impression d’entendre les fournaises de l’enfer. Disposées tout autour de la dépouille de la jeune Anne, leur lumière lui donnait un aspect terrifiant. Au lieu de tenir les ténèbres en respect, elles semblaient les attirer ; on ne parvenait même plus à distinguer les murs plongés dans une obscurité inquiétante. Il n’y avait plus que ce puits de clarté autour du corps inanimé et pourtant elle paraissait encore plus malsaine que ce qui pouvait bien se tapir dans les ombres.

Contre l’avis de tous, le Père Mathieu avait tenu à ce que cette pauvre fille soit enterrée selon les rites sacrés et non traitée comme une démente et une pestiférée. Il avait donc fait dresser cette chapelle ardente en attendant de pouvoir la mettre en terre. Bien qu’il fut sans doute le premier à avoir été trahi et dupé, bien qu’il fut particulièrement choqué par la tournure qu’avaient pris les événements, il ne parvenait pas à croire que toute cette machination venait d’elle. Anne avait sans doute été trompée, elle aussi, et elle était la seule véritable victime de cette machination diabolique. Il ne pouvait lui refuser les derniers sacrements ; c’était de l’amour de Dieu dont elle avait besoin désormais et non goûter aux tourments de l’Enfer.

Il venait d’entamer une nouvelle série de prières tout en égrainant son chapelet quand le silence fut déchiré par le grincement caractéristique des gonds de la porte de l’église. Des pas hésitants martelèrent le sol de pierre puis un « Vous êtes là, mon Père ? » peu assuré résonna à travers la nef. Le village de Monval ne s’était pas transformé en bourg comme à Piéval et l’on avait construit l’église en faisant quelques concessions. Ainsi la chapelle associée au cimetière avait été intégrée directement dans le transept dont elle formait l’une des extrémités.


« Mon Père, c’est Thibault. »


Thibault… Oui, le jeune soldat de Gyls. Ce pauvre garçon a été le premier sur les lieux du massacre à la ferme du Grand Paul.

Mathieu acheva sa prière à la hâte, se releva, fit un dernier signe de croix puis se donnant un air plus serein qu’il ne l’était en réalité, il sortit de la chapelle. Thibault se tenait debout dans l’allée et regardait la représentation sculptée du Christ sur sa croix accrochée derrière l’autel. Il avait le visage hagard et il semblait souffrir d’un manque cruel de sommeil. Plus d’un mois s’était écoulé maintenant et pourtant il paraissait toujours autant affecté par ce qu’il avait vu.

Ce n’était pas faute de l’avoir incité à venir parler mais le garçon s’était au contraire renfermé sur lui-même. À cela s’ajoutaient les moqueries de ses compagnons d’arme. La sollicitude du seigneur ne l’avait pas aidé non plus, le faisant considérer comme un pleutre par les autres. Déjà un peu solitaire auparavant, il évitait soigneusement de se trouver en présence de qui que ce soit désormais. Mais Gyls, tout comme Mathieu, avait eu d’autres problèmes à gérer et n’avait pu lui accorder plus d’attention.


« Mon fils, il est bien tard. Que veux-tu ?


— Mon Père… hésita encore Thibault. J’ai vu… j’ai vu des choses ! »


Le jeune homme jeta un regard plein d’anxiété tout autour de lui comme si ces choses allaient soudain surgir de derrière une colonnade ou même d’un mur. Il fit un pas en arrière comme si tout à coup il regrettait d’être venu et même d’avoir prononcé ces mots. Mathieu commença par avancer d’un pas mais s’arrêta net car cela ne fit que faire reculer le garçon d’un autre.

Il préféra ouvrir les bras en signe d’apaisement :


« Ce qui est arrivé à la ferme est terrible et tu as vu des choses réellement horribles. Ceux qui se moquent de toi sont sans doute tout aussi effrayés et peut-être même plus. Ils ne font que masquer leur propre peur en te prenant pour cible. Ignore-les…


— Vous ne comprenez pas mon Père ! le coupa Thibault avec véhémence. J’ai vu des choses que personne ne voit ! »


Comme si sortir cet aveu l’avait vidé de ses dernières forces, le jeune homme tomba à genoux et se mit à sangloter. Prudemment, Mathieu s’approcha, s’agenouilla à son tour et lui fit poser sa tête contre son cœur tout en le berçant. Quand il sentit que le jeune homme se fut un peu calmé, il lui souleva le menton pour qu’il le regarde en face :


« Je suis là pour t’écouter, mon fils. Allons nous asseoir sous le regard de Dieu. Tu vas pouvoir parler en toute quiétude. »


Avec douceur mais non sans fermeté, Mathieu aida Thibault à se relever. Le serrant par les épaules, il le conduisit jusqu’à la première rangée de bancs qui faisaient face à l’autel. Là, ils s’assirent et le prêtre se signa devant l’effigie du Seigneur. Il s’abstint de faire la moindre remarque au jeune homme qui ne s’était pas signé. Il semblait enfin prêt à confier ce qu’il avait sur le cœur ; il n’allait pas le brusquer pour cet oubli que le Seigneur pardonnerait assurément.


« Tu dis voir des choses que d’autres ne voient pas », l’encouragea Mathieu. « Anne aussi a vu quelque chose et c’était de la tromperie. Parle sans crainte, je suis là pour t’écouter et ensemble, avec l’aide de Dieu, nous surmonterons cette épreuve. »


À l’évocation du Seigneur, Thibault leva les yeux vers le Christ comme s’il le voyait pour la première fois puis baissa de nouveau le regard vers ses mains qu’ils tordaient à s’en blanchir les phalanges. Les efforts qu’il avait déjà fournis pour venir trouver le prêtre lui avaient coûter beaucoup. Maintenant, même si ce qu’il avait sur le cœur lui paraissait trop lourd à porter, les mots ne parvenaient pas à franchir le rempart de sa gorge. C’était au-delà de ses forces. Pourtant, il savait que s’il le gardait trop longtemps, cela finirait par l’étouffer.


« Mon Père », se décida-t-il enfin, « ce que j’ai vu était l’œuvre de démons. J’ai vu leurs traces. Des empreintes de pas. Des empreintes de mains. Elles avaient été faites avec du sang et elles n’étaient pas humaines.


— Mais d’après Gyls et les autres, il n’y avait rien de tout ça. Ils n’ont rien décelé, pas la moindre empreinte, pas la moindre trace. »  tenta de le convaincre Mathieu ou, peut-être, de s’en convaincre lui-même.


« C’est bien ce que je dis, mon Père, je vois des choses que les autres ne voient pas. Déjà en chemin, j’ai senti que l’on m’observait. Je les ai même entraperçus. C’étaient des démons. J’en suis sûr. Ils avaient la peau verdâtre, des crocs jaunes et saillants. Ils portaient encore l’odeur de la mort sur eux. Quand je suis retourné auprès du Seigneur Gyls… je… J’ai su que personne ne me croirait. Et maintenant, je ne peux plus me taire. Ces monstres hantent mes nuits et les autres se moquent de moi car je refuse de m’aventurer dans la forêt. C’est leur domaine, mon Père. C’est leur territoire et ils sont en train de nous en chasser.


— Allons, allons, mon fils. Dieu nous protège. Tant que nous continuons de croire en Lui, le Malin ne peut rien. Bien sûr, il cherche toujours à nous effrayer. Il sait même comment nous tenter. Et si nous cédons, alors, oui, il aura gagné et nos âmes seront perdues. Il suffit de se tourner vers Dieu pour trouver la force de lui résister. Prie avec moi, mon fils, et tes peurs s’en iront. Ouvre ton cœur, expose ton âme à Dieu et tu retrouveras le courage.


— Vous ne comprenez pas mon Père… Ces démons étaient bien réels. Ce n’était pas la première fois que je les voyais. En fait, mon Père, j’ai toujours vu de telles choses mais vous n’arrêtiez pas de répéter qu’elles n’existaient pas et je voulais vous croire. Je voulais être un bon chrétien pour pouvoir aller au Paradis. C’est que me disait toujours le Père Sébastyen. Seuls les bons chrétiens vont au Paradis et ils ne voient pas des choses qui sont fausses, n’est-ce pas ? »


Le garçon se tordait les mains comme s’il faisait là un aveux coupable, comme s’il avait commis une faute inavouable, justement. De la sueur perlait à ses tempes et par moments, à ce que le Père Mathieu pouvait en juger, il était pris de tremblements. La folie le guettait, assurément. Il était surtout tiraillé entre foi, déjà chancelante, envers Dieu et les anciennes croyances qui avaient dû bercer son enfance.

Il s’en souvenait maintenant, le père de Thibault était ce que l’on appelait un homme des bois. Désignation qui lui convenait pour ainsi dire littéralement car il y vivait en permanence. Le père de Gyls et de Thomas faisait régulièrement appel à lui pour traquer et débusquer le gibier. Il n’avait pas son pareil pour repérer les pistes des animaux comme celles laissées par les bipèdes. Ses connaissances des plantes étaient toute aussi impressionnante. Il était capable de faire la différence entre des baies comestibles et celles qui, au mieux, vous rendaient malade alors que pour le profane, elles se ressemblaient en tous points. Mais l’homme était aussi sauvage que le milieu dans lequel il vivait. Il limitait les contacts avec ses semblables et, surtout, refusait d’écouter la parole de Dieu.

Un jour, il était arrivé au village avec un nourrisson dans les bras. On ne lui connaissait nulle compagne et quand il annonça qu’il s’agissait de son fils, tout le monde se montra incrédule mais personne n’osa souffler mot. Il cherchait une nourrice qui puisse donner le sein à l’enfant. Quand le Père Sébastyen, le prêtre qui officiait à Monval à l’époque, lui proposa de baptiser le petit garçon, il refusa tout net. C’était de lait dont le nourrisson avait besoin, pas d’être aspergé d’eau avait-il répliqué.

Contre toute attente, il était parvenu à élever l’enfant, seul, jusqu’à ce qu’un jour le garçon vienne trouver le jeune seigneur Gyls de Monval pour lui annoncer que son père avait été tué. L’enfant rapporta qu’il s’était battu contre des monstres qui cherchaient à voler leurs bêtes. Les coupables s’étaient effectivement emparé des quelques chèvres et poules que possédaient l’homme des bois, sans doute après l’avoir assassiné. Thibault n’avait pas tout à fait dix ans quand cela s’était produit. Gyls, conscient que l’enfant ne pourrait vivre seul dans les bois, décida de le confier à la femme qui lui avait donné le sein quand il était nourrisson puisqu’elle était, par conséquent, sa mère de lait.

Le jeune Thibault semblait avoir hérité du don de son père et ne sentait à l’aise qu’au milieu des bois. Cependant, l’endroit recelait de nombreux dangers qu’un enfant ne pouvait affronter seul. Il avait aussi besoin qu’on lui donne l’éducation chrétienne qui lui avait manqué pendant son enfance, ce dont le Père Sébastyen se chargea puisqu’à l’époque, Mathieu lui-même n’avait pas encore été ordonné. Et s’il connaissait quelque peu l’histoire de Thibault, c’est parce qu’on la lui avait rapportée. En tant que Curé de la Paroisse de Monval, il se devait de connaître au mieux ses ouailles.

Quant à Thibault, le jeune homme ne parlait quasiment jamais de son père et de son enfance dans les bois. Sans se montrer aussi fervent qu’Anne, il venait régulièrement à la messe… quoiqu’à bien y réfléchir, songea soudain Mathieu, il n’était pas sûr de l’avoir vu assister aux offices dominicaux depuis quelques semaines. En fait, cela semblait effectivement correspondre à peu près au moment où Gyls et ses hommes avaient découvert le massacre de la ferme du Grand Paul.


« N’est-ce pas, mon Père ? » insista Thibault devant le silence de Mathieu, qui en réalité était perdu dans ses pensées.


« Bien sûr ! Heu… Je veux dire qu’il n’y a pas de bons ou de mauvais chrétiens, Thibault. Ils vont tous au Paradis. Il peut arriver que certains s’égarent mais Dieu est toujours prêt à pardonner.


— Alors, vous me croyez mon Père ? Ces démons étaient bien réels et ce sont eux qui ont massacré le Grand Paul et sa famille. Et si je vous dis que ce sont les mêmes démons qui ont tué mon père, vous me croyez ? Le Père Sébastyen, lui, ne me croyait pas. Et tant que je raconterais des choses pareilles, je ne serais pas un bon chrétien et je n’irais pas au Paradis… »


Mathieu releva la tête et observa le jeune homme avec horreur. Il se rendait compte combien le pauvre garçon avait été marqué, à la fois par la disparition tragique de son père quand il était enfant mais aussi par la façon, semblait-il, dont on lui avait fait aborder la religion. Dieu était censé n’être qu’amour. C’était le Malin, le danger. C’étaient ses artifices qui éloignaient l’innocent des chemins de Dieu. Un enfant, par nature, est crédule mais ce n’était pas en lui faisant peur qu’il deviendrait un bon chrétien. Au contraire, il était évident que cette peur avait servi d’emprise au Malin puisque Thibault continuait de voir, ou le croyait-il suffisamment fort, des démons.


« Ils sont réels parce que tu leurs donnes substance, Thibault. Tu as certainement vu des brigands quand tu étais petit garçon mais le Malin a troublé ta vision des choses, ou bien tu as vu ce qu’il a fait de ces hommes, d’une certaine manière. Depuis, dès que tu vois des hommes malfaisants, tu crois qu’il s’agit de démons. Donc, oui, tu les as bien vu mais ce n’étaient sans doute que des hommes. D’une certaine manière, oui, je te crois. Mais je reste persuadé qu’en vérité, ce sont bien des hommes que tu as vu.


— Vous croyez, mon Père ? Alors, je suis un bon chrétien ? J’irais au Paradis ?


— Mais bien sûr que tu es un bon chrétien, Thibault. Tu iras au Paradis comme nous tous ici bas. Ce sont nos actes… et nos croyances qui font de nous des bons chrétiens, pas les choses… pas les choses que nous voyons ou croyons voir. »


Alors qu’il venait de ressentir un désagrément dans la gorge, Mathieu fut soudain pris d’une quinte de toux. C’était comme s’il avait du mal à respirer tout d’un coup. À côté de lui, Thibault fut secoué par une quinte à son tour. Le prêtre réalisa subitement que ses yeux lui picotaient. Il y avait même comme une odeur de fumée, âcre et envahissante.

Son premier réflexe fut de jeter un regard vers la chapelle. Une bougie était peut-être tombée ou des étincelles avaient peut-être jaillie et atteint l’étoffe des vêtements de la défunte. Pourtant, rien de visible ne semblait provenir de par-là. Il sentit la main de Thibault le tirer par l’épaule. Le jeune homme lui désignait la porte d’entrée d’un geste de la main, tandis qu’il ne pouvait réprimer sa toux.

En fait, la porte de l’église n’était plus tout à fait visible. On la distinguait à peine tout comme la rangée de bancs du fond. Une épaisse nuée grise se propageait comme un front de nuages menaçants et orageux. Des volutes commençaient à se répandre dans toute la nef et un tapis de fumée baignait déjà les pieds de Mathieu et de Thibault. Le prêtre était pétrifié. Il se trouvait dans l’incapacité de faire le moindre mouvement.


« Mon Père, nous devons sortir ! » parvint à articuler Thibault tout en secouant Mathieu par l’épaule tout en désignant la chapelle, cette fois.


Mais Mathieu était tétanisé. Ses yeux ne parvenaient pas à se détacher des vitraux dont les scènes bibliques semblaient animées d’une vie propre à présent. Alors que la nuit les avait plongées dans le sommeil, elles étaient maintenant vives et vivaces. Ce n’était pas tant les images qui bougeaient que les couleurs qui devenaient plus ou moins intenses comme un feu couvant à l’intérieur.

Le feu ! C’était ça. L’église brûlait. La panique s’empara alors du cœur du prêtre. Il se mit à hurler. Son église était la proie des flammes !

 

 

 

 

 

 

 

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24 février 2013 7 24 /02 /février /2013 01:45

 

 

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Le Sacrifice du Dragon

 

de

 

Laurent "Dragon" Royer

 

 

 

 

 

 

 

 

CHAPITRE 9

 

 

       

 

 

 

 

Émeline avait le cœur lourd. Assise sur la margelle de pierre, elle se retenait de tremper ses doigts dans l’eau glacée comme elle aimait tant le faire autrefois. Elle sentait bien que l’eau vivifiante et prometteuse de vie était désormais la messagère d’une mort atroce. Bien sûr, son contact seul ne lui ferait aucun mal réel mais elle savait qu’elle aurait comme la sensation d’une brûlure. Quant à la boire… Elle ne faisait plus partie du monde des vivants mais être un esprit ne signifiait pas que l’on soit éternel et invulnérable. Un esprit continuait à ressentir, pas seulement la joie ou la peine, mais aussi la chaleur des flammes comme la morsure du gel, il pouvait être blessé et connaître la douleur, il pouvait, enfin, être détruit et disparaître à tout jamais. Elle n’était donc peut-être pas à l’abri que représentait cette eau, aussi pure et limpide qu’elle puisse paraître.

Elle songeait à l’agonie de cette pauvre fille. Aussi brève qu’elle fut, elle avait été terrible et avait bouleversé tout le monde. Dès qu’elle avait absorbé l’eau empoisonnée, une brèche s’était ouverte entre les mondes et un esprit mauvais s’était emparé du corps de la malheureuse. La plupart des esprits n’avaient pas besoin d’emprunter un corps pour se manifester ou même se matérialiser dans le monde des vivants.

En d’autres temps, les deux mondes étaient intimement liés et la frontière les séparant quasi inexistante. Bien sûr, tous les défunts ne devenaient pas des esprits ou si brièvement qu’ils finissaient par disparaître très vite et à jamais. Quelques uns parvenaient à se manifester auprès de leurs descendants quand ceux-ci les appelaient ou qu’ils avaient besoin d’aide. Quant aux esprits de la nature, les fées, les elfes ou quelque soit le nom qu’on leur donnait, ils restaient généralement cantonnés dans leurs domaines, leurs territoires, et s’ils appréciaient qu’on leur rende visite, ils n’aimaient pas quitter leur havre de paix.

Force était de reconnaître que, comme dans le monde des hommes, tous les esprits n’étaient pas bienveillants. Quand ils n’étaient pas bannis au plus profond du monde des esprits, il leur était interdit de quitter leurs territoires, des lieux mal famés dans lesquels toute personne sensée évitait de se rendre sans une bonne raison. Si la plupart du temps, leur maître était lui-même un esprit, certes plus puissant, et particulièrement maléfique, il arrivait bien souvent que ce soit un humain, avide de pouvoir et de domination qui les asservisse.

Et puis, les hommes adoptèrent de nouvelles croyances dans lesquelles les esprits de la nature étaient de plus en plus exclus. Ils commencèrent à ériger des barrières invisibles entre les deux mondes et finirent par reléguer celui des esprits à d’anciennes et fausses croyances, voire à l’associer à ce qui représentait le mal pour eux. Les esprits de la nature qui tentèrent de se manifester furent considérés comme des êtres maléfiques et furent anéantis. Les survivants comprirent que les temps de paix et d’entente qui régnaient entre les humains et eux étaient révolus et que le monde des mortels leur était désormais étranger.

Il y eut bien des hommes et des femmes pour tenter de maintenir ce lien mais ils devinrent très vite de moins en moins nombreux. Certains furent même chassés comme des monstres et désignés comme les suppôts du mal décrits par la nouvelle religion. Quelques uns parvinrent à se cacher ou à taire leur véritable croyance tout en continuant de pratiquer secrètement les rites et à s’adresser aux esprits.

Quand elle n’était encore qu’une enfant, Émeline avait été élevée dans le respect des ancêtres, des esprits et de la nature. Sa mère était une sorte de prêtresse qui avait pour seul pouvoir celui de communiquer avec les esprits. Très tôt, elle enseigna à sa fille tout ce dont elle avait besoin de savoir ainsi que les rites et les danses sacrées. Le père d’Émeline, s’il ne vouait pas une grande vénération dans les esprits, les respectait autant qu’il les craignait. C’était un puissant seigneur dont le domaine était immense, un véritable royaume pour certains.

Jamais la fillette qu’elle était alors n’aurait cru que les choses puissent changer. Alors qu’elle se voyait déjà prêtresse aux côtés de sa mère, leur monde bascula. Une grande guerre éclata et divisa le domaine en une multitude de petits fiefs. Le père d’Émeline fut assassiné et la jeune fille dut fuir avec sa mère pour échapper aux félons. Elles trouvèrent refuge dans le monde des esprits. La prêtresse implora l’aide du roi des esprits mais celui-ci refusa d’intervenir. Cette guerre ne concernait que les hommes et uniquement les hommes.

La guerre dura des années et ne prit fin qu’avec la ténacité de deux jeunes seigneurs qui n’aspiraient plus qu’à la paix. Mais pour y parvenir, ils durent aller chercher le soutien du souverain. Celui n’acceptait d’intervenir que si les jeunes seigneurs prêtaient allégeance non seulement à lui mais aussi à Dieu. Une fois qu’ils auraient restauré la paix, ils devraient faire construire une église afin de démontrer que ces domaines étaient sous la protection de Dieu.

Avec l’aide du roi, les deux seigneurs parvinrent à unifier les fiefs en guerre et se partagèrent l’ancien domaine. Ils tinrent leur promesse et firent bâtir chacun une église. Ils étaient non seulement deux puissants alliés mais aussi de grands amis, ce qui permit de maintenir une paix durable entre les deux jeunes domaines, qui devinrent Piéval et Monval.

Peu avant qu’il ne décide de faire appel au roi, Émeline avait épousé Amaury, le futur seigneur de Piéval. La mère de la jeune femme avait arrangé le mariage. Ne pouvant compter sur l’aide des esprits, elle usa de stratagèmes propres au monde des hommes. En prenant pour épouse la fille de l’ancien seigneur, il pourrait ainsi légitimer sa prise de pouvoir sur le domaine et bénéficier ainsi du soutien d’anciens alliés. Elle soumit une dernière condition. Le domaine recelait d’endroits sacrés qui devraient le demeurer. Il accepta et il tint cette promesse-là aussi… jusqu’à sa mort.

Mais aujourd’hui, ces promesses étaient tombées dans l’oubli. Aujourd’hui, pratiquement plus personne ne croyait en l’existence même des esprits. Jamais Amaury, pas plus que Yann de Monval, qui avait accepté le même compromis, n’auraient permis que l’on vienne souiller ce lieu sacré, y compris pour étendre le pouvoir de la nouvelle religion. Mais Émeline ne mettait pas celle-ci en cause, pas directement du moins.

Ce qui avait rendu l’eau de la fontaine impure et mortelle ne pouvait être que l’œuvre d’un esprit ou de quelqu’un capable de communiquer avec eux. Dans un cas, comme dans l’eau, il ne pouvait s’agir que d’un être malfaisant. Bien que rejetés par la nouvelle croyance des hommes, les esprits n’auraient jamais commis un tel sacrilège tout en cherchant à rejeter la faute sur la nouvelle religion. Et il était fort à parier que c’était le ou les mêmes qui étaient à l’origine des terribles événements qui venaient de troubler les domaines de Piéval et de Monval.

 

« Je suppose que vous n’êtes toujours pas prêt à intervenir, mon Maître, dit-elle sans se retourner mais ayant pourtant senti la présence de Fyng’hôrn. Il ne s’agit pourtant pas d’un conflit qui ne concerne que les hommes cette fois.

 

— Je comprends ton amertume, douce Émeline. Ce qui se passe m’affecte beaucoup, tu peux le croire. Hélas, mon pouvoir sur ce monde est de plus en plus faible. Ce qui me lie encore à lui est si ténu que parfois je ne parviens plus à m’y matérialiser. D’autre part, j’y suis de plus en plus vulnérable. Sais-tu seulement combien de mes semblables ont péri parce qu’ils ont cru qu’on continuerait à profiter de leur sagesse ? Sais-tu combien ont voulu se rebeller et faire montre de leur colère pour finir par être terrassés comme des créatures maléfiques ? Presque tous, Émeline. Je suis sans doute l’un des derniers dragons de ce monde. Ce n’est pas tant pour ma vie que je crains le fer des hommes. C’est pour les conséquences qu’aurait ma disparition, aussi bien sur le monde des esprits que sur celui des hommes. »

 

La jeune femme leva la tête et plongea son regard dans celui de la gigantesque créature qui la dominait de sa hauteur. Elle y lut la profondeur de sa tristesse. Le désespoir avait planté sa flèche dans le cœur du dragon et empoisonné son sang. Celui qui depuis des millénaires avait protégé les deux mondes se trouvait désormais incapable de lutter contre cet ennemi qui n’avait pas encore dévoilé son visage. Jamais il ne s’était senti aussi impuissant.

Émeline se releva et s’approcha du dragon. Elle s’agenouilla alors devant lui, lui signifiant ainsi qu’elle lui demandait son pardon. Elle était bouleversée et s’était laissé emporter par son propre chagrin. Fyng’hôrn tendit son long cou et amena sa tête à la hauteur de celle de sa plus fidèle servante. Quand elle releva les yeux, elle vit dans ceux du dragon que la tristesse n’avait pas tout à fait disparu mais qu’ils rayonnaient d’amour et de compassion.

Il n’était pas facile pour le dragon de traduire par des expressions sur son faciès ce qu’il ressentait mais son regard avait toujours été un livre ouvert pour ceux qui savaient le déchiffrer. D’un autre côté, ce qu’il ne pouvait exprimer physiquement, il le faisait par la parole qui était dénuée de mensonge.

 

« Cependant, tu as raison. Ce conflit ne concerne pas uniquement les hommes mais si c’est un esprit mauvais qui est à l’œuvre, j’ai le sentiment qu’il est aidé par un humain. En fait, j’ai même l’impression que c’est un homme qui manipule les esprits à des fins personnelles. Quelles sont-elles ? Je ne suis pas certain de les avoir cernées.

 

— Pourquoi s’en prendre à des innocents ? Pourquoi faire les choses aussi insidieusement ?

 

— Parce que cela génère la peur. Et la peur est le limon des esprits du mal, c’est ce qui leur donne le plus de pouvoir. D’autre part, ces événements ont provoqué un certain désordre. Le commun des mortels ne va plus avoir confiance en ceux qui sont sensés les protéger, qu’ils soient hommes ou dieux.

 

— Oui, peut-être… Mais vers qui vont-ils se tourner, alors ? Vont-ils faire appel de nouveau aux esprits de la nature, comme autrefois ?

 

— Probablement, mais ce ne seront pas forcément de bons esprits qui leur répondront. Ou pire… Ce seront des esprits qui, en d’autres temps, avaient été bons et toujours prêts à aider les hommes mais qui aujourd’hui se sentent trahis et rejetés. Oui, ce sont peut-être de ceux-là qu’il faudra le plus se méfier. »

 

Émeline lança un regard effrayé vers le dragon. Combien elle aurait aimé qu’il puisse avoir tort. Mais au plus profond d’elle-même, elle savait qu’il avait raison. Ce n’était pas une simple supposition de sa part mais le constat de ce qui se tramait déjà. Elle n’était plus qu’un esprit mais elle avait été humaine et elle commençait à ressentir comme de l’animosité de la part d’êtres féériques envers elle. Ce n’était pour l’instant que des  regards sombres, lancés à la dérobée, comme si elle représentait tout ce qu’ils détestaient. Quand certains lui adressaient encore la parole, c’était de façon froide et distante. Seule son statut auprès de Fyng’hôrn devait la préserver d’une agressivité plus manifeste. Elle l’avait bien remarqué mais s’était toujours refusé d’admettre la réalité.

 

« Vous croyez que des alliances contre-nature puisse se nouer ? » demanda-t-elle.

 

Le dragon s’installa confortablement, comme s’ils étaient en train d’avoir une conversation courtoise. Malgré sa taille imposante, il ne semblait nullement gêné par les arbres environnants. C’était comme s’ils lui avaient fait un peu de place, se serrant les uns contre les autres. Des oiseaux, nullement craintifs, vinrent se percher sur les cornes qui lui sortaient du front et qui se courbaient vers l’arrière à la manière de celles d’un bouc. Du lierre se mit à croître sur ses membres antérieurs sans pour autant l’emprisonner. L’herbe qui poussait près de son ventre sembla prendre une teinte vert tendre. Probablement attirée par un tel délice, une biche s’approcha et se mit à brouter tout près du dragon sans montrer le moindre signe de peur et de méfiance.

 

« De nouvelles frontières se sont dessinées et d’autres commencent à s’estomper. Je ne sais si l’on peut parler d’alliance contre-nature mais d’anciens ennemis pourraient bien trouver là un terrain d’entente. Les passages entre le monde des esprits et celui des mortels sont encore nombreux mais les hommes ne les voient plus. Ce qu’ils ne perçoivent plus, également, ce sont les territoires sacrés qu’ils empiètent et dénaturent sans se douter un instant du mal qu’ils font. La colère gronde. Et quand les esprits passeront à l’offensive, les hommes ne verront pas le danger surgir. »

 

Il n’y avait aucune véhémence dans le discours de Fyng’hôrn. Il ne faisait, une fois de plus, que constater les choses. Dans le même temps, il semblait avouer son impuissance. Le dragon posa sa tête sue l’une de ses pattes en poussant un profond soupir. Un instant dérangés, les oiseaux revinrent promptement sur leur perchoir tout en lançant des trilles désapprobateurs. Rassérénés, ils entreprirent de lisser méthodiquement leur plumage radieux et coloré.

Émeline, malgré la scène bucolique, avait le visage empreint de tristesse. Elle vint se placer tout contre le cou du dragon et en caressa les écailles qui étaient recouvertes, contre tout attente, d’un léger duvet, doux au toucher. Le feuillage des arbres se mit à bruire doucement comme si la brise cherchait à murmurer un message de réconfort. Elle sentit alors un léger balancement du cou du dragon comme quand il cherchait à la bercer quand elle était enfant. Malgré la peine qui lui enserrait le cœur, Émeline parvint à sourire, touchée par cette délicate attention

Un chant clair et cristallin s’éleva soudain dans la forêt. Les paroles comme les mots étaient anciens mais nul besoin d’en comprendre le sens pour en ressentir la beauté. Les notes étaient pures et voyageaient dans les airs, porteuses d’espoir. Elles s’écoulaient à travers les sentes comme la rivière dans son lit avant de déborder et d’inonder la forêt toute entière. Les créatures des bois s’étaient arrêtaient un instant pour écouter puis, le cœur gonfler d’une paix nouvelle, reprenaient leurs activités.

Une silhouette blanche se précisa à l’orée de la clairière, accompagnant le chant qui s’était fait plus proche. Tandis que les souvenirs affluaient, Émeline se souvint non seulement des paroles mais aussi ce qu’elles racontaient. Doucement, puis de façon de plus en plus sûre, elle joint sa voix au chant dont le pouvoir sembla croître et gagner en force. Un son plus grave et plus guttural mais nullement discordant vint s’y ajouter, donnant à l’ensemble une certaine profondeur comme s’il puisait sa magie dans les entrailles de la terre.

Le chant racontait les origines de la source. Comme souvent, il s’agit de l’histoire d’un amour impossible. La fille du roi de la forêt, une créature féérique, une dryade, tomba amoureuse d’un mortel. C’était un chasseur et quand il terrassa une biche innocente devant ses yeux horrifiés, la princesse éprouva à la fois peine et colère. Mais c’est alors qu’il s’agenouilla auprès de sa victime et l’acheva en lui demandant pardon, nul désireux de la faire souffrir ; son sacrifice était nécessaire pour nourrir les siens. C’est alors qu’il vit à son tour la dryade et fut aussitôt subjugué par sa beauté.

Les deux amants se virent encore et encore mais leur amour n’était pas permis. Le roi de la forêt non seulement désapprouvait mais il voulait aussi que sa fille y mette un terme. Pourtant il se produisit ce que nul n’aurait pu croire ni espérer, un enfant naquit de cette union mais ne vécut guère le temps de voir le jour se lever plus d’une fois. La princesse débordant de tristesse se mit à pleurer et à pleurer encore, au point que ses larmes formèrent un ruisseau.

La fée des sources, touchée par son chagrin, vint la trouver et lui fit une proposition. Si son désir d’être la mère des enfants de son amant était si fort, il lui fallait renoncer à sa nature féérique. Pour cela, elle devrait boire l’eau de la source, une fois qu’elle l’aurait enchantée. La princesse deviendrait alors humaine et pourrait ainsi s’unir à cet homme. D’autre part, cette eau aurait également le pouvoir de rendre toute femme qui la boirait féconde, à condition que l’amour soit sincère et le désir de donner la vie soit tout aussi fort.

 

« Cela ne s’est pas passé exactement ainsi mais c’est assez proche de la vérité. » déclara la silhouette blanche en mettant fin au chant et à l’enchantement.

 

C’était une vielle femme au dos tout recourbé et qui s’aidait d’un bâton pour marcher. Elle avançait d’un pas claudiquant et s’arrêtait régulièrement pour tâter le sol devant elle avec son morceau de bois qui était tout aussi noueux qu’elle-même. Ses yeux étaient recouverts d’un voile blanc ce qui expliquait sans doute la difficulté qu’elle avait de distinguer les obstacles devant ses pieds. Son visage parcheminé était buriné par une longue vie au grand air et ses cheveux, longs et fillasses, étaient d’un blanc presque translucide.

Voyait-elle le dragon et sa suivante ou percevait-elle seulement leur présence ? Il semblait pourtant que c’était bien à eux qu’elle s’adressait. Et comme pour le confirmer, son regard aveugle se porta vers Émeline sans la moindre hésitation. Un sourire édenté fendit son faciès et une lueur étrange sembla traverser son regard éteint. Elle adressa un léger signe de tête à l’attention du dragon qui le lui rendit.

 

« Ce n’est pas un maléfice aussi misérable qui va troubler une magie séculaire aussi puissante. Crois-moi. J’ai enchanté ces eaux autrefois, je peux les défaire du mal qui les rend impures.

 

— La Fey, ton pouvoir est-il aussi toujours aussi puissant ? s’inquiéta Émeline. »

 

Elle ne faisait nullement référence à l’apparence de la vieille femme car elle n’était pas dupe. En ces temps de troubles, le pouvoir des créatures féériques avait fortement faibli. C’était aussi la raison pour laquelle elles se manifestaient moins dans le monde des hommes. Leur magie y avait perdu de son influence.

La Fey eut un gloussement amusé et comme si elle désirait montrer que son pouvoir était toujours intact, son apparence se modifia. La vieille femme au corps fatigué céda la place une femme jeune et l’allure pleine de prestance. Elle n’avait pas lâché son bâton mais celui-ci s’était également transformé, ayant pris la forme d’un bourdon de bois blanc et dont le sommet se terminait par une sphère de cristal enchâssée. Ses cheveux avaient conservé une blancheur translucide et tombaient en cascade sur ses frêles épaules. Son visage était maintenant lisse et d’une grande pâleur mais qui tenait plus de la fraîcheur que du teint maladif. Enfin, le voile qui recouvrait ses yeux avait disparu et laissait entrevoir leur éclat d’un bleu cristallin.

Maintenant, tandis qu’elle se déplaçait vers la fontaine, ses mouvements étaient d’une grande fluidité et l’on avait l’impression d’entendre le murmure du ruissellement de l’eau à chacun de ses pas. La vieille qu’elle était l’instant auparavant portait une robe de lin gris, élimée et sale. La robe qu’elle arborait maintenant donnait l’impression d’être liquide, comme une rivière qui coule et qui recouvrirait son corps dont on devinait les courbes gracieuse au travers.

La Fey s’arrêta à la hauteur du dragon et tendit sa main libre vers Émeline, l’invitant à la rejoindre :

 

« Mon pouvoir est encore très puissant mais tu as raison, il n’est peut-être plus ce qu’il était en des temps plus cléments. Maître Fyng’hôrn et toi allez m’aider. Je puiserais en vous juste assez de magie nécessaire pour achever l’enchantement.

 

— Alors tu n’auras pas besoin de mon aide, dit le dragon. Tu as en toi assez de puissance pour contrer le maléfice, je le sens. La magie d’Émeline te permettra de redonner sa force à l’enchantement initial. Et puis, si j’intervenais, cela voudrait dire que je prends part au conflit que je devine et qui s’annonce.

 

— Bien, Maître. » consentit la fée des sources.

 

L’espace d’un instant, Émeline crut percevoir comme une pointe d’amertume et de rancœur dans cette réponse laconique. Quand elle saisit les doigts de la Fey, une sensation de douce fraîcheur se répandit dans son être, aussi éthéré qu’il fut. Ensemble, les deux jeunes femmes s’assirent sur la margelle. La Fey pointa son bourdon au-dessus de l’eau et murmura des mots qui n’en étaient pas. C’était un langage qui existait avant l’invention du verbe, si ancien qu’il était sans doute né en même temps que les origines du monde. C’était un langage si élémentaire que l’on avait la sensation d’entendre l’eau qui s’écoule. Soudain les flots des mots se firent tumultueux et l’eau de la source se mit en ébullition.

Elle ne bouillait pas sous l’effet de la chaleur car elle demeurait toujours aussi glacée. Et pourtant des fumeroles noirâtres commencèrent à se former à sa surface puis de la vapeur tout aussi opaque s’éleva au-dessus du bassin. Quand elle se dissipa enfin, l’eau avait retrouvé sa clarté cristalline. Émeline, tout comme elle avait perçu le poison qui l’avait souillée, pouvait percevoir que l’eau avait été de nouveau purifiée.

 

« Peux-tu plonger ta main dans la source maintenant ? » lui demanda la Fey avec douceur. « Je vais à présent enchanter l’eau une nouvelle fois et lui redonner son pouvoir.

 

— Mais comment les femmes de Monval et de Piéval vont-elles savoir que l’eau n’est plus maléfique ?

 

— Quelques unes sont déjà venues me voir après ce qui est arrivée à la pauvre Anne. Je leur ai dit que j’organiserais tantôt un rituel afin d’apaiser la colère des dieux et des esprits. Ce soir, c’est la pleine lune et elles seront nombreuses à venir au rendez-vous, tu peux en être certaine. »

 

Émeline parut soulagée, ferma les yeux et trempa sa main dans l’eau. Oui, elle le sentait bien à présent, si le maléfice s’en était allé, la magie de la source en était aussi absente. La Fey lui fit un nouveau sourire et prononça des paroles dont les sonorités remontaient à l’origine des temps. Elles étaient quelque peu différentes mais pas si éloignées. La vie était comme un fluide qui s’écoulait dans les veines du monde. Et c’était la promesse que faisait cette eau, permettre à la vie de s’écouler d’un corps à un autre, permettre à une femme de mettre au monde une nouvelle vie.

 

 

 

 

 

 

 

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16 février 2013 6 16 /02 /février /2013 14:00

 

 

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Le Sacrifice du Dragon

 

de

 

Laurent "Dragon" Royer

 

 

 

 

 

 

 

 

CHAPITRE 8

 

 

       

 

 

 

 

 

 

Le Père Mathieu ne boudait pas son plaisir. Il se tenait certes devant une assemblée réduite mais elle était tout de même composée de membres des deux domaines. Il était vrai que les lieux ne se prêtaient pas à un grand rassemblement. Il aurait simplement suffi d’abattre quelques arbres pour permettre au plus grand nombre d’assister à la cérémonie. Si cela n’avait tenu qu’à lui, cela aurait été fait avec diligence mais Gyls s’y était fermement opposé. Derrière ce refus catégorique, Mathieu avait deviné l’influence de Dame Ysabeau. Néanmoins, il admettait que cela aurait sans doute retardé d’autant plus la célébration. Avec tous ces tragiques événements, survenus les uns après les autres, il n’avait pu faire autrement que de se résoudre à repousser la cérémonie. Et puis, il devait aussi reconnaître que ces drames avaient eu le don de réunir les deux familles déchirées.  

Derrière lui, l’eau de la source glougloutait. Elle jaillissait d’une large fissure dans la roche et se déversait dans une vasque presque naturelle. Des générations d’hommes et de femmes venus déposer des offrandes et prier leurs antiques idoles avaient dressé une margelle rudimentaire, faite de pierres grossières et de cailloux, tout autour. D’ici quelques jours, une construction plus élaborée la remplacerait. La cavité creusée dans le rocher qui surplombait la source avait été élargie pour accueillir une statuette dont tout un chacun savait qu’elle représentait l’effigie de la Sainte Vierge.

L’autel avait été dressé à quelques pas de la fontaine et l’on y avait déposé des cierges et un encensoir. Le prêtre avait profité de l’occasion pour organiser une messe et préparer un prêche. Il se délectait également de la présence du prêtre de Piéval dans l’assistance. S’il l’avait cordialement invité à se joindre à la cérémonie, il ne l’avait pas enjoint à conduire l’office à ses côtés. Il savait pertinemment, tout au fond de lui, qu’il faisait preuve d’un profond sentiment d’orgueil mais il estimait qu’il lui était déjà pardonné puisque c’était au nom et à la gloire de Dieu.

Au premier rang, les seigneurs de Monval et de Piéval, ses cousins, l’écoutaient avec attention mais il devinait dans leurs yeux que ce n’était que par pure politesse. Mathieu n’avait jamais ignoré que ces deux-là n’étaient pas de fervents croyants. Il avait bien tenté de corriger ce défaut chez Gyls mais Thomas n’avait eu qu’un piètre prêcheur au passé douteux pour conseiller spirituel. Cependant, malgré ses efforts, il savait que le seigneur de Monval n’était pas très pieux.

À leurs côtés se tenaient leurs épouses. Ysabeau était sans doute sa plus grande déception. Elle assistait certes aux offices religieux comme ses devoirs de Dame du seigneur l’exigeaient mais elle ne manifestait aucun réel intérêt pour la religion. Elle ne se confessait pour ainsi dire jamais. Ce n’était pas faute de le lui rappeler régulièrement ; rien n’y faisait. C’était à peine si elle lui témoignait le respect dû à son rang. Elle ne semblait voir en lui que le cousin de son époux et non le prêtre de la paroisse du domaine.

Même s’il s’était souvent rendu à Piéval pour rendre visite à Flora, il regrettait de ne pouvoir être plus présent pour la seule qui soit vraiment en accord avec le Seigneur. Il avait toujours eu l’impression qu’elle portait sa propre croix. Elle profitait de la venue de son cousin pour se confesser car tout comme lui, elle doutait de la foi du Père Gaël. Si ce dernier avait conduit le baptême du petit André, c’était parce que Thomas l’avait exigé, sous prétexte qu’il était le curé de la paroisse de Piéval.

Elle portait toujours le deuil de son enfant, bien qu’un mois, pratiquement, s’était écoulé depuis le tragique événement. Elle était entièrement vêtue de noir, et sous le voile qu’elle portait pour dissimuler son immense et inconsolable tristesse, son visage paraissait plus pâle que jamais. Si cela était possible, sa silhouette était encore plus frêle qu’à l’ordinaire. Comme si elle craignait que le moindre coup de vent ne l’emporte, Ysabeau la serrait fermement par les épaules.

La Dame de Monval avait fortement désapprouvé la présence de Flora à cette cérémonie. Et pour une fois, Mathieu s’était rangé à son avis. Mais Thomas voyait son épouse sombrer de jour en jour et il avait demandé à Ysabeau de veiller sur elle. Or, comme ses devoirs imposaient qu’elle soit présente aux côtés de son mari et seigneur, elle ne pouvait déroger à ses obligations. Afin de répondre à la fois aux attentes de son beau-frère et à celles de l’étiquette, Ysabeau avait été contrainte, d’une certaine façon, de se faire accompagner par sa sœur. Heureusement pour la pauvre enfant, la messe touchait à sa fin, bien qu’il restât encore à consacrer les lieux et à bénir la statue de la Sainte Mère de Dieu.


« Le malheur a frappé nos contrées. Le Malin a voulu saisir nos cœurs dans ses mains griffus et les pétrifier d’effroi. Mais Dieu nous a envoyé un signe. Dieu nous a montré qu’il ne nous avait pas abandonné. La Sainte Vierge est apparue en ces lieux et s’est adressée à une âme pure et chaste. »


En prononçant ces derniers mots, il fit un geste de la main pour faire venir la jeune femme qui attendait pieusement au dernier rang. Elle s’appelait Anne et vivait au bourg de Monval. Sa maison se trouvait à proximité de l’église où elle se rendait quasiment tous les jours. Le père de la jeune femme, un maître artisan, avait aidé à bâtir la demeure du Christ et s’était éteint le soir où elle avait été consacrée. Déjà fort malade et contre l’avis général, il avait continué à travailler, assurant que c’était le Seigneur qui lui donnait la force de poursuivre. C’était sans doute cette foi inébranlable qu’il avait transmis à sa fille.

L’année d’avant, Anne s’était unie à Philippe, un soldat, avant qu’il ne parte à la guerre au printemps avec le seigneur Gyls de Monval. Tous les jours, elle s’était rendue à l’église et avait prié pour le salut de son époux, pour qu’il revienne vivant et en bonne santé. Et Dieu l’avait écoutée. Dieu avait protégé son mari. À son retour, elle avait espéré concevoir avant qu’il ne reparte guerroyer. Mais l’automne et l’hiver passèrent sans que l’on ne vît le fruit de leurs amours naître en son sein. Le printemps revint et Philippe repartit à la guerre avec son seigneur. Et jusqu’à la fin de l’été, elle espéra que leur dernière union avait été féconde mais il n’en fut rien.

Le doute l’assaillit. Sa foi, jusque-là indéfectible, vacilla. Combien de fois elle avait entendu les femmes du village glousser dans son dos et assurer que si elle avait bu l’eau de la Fontaine de la Faye, elle serait aujourd’hui au moins deux fois mère. Dieu avait toujours répondu à ses attentes en préservant la vie de son époux mais pourquoi ne voulait-Il pas qu’ils aient descendance ? Elle n’avait jamais prêté foi à ces diableries mais ne pouvait-elle constater, en effet, que toutes celles qui avaient bu de cette eau finissaient par tomber enceinte dans le mois qui suivait.

Le cœur lourd, l’âme en perdition, elle se rendit à son tour dans les Bois de Roncevac. Que de choses ne racontait-on pas sur ces lieux. D’après les anciennes du village, il regorgerait de farfadets et d’esprits de la forêt, bienveillants pour certains, malicieux pour d’autres. Anne n’avait jamais cru aux lutins et autres diablotins mais elle craignait le Diable et ses suppôts qui bien souvent prenaient forme humaine. Et, quelque soit la croyance, les Bois de Roncevac avaient une réputation sulfureuse. On le disait, notamment, le repaire des loups et ces bêtes-là n’étaient pas un mythe.

Au fur et à mesure qu’elle s’enfonçait dans la forêt, alors qu’elle pensait avoir perdu la foi, c’est pourtant à Dieu qu’elle adressa ses prières. Tout le long du chemin, Il la protégea du mal. Alors que ses espoirs étaient moribonds, ils brillaient de nouveau comme la flamme la plus vive d’une bougie quand elle parvint à la fontaine. Ayant repris confiance en le Seigneur, elle aurait pu rebrousser chemin mais c’était comme s’Il voulait justement qu’elle se rende en ces lieux impies.

Et elle comprit pourquoi. Près de la source, une femme se tenait debout et semblait l’attendre. Elle était d’une beauté extraordinaire et nimbée d’une aura d’un blanc lumineux. Anne sut immédiatement qu’il s’agissait de la Sainte-Vierge. La sainte mère du Sauveur posa un regard doux et bienveillant sur elle avant de faire quelques pas et de lui prendre les mains dans les siennes. Sentant une douce chaleur irradier tout son être, Anne se laissa tomber à genoux.


« Ne bois pas cette eau car aujourd’hui, elle est impure, déclara Marie. Elle souillera ton corps comme ton âme. Elle en a corrompu bien d’autres avant toi et cela ne peut plus durer. Il n’existe qu’une seule façon pour que cette eau puisse purifier le corps et soulager l’âme, il faut qu’elle soit sanctifiée par un prêtre. Une fois que cette source sera sacralisée, je donnerais ma bénédiction et ma protection à toutes les femmes désireuses d’être mère, tout comme toi. »


Anne se sentait transportée et comblée. Sa foi était plus forte que jamais. Les larmes aux yeux, elle acquiesça en hochant simplement de la tête tant les mots peinaient à franchir le rempart de sa gorge. Toujours à genoux, elle n’osait quitter des yeux le doux regard de la Vierge. Même quand Elle finit par disparaître comme un songe au petit matin, Sa présence emplissait encore le cœur de la jeune femme.

Elle ne souvint pas de son voyage retour ou plutôt de façon fugace. C’était comme si les arbres écartaient leurs branches à son passage et rentraient leurs racines pour qu’elle ne trébuche. Bien sûr, cela n’était que pouvait être que le fait de son imagination. Ce qui était sûr, c’était qu’elle avait le cœur tellement léger qu’elle aurait pu parcourir des lieux sur une terre aride sans souffrir de la soif. C’est donc l’âme apaisée qu’elle retourna au village et la première chose qu’elle fit, ce fut se confesser au Prêtre.

Le Père Mathieu eut de la peine à la croire sur l’instant. Et à vrai dire, de la part de toute autre de ses paroissiennes, il aurait songé à une moquerie bien mal placée. Il connaissait trop bien Anne et sa grande dévotion envers Dieu pour ne pas considérer ses propos comme sincères. D’autre part, il connaissait tout autant son désir d’être mère et n’avait pu s’empêcher de penser que cela commençait fortement à lui affecter l’esprit. Et puis, petit à petit, l’idée de mettre un terme à ces pratiques païennes le séduisit.

Combien de fois, il avait condamné ces agissements sans que cela ne trouve écho auprès de ses ouailles. Nombre de femmes du village venaient à la messe, écoutaient ses sermons et puis se précipitaient dans cette maudite forêt pour se rendre à cette fontaine et y déposer des offrandes dans l’espoir d’avoir des enfants. Enfants qu’elles lui demandaient ensuite de bénir et de baptiser. De son côté, il espérait ainsi sauver l’âme de ces êtres innocents qui avaient été conçus sur la foi de croyances impies. Et voilà que se présentait non pas l’occasion de mettre totalement un terme à ces pratiques mais celle de préserver l’âme des parents.

Prenant une profonde inspiration, le Père Mathieu avait fini par déclarer :

 

« Puisque la Sainte-Mère de Dieu a demandé à ce que l’eau de cette source soit bénite pour lui ôter sa malignité, je me plierais à la Volonté du Tout-Puissant en sanctifiant la source. Et comme c’est à toi qu’elle s’est adressée, tu seras la première à boire de cette eau purifiée. Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, je te bénis. »


Il avait alors posé sa main sur la tête de la jeune femme comme il le faisait à présent tandis qu’il la bénissait de nouveau. Anne s’était agenouillée devant l’autel et avait joint ses mains pour prier. Elle portait une simple robe de lin mais d’un blanc immaculé. Une coiffe, blanche également, lui recouvrait les cheveux et la nuque. Son visage rayonnait de bonheur. Il n’affichait aucun sentiment de triomphe ou de vanité mais seulement l’expression d’une foi profonde et sincère.

Les spectateurs les plus proches, au premier rang desquels le Seigneur de Monval, son frère et leurs femmes, pouvaient le voir aussi clairement que le soleil dans le ciel d’un jour d’été sans nuage. Si la plupart étaient tout simplement stupéfaits par une telle dévotion, seule Flora en ressentait à la fois une tristesse incommensurable et une apaisante sérénité. Une seule autre personne dans l’assistance était partagée entre des sentiments contradictoires. Pourtant resté à l’arrière, Philippe, le mari, ne pouvait s’empêcher d’être effrayé par la piété de sa femme. Bien sûr, il éprouvait une certaine fierté qu’elle fut choisie par la Mère de Dieu pour porter son message mais il n’osait plus la toucher comme si elle avait transcendé sa simple condition de mortelle pour rejoindre les Saints du Paradis.

Le Père Mathieu s’était saisi de l’encensoir et le balança d’un mouvement lent et régulier, d’abord au-dessus de la tête de la communiante puis le long de l’allée qui séparait l’assistance en deux. Après quoi, toujours en répandant l’âcre fumée devant lui, il s’en retourna et, solennellement, d’un pas mesuré, il se rapprocha de la source. Il s’arrêta devant la margelle et tandis qu’il continuait de balancer l’encensoir au-dessus de l’eau, il tendit la main droite, deux doigts joints, et fit le signe de croix tout en prononçant quelques mots en latin.


« Amen. » dit-il pour finir, aussitôt repris par toute l’assistance.


Il posa l’encensoir délicatement sur la margelle et après avoir fait le tour de la vasque, il détacha le voile de tissu que l’on avait tendu sur la roche pour dissimuler la cavité dans laquelle on avait déjà placé l’effigie de la Vierge. Tout le monde put ainsi admirer le remarquable travail du maître ébéniste qui avait réalisé la statuette. Debout, les bras écartés, les mains ouvertes vers le ciel, elle semblait poser un regard plein de compassion sur le monde à ses pieds.

Un silence révérencieux, sans doute plus destiné à la maestria de l’artisan qu’à la représentation de la Vierge elle-même, gagna toute l’assemblée. Bien entendu, le Père préféra l’interpréter comme la manifestation d’une profonde dévotion. Il trempa ses doigts dans l’eau et retint un frisson tant elle était glaciale. Il en aspergea la statuette en faisant un nouveau signe de croix.

Il ramena l’encensoir à l’autel et saisit un calice dans lequel, habituellement, il préparait un peu de vin pour la communion avec les fidèles. Cette fois, la coupe était vide et plutôt que d’y tremper ses lèvres en premier, il se retourna et alla la plonger dans l’eau de la source. Il l’éleva au-dessus de son visage comme s’il la présentait à la Sainte Vierge et au Ciel à travers elle. Il revint se placer devant Anne qui n’avait pas bougé et était restée agenouillée.


« À présent que cette source a été sanctifiée et que son eau a été bénite, tu peux la boire sans craindre le Mal. »


Sur ces mots, il tendit le calice à la jeune femme qui trempa d’abord simplement ses lèvres avant de sourire, rayonnante de joie. Puis, elle saisit la coupe et la vida de son contenu d’un trait avant de la rendre au prêtre. L’extrême fraîcheur du liquide n’avait visiblement pas troublé la jeune femme. Anne, au contraire, semblait plus lumineuse encore. Le Père Mathieu se rendit compte qu’il ne s’agissait pas d’une simple expression : la jeune femme rayonnait littéralement. Elle était maintenant nimbée d’une lumière blanche qui se faisait de plus en plus éblouissante. Il se signa à plusieurs reprises, imité par quelques uns dans l’assemblée. Il songea à la chance, et en remercia Dieu pour cela, qu’il avait d’assister à un tel miracle.

Gyls et Thomas avaient porté la main à leurs ceinturons, prêts à dégainer la dague qui ne les quittait jamais, y compris lors d’offices religieux, ce que le prêtre leur avait toujours reproché. En cet instant béni, plutôt que d’accepter la vision d’un miracle, ils se réfugiaient derrière la suspicion, prêts à en découdre. Mais que pouvaient-ils bien craindre d’une femme innocente comme Anne ?


« Je le sens. Je le sens ! » dit-elle soudain en portant ses mains sur son ventre. « Je sens la vie qui naît en moi ! Une vie bénie qui guidera les hommes auprès du Seigneur. »


Est-ce seulement possible ? songea le Père Mathieu. Était-elle en train de dire que non seulement elle portait un enfant mais qu’il s’agissait d’un nouveau Sauveur. L’espace d’un instant, la foi pourtant solide de Mathieu fut ébranlée. Il douta. Cette femme osait-elle se moquer d’eux ? N’était-elle pas en train de proférer un blasphème ? Pourtant, force lui était d’admettre qu’elle était auréolée d’une lumière blanche et que ceci ne pouvait être qu’un signe de Dieu.


« Regardez ! » s’écria quelqu’un. « Son ventre.  Son ventre se gonfle. »


Et c’était vrai, son ventre, sous sa robe, s’arrondissait à vue d’œil. Son visage resplendissait de l’amour qu’elle ressentait déjà pour l’être qui grandissait en elle. Ses yeux se portèrent sur son mari mais celui-ci ne semblait pas partager la félicité qu’elle ressentait. La peur et l’incompréhension se lisaient ouvertement dans son regard. Il semblait même hésiter à prendre la fuite.

Il aimait la femme qu’il avait épousé et même s’il n’avait jamais éprouvé autant de dévotion qu’elle envers l’Église et le Seigneur, il avait toujours respecté sa foi. C’était Anne, fille d’un maître bâtisseur qu’il avait épousé mais pas cette femme qui se tenait devant l’autel, auréolée de lumière blanche et dont le ventre grossissait comme si elle allait accoucher dans l’instant.


« Vade retro, fille du Diable ! » cria-t-on soudain. Flora s’était saisie du crucifix qu’elle ne quittait jamais et le tenait droit devant elle. Ysabeau la retenait à grand peine, comme si sa sœur voulait sauter à la gorge de cette créature impie. Le Père Mathieu paraissait le premier étonné de la réaction de sa cousine. Elle, si dévote, remettait en cause un signe de Dieu aussi évident, cela ne se pouvait.

Anne se mit soudain à rire à gorge déployée. Un rire indubitablement démentiel. Effrayant. La jeune femme commença à s’élever au-dessus du sol et se mit à tournoyer lentement sur elle-même puis de plus en plus vite. Le Père Mathieu se signa. Il commençait à réaliser qu’il avait été dupé. Le Malin avait pénétré le cœur de la pauvre enfant et maintenant la possédait. Il ne comprenait pas, il avait pourtant sanctifié les lieux. Il avait béni l’eau, il l’avait placée sous la protection de la Sainte Vierge.

Brutalement, Anne retomba sur le sol. Quand elle redressa la tête, elle pleurait des larmes de sang. Sa robe, au niveau de son ventre toujours gonflé, s’était teinté d’écarlate et quand elle la toucha, elle en retira des mains couvertes de sang. On pouvait voir des filets de liquide rougeâtre qui coulait le long de ses jambes.

    La foule, stupéfaite, resta figée. Flora avait cessé de lutter contre sa sœur, assistant à la scène, impuissante. Le Père Mathieu, dans un état second, n’arrêtait pas de psalmodier des passages de la Bible et n’avait de cesse de se signer. Seul Philippe sembla réagir à ce qui arrivait à son épouse. Il se précipita pour la rattraper avant qu’elle ne s’écroule totalement. Reconnaissant son mari, la jeune femme réussit à sourire une dernière fois avant de poser sa tête contre l’épaule de Philippe et de s’éteindre.

 

 

 

 

 

 

 

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9 février 2013 6 09 /02 /février /2013 18:04

 

 

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Le Sacrifice du Dragon

 

de

 

Laurent "Dragon" Royer

 

 

 

 

 

 

 

 

CHAPITRE 7

 

 

       

 

 

 

 

Le feu crépitait vivement dans l’âtre de la cheminée. Les deux jeunes seigneurs se tenaient devant, assis en vis-à-vis mais chacun perdu dans ses pensées, un verre de vin à la main. Thomas, par égard envers son épouse, avait décidé que le repas du soir se fasse dans la plus stricte intimité. Seuls quelques parents les plus proches avaient pu y assister. Conscient que cela pourrait être considéré comme un affront, il avait promis la tenue d’un banquet pour le lendemain où les différents membres de la cour, depuis les seigneurs vassaux, leurs épouses et leurs enfants, jusqu’aux plus gradés de la soldatesque, seraient conviés. Il y avait peu de chances que Flora y assiste mais il devait ménager tout le monde.


— Comment en sommes-nous arrivés là, Thomas ? demanda Gyls en brisant enfin le silence maintenant qu’ils étaient de nouveau seuls.


— Par orgueil, mon frère. Et des deux, j’ai sans doute été le plus orgueilleux. Je le reconnais. Je comprendrais même que tu ne veuilles pas me tendre la main, à présent.


— Refuser de te venir en aide ? Combien de fois ai-je voulu mettre un terme à cette querelle idiote. J’avais juste peur. J’avais peur de te mettre plus en colère. Je craignais ton refus. Comprends, à ton tour, que je ne pouvais accepter de te céder les terres que le père d’Ysabeau m’avait légué en dot. Non pas que cela m’aurait gêné en réalité mais je ne pouvais faire autrement pour ne pas perdre crédit auprès de mes vassaux.


— Oui. Et c’est bien la position que je m’apprête à connaître, Gyls. Vu la situation difficile de mon domaine, je ne peux que me placer sous ton autorité. Seulement, aujourd’hui, je crois bien avoir vieilli de dix ans d’un coup. Je ne suis plus ce jeune homme impétueux qui était ton frère cadet. J’ai mené trop de batailles, j’ai vu trop de jeunes gens s’entre-tuer et je viens de perdre mon fils, le premier né de mes enfants.


Il fit tournoyer le vin dans son verre avant de l’avaler d’un seul trait. Il se leva et alla se resservir. Il leva la cruche en question muette. Gyls opina de la tête avant de se lever à son tour et de rejoindre son frère. Ils restèrent ainsi quelques instants plongés une fois de plus dans leur silence tout en dégustant leur breuvage.


— As-tu appris pour le Grand Paul ?


— Les rumeurs les plus folles me sont parvenues. D’après ce que j’ai compris le fermier et sa famille ont été massacrés. As-tu attrapé les coupables ?


— Massacrés est un mot bien faible pour décrire l’horreur que nous avons découvert, mes hommes et moi. Je ne puis imaginer que des êtres doués de raison aient pu faire une chose pareille mais je suis certain que ce ne pouvait être des animaux. Nous avons été obligés de brûler tous les bâtiments de la ferme et nous n’avons pu offrir une sépulture digne de ce nom à certains de ces pauvres hères. Quant aux coupables…


Gyls ne termina pas sa phrase et eut un geste d’impuissance.


— Je ne sais comment, poursuivit-il, ils n’ont laissé aucune trace. D’où sont-ils venus, qui étaient-ils et par où sont-ils partis ? Des questions mais pas de réponses. Nul ne les a aperçu ni même entendu. Et ce n’est pas le plus étrange.


Le seigneur de Monval marqua une nouvelle pause. Il regarda le contenu de son verre avant d’en avaler une bonne gorgée comme pour se donner du courage.


— Le plus étrange est la façon dont nous avons été prévenus.


Gyls se tut encore. Lui-même avait encore du mal à croire à ce qu’il s’apprêtait à raconter. Ne l’aurait-il pas vécu personnellement, il aurait sérieusement mis en doute la raison de son interlocuteur. Et puis Thomas venait de perdre un être cher, ce n’était sans doute pas le moment de lui servir ce genre d’histoire.


— Mon frère, si tu crains de parler parce que tu as été confronté à quelque chose qui te dépasse, je puis t’assurer que la disparition de mon fils n’est que la conclusion tragique d’événements tout sauf ordinaires.


Ainsi encouragé, Gyls se décida à reprendre :


— Un homme s’est présenté à nous, au château. Il prétendait venir de la ferme du Grand Paul où il avait découvert le massacre. Par chance, semblait-il, il était absent au moment de l’attaque. Nous lui avons offert refuge le temps d’aller nous rendre compte. J’ai pris le chemin le plus court, par les bois, pour aller à la ferme tandis que j’envoyais Nicolas par la route de l’autre côté. Quand nous nous sommes rejoints, alors que mes hommes et moi venions de quitter la ferme et son horrible massacre, Nicolas m’annonça avoir découvert un cadavre un peu plus loin au bord de la route. C’était l’homme qui était venu nous trouver au château, mort depuis des jours déjà.


Gyls acheva de boire son vin et tendit le verre pour que Thomas le remplisse une fois de plus. Le visage de son frère était impénétrable. Il partagea ce qui restait du breuvage avec son aîné et l’invita à se rasseoir devant le feu. Il ne laissait transparaître nul scepticisme. Il semblait réfléchir intensément à ce qu’il venait d’entendre comme si, au contraire, cela apportait un élément supplémentaire à sa propre théorie. Théorie qu’il n’avait partagée avec personne jusqu’à présent mais dont il était sûr, maintenant, que Gyls serait prêt à écouter sans a priori.


— Étrange, peut-être, mais ce que j’ai perçu chez les rats qui nous ont attaqués ne l’était sans doute pas moins. Au début, quand ils ont fait irruption dans les cuisines du château, j’ai cru qu’ils fuyaient quelque chose mais après, j’ai eu comme la certitude qu’ils étaient attirés précisément là. J’avais envoyé de mes hommes voir d’où les rats venaient et ce qui les pourchassait. Quand ils revinrent, c’était pour me dire que les rats entraient non seulement dans les cuisines mais qu’un certain nombre grimpait aussi le long du donjon. Ils n’avaient rien aperçu qui fasse peur aux rats mais c’est alors que j’ai commencé à comprendre ce qu’était réellement l’attaque dans la cuisine. Ce n’était qu’une diversion… Une diversion destinée à détourner notre attention de leur véritable… de leur véritable objectif.


La voix de Thomas avait perdu de son assurance sur la fin. Les mots lui semblaient plus difficiles à prononcer maintenant que les souvenirs affluaient. Il avait beau se dire que de toute façon, il était déjà trop tard quand il avait fini par comprendre, il ne pouvait s’empêcher de penser qu’il aurait dû se douter de ce qui tramait bien plus tôt.


— À peine quelques heures plus tard, les rats dans leur totalité avaient complètement disparu. C’était comme s’ils n’avaient jamais existé, si ce n’est que pratiquement toutes nos réserves de nourriture sont perdues, seule preuve de leur passage. Que ce soit pour leur subite venue, en nombre, et leur toute aussi soudaine disparition, je ne trouve aucune explication rationnelle. C’est comme si… comme s’ils…


— Comme s’ils obéissaient à quelqu’un, termina Gyls, devinant là où Thomas voulait en venir tandis que celui-ci opinait de la tête.


— Est-ce que tu crois que ces événements soient liés, que nos domaines soient la cible d’un même ennemi ?


— Je suppose que tu as écarté toute intervention divine ou même maligne. Le père Gaël t’a-t-il soumis une telle théorie ?


— Le père Gaël pense que les problèmes terrestres sont d’abord les problèmes des hommes et que Dieu se préoccupe avant tout de nos âmes immortelles. Je suppose que ce n’est pas le cas de Mathieu. Notre cousin est sans doute plus dévot que le Seigneur Tout-Puissant lui-même.


— D’après lui, c’est l’œuvre du malin et même si ce sont des hommes qui ont commis ces atrocités, il pense qu’ils ont été guidés par Lucifer en personne. Il n’a pas oublié d’ajouter que cela ne serait pas arrivé si le Grand Paul et sa famille étaient venus plus souvent, autrement dit tous les dimanches, à l’église.


— Cela ne m’étonne guère de notre cousin. Il m’est venu une autre idée… Je t’avoue que j’ai moi-même un peu de mal à y croire. Te souviens-tu des histoires que nous racontait notre mère ? Elle disait qu’il s’agissait de légendes mais qu’elles avaient toutes un fond de vérité.


— Oui, Mère n’était pas très pieuse, je dois dire. Je me souviens qu’elle se rendait régulièrement en forêt avec la mère d’Ysabeau. Si tu te souviens, une fois, nous les avons suivis, tous les quatre, Ysabeau et Flora nous accompagnaient ce jour-là.


Thomas fronça les sourcils tandis que les souvenirs refaisaient surface. Il se rendait compte que jusqu’à présent, il n’y avait jamais plus songé. Et pourtant, cette journée avait été assez marquante pour que Flora cesse de les accompagner par la suite et se réfugie dans la religion et la dévotion.

Leurs mères s’étaient rendues seules, sans la moindre escorte, dans la forêt. Elles avaient emprunté un chemin qui pourtant ne semblait pas dessiné par un passage régulier. Malgré tout, elles n’avaient pas marqué la moindre hésitation, ne s’arrêtant ici ou là que pour cueillir un champignon, une fleur ou une plante quelconque qu’elles mettaient dans leurs paniers qui contenaient déjà des volailles. Elles cheminèrent ainsi jusqu’à une petite masure qui donnait l’impression d’à peine sortir de terre. D’ailleurs un pan de toit touchait le sol et était recouvert d’une épaisse couche de mousse.

Ne s’étaient-elles réellement pas rendu compte qu’elles étaient suivies par les enfants ou avaient-elles tout simplement fait mine de l’ignorer ? Thomas, même après toutes ces années n’aurait su le dire. De toute façon, elles avaient emporté le secret de la réponse dans la tombe. Pas une fois elles s’étaient retournées pour savoir si elles étaient suivies ; elles n’avaient pas manifesté la moindre méfiance.

Dès qu’elles pénétrèrent dans l’espace dégagé qui devait servir de basse-cour, la porte de la masure s’ouvrit en grand et une femme au visage parcheminé, témoin de son grand âge, en sortit. Elle portait de longs cheveux gris et blancs filasse et était vêtue d’une robe de laine grossière d’un gris sale. Loin d’avoir le dos courbé, elle s’avança droite et fière vers les deux jeunes femmes qui s’agenouillèrent devant elle.

Thomas se souvenait l’avoir entendue parler mais sans comprendre le moindre mot. Sa mère et sa compagne lui répondirent pourtant dans le même langage. Mais ce n’était pas ce qui avait le plus étonné les enfants. Voir leurs mères, épouses de seigneurs, s’incliner aussi humblement devant une gueuse leur aurait paru aussi incroyable qu’inconcevable s’ils ne l’avaient vu par eux-mêmes.

La suite de la scène ne laissa pas les enfants moins pantois. Leurs mères levèrent leurs paniers au-dessus de la tête, comme si elles les présentaient en faisant une offrande. La vieille ne s’en saisit pas mais posa ses mains sur le crâne de l’une et l’autre, comme si elle les bénissait puis retourna à l’intérieur en laissant la porte ouverte. Les deux jeunes femmes se redressèrent et pénétrèrent dans la masure à leur tour, la dernière prenant soin de refermer derrière elle.


— Tu te souviens que nous nous demandions qui était cette femme et ce que nos mères étaient venues faire chez elle ?


— Oui et pour satisfaire notre curiosité, nous voulions nous approcher pour regarder par une fenêtre mais nous risquions de nous faire surprendre. C’est alors que nous nous sommes dit que de nous quatre, Flora serait la plus discrète car elle était la plus menue. Nous l’avons envoyée espionner et ce qu’elle y a vu lui a fait très peur mais elle n’a jamais voulu nous en parler. Après quoi elle ne nous a jamais plus accompagnés.


— C’est vrai. Mais ce soir-là, elle s’est tout de même confiée à sa sœur. Ysabeau a fini par me le raconter. Dame Émeline, leur mère, était nue et se tenait debout dans un baquet rempli d’un liquide rougeâtre à la surface duquel flottaient des plumes. La vieille femme tournait autour d’elle en répandant la fumée d’herbes qu’elle avait enflammées. Notre mère puisait dans le baquet du liquide qu’elle déversait ensuite sur la tête de Dame Émeline.


— Elles pratiquaient un rituel païen ?


— Oui et d’après ce que m’en a raconté Ysabeau, Dame Émeline souhaitait donner un héritier mâle à son époux. C’était ce à quoi devait servir ce rituel.


— Maintenant que j’y songe. N’est-elle pas tombée enceinte cette année-là ?


— Si. Mais l’enfant n’a pas survécu à la naissance. Il s’agissait d’un garçon mais il a vécu quelques heures à peine.


— Je l’ignorais. Flora ne m’en a jamais parlé. Notre mère non plus, d’ailleurs.


— La chose a été tue. Dame Émeline n’est plus jamais retombée enceinte après cela et ce malgré d’autres visites chez la vieille femme.


— Comment ? Elle y est retournée ? N’a-t-elle pas songé que c’était peut-être à cause de cette sorcière qu’elle avait perdu son enfant ? Car il s’agissait bien de cela, n’est-ce pas, d’une sorcière ?


— D’après Ysabeau, sa mère, comme la nôtre, la considérait plutôt comme une guérisseuse. Elle m’a raconté, également, qu’un hiver particulièrement rude, Flora avait été grandement malade. Fragile comme tu le sais, elle n’aurait pas survécu sans une potion que la vieille femme aurait préparée.


La conversation prenait un tour étrange. Thomas se demandait si finalement le vin n’était pas en train de leur tourner la tête. Il se leva d’un bond et se mit à arranger le feu comme pour s’éclaircir les idées. Il sentait le regard de Gyls dans son dos. Ni l’un ni l’autre n’avait jamais été de fervents croyants en Dieu, sans toutefois mettre son existence en doute. D’un autre côté, ils ne s’étaient jamais vraiment posé de questions sur la religion non plus. Ils avaient été baptisés selon les rites chrétiens et avaient fait serment devant Dieu en devenant seigneurs de leurs domaines mais leur quotidien était bien loin de considérations divines ou religieuses.

Enfants, leur père avait tenu à ce qu’on leur donne les principaux préceptes chrétiens mais leur mère avait également veillé à leur transmettre un peu de ses propres croyances. Elle leur avait surtout parlé de légendes et de créatures merveilleuses mais elle s’était toujours gardé d’affirmer que les unes s’étaient réellement déroulées et que les autres existaient bel et bien.


— Gyls, es-tu en train de me dire que tu crois finalement à toutes ces choses. Tu penses qu’elles sont à l’origine de tous ces malheurs ?


— Je pense qu’au moins quelqu’un y croit encore et cherche à nous faire peur. J’ignore pourquoi. Je ne sais même pas ce qu’il en espère. Néanmoins, j’ai entendu dire que la masure dans la forêt était toujours là et qu’elle était toujours habitée. Au grand désespoir de Mathieu, des femmes du village s’y rendent encore.


— La vieille que nous y avons vue doit être morte depuis le temps, remarqua Thomas, tout de même un peu sceptique.


— Peut-être a-t-elle eu de la descendance, tout simplement. Néanmoins, je te propose que nous nous y rendions et que nous interrogions celui ou celle qui y vit désormais. Même si nous obtenons des réponses les plus farfelues, elles contiendront sans doute une once de vérité qui nous permettra de découvrir le ou les coupables.


Thomas se retourna et sonda le regard de son frère. Il était sérieux et sincère. Sans doute avait-il cherché longuement et vainement les coupables du massacre de la ferme du Grand Paul pour en arriver à se raccrocher à cette idée un peu folle. Lui-même ne pouvait s’ôter de l’esprit que les rats n’avaient pas agi de leur propre chef mais qu’ils avaient été guidés et incités à nuire. Il se contenta alors d’acquiescer de la tête.


— Laisse-moi encore quelques jours pour faire le deuil de mon fils. Après quoi, je me rendrais dans ton château pour te prêter serment d’allégeance. Si me souviens bien, la demeure se trouve dans le bois de Roncevac, qui se trouve sur ton domaine.


— Oui. D’ailleurs, cela me rappelle que Mathieu doit y célébrer une sorte de messe là-bas. La Sainte-Vierge y aurait été aperçue, à la source de la Fontaine de la Faye. Nous pourrions profiter de l’occasion et prétexter une partie de chasse après la cérémonie.


— Que d’ironie dans tout cela, mon frère, nous allons participer à une célébration chrétienne avant d’aller quérir des réponses auprès d’une personne aux croyances païennes.


— Certes, Thomas. Mais je reste persuadé que ce ne sont pas des chimères que nous poursuivons mais bien des êtres de chair et de sang, des hommes comme toi et moi, répliqua Gyls avec véhémence, sans doute un peu aidé par le vin. Et la justice que nous devons rendre est bien celle des hommes. Pour ton enfant, mon frère, pour sa nourrice et pour le Grand Paul et sa famille. Nous sommes leurs seigneurs sur terre et nous leurs devons ça.


  Thomas ne répondit pas et les larmes aux yeux, il leva son verre en signe d’assentiment. Pour son fils, oui, pour cet enfant qui n’avait rien demandé, il trouverait le coupable. Et ça, il pouvait bien en faire le serment devant Dieu.

 

 

 

 

 

 

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3 février 2013 7 03 /02 /février /2013 02:17

 

 

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Le Sacrifice du Dragon

 

de

 

Laurent "Dragon" Royer

 

 

 

 

 

 

 

 

CHAPITRE 6

 

 

       

 

 

 

 

La procession progressait avec lenteur. Tous les habitants du bourg s’étaient rassemblés le long des rues pour la suivre et marquer leur soutien à la famille du seigneur. La peine qui se lisait sur leurs visages était sincère. C’était tout un domaine qui était en deuil. L’héritier était mort alors qu’il n’était âgé que de quelques mois. Sa mort était non seulement tragique mais elle avait été aussi atroce.

Comme s’ils avaient pu ressentir un quelconque sentiment de culpabilité ou bien parce qu’ils avaient tout simplement accompli leur mission, les rats avaient totalement et complètement disparu. De leur passage, il ne restait plus que de la nourriture perdue et souillée. Même la vermine que l’on trouvait toujours d’ordinaire semblait avoir déserté les lieux. C’était comme si Piéval avait désormais perdu tout intérêt pour tout rongeur et nuisible qui se respecte.

En tête du cortège, balançant l’encensoir, le Père Gaël avançait d’un pas mesuré, semblant donner le rythme à l’ensemble de la procession. Juste derrière la charrette sur laquelle on avait placé les cercueils, Ysabeau marchait aux côtés de Flora et la tenait par les épaules. Après elles venaient Thomas et le seigneur de Monval, son propre frère. Il y avait bien longtemps que l’on n’avait pas vu les deux familles ainsi réunies. Il avait fallu une circonstance dramatique pour mettre fin au conflit larvé ou, en tout cas, l’interrompre momentanément.

Les deux sœurs et le deux frères étaient suivis par leur cousin, le Père Mathieu dont le visage laissait transparaître son ressentiment. La cérémonie, de la messe à la mise en terre, avait été naturellement confiée au prêtre de la paroisse de Piéval, le Père Gaël. Mathieu n’avait jamais caché son aversion envers l’autre curé. D’autre part, il était persuadé que l’honneur de conduire les derniers rites pour le petit André lui revenait de droit et il en avait fait part à ses cousins. Finalement, Thomas avait tranché. En tant que seigneur de Piéval, il considérait, de son côté, que c’était au Père Gaël d’officier puisque l’Église avait jugé bon de lui confier cette paroisse.

Ysabeau murmurait des mots d’apaisement à sa sœur tandis que celle-ci sanglotait et hoquetait. La jeune femme était inconsolable depuis l’accident. Elle n’avait pas cessé de pleurer et ne s’était plus alimentée. Plus pâle que jamais, elle en paraissait encore plus frêle, au point que l’on pouvait craindre que le moindre coup de vent ne l’emporte. La voir ainsi dépérir avait incité Thomas d’aller faire quérir la sœur de son épouse de toute urgence. Ayant dors et déjà décidé de parlementer avec son frère avant l’invasion des rats, il avait donc fait porter un message demandant au Seigneur de Monval et à sa Dame de venir et d’assister aux obsèques.

Gyls n’avait pas renvoyé de messager, il était venu directement avec Ysabeau, le Père Mathieu dans leur sillage. Son frère avait-il perçu dans cette requête le signe de la réconciliation, Thomas l’ignorait. Néanmoins, l’accueil, bien que cordial, était resté distant. Le couple seigneurial de Monval n’avait pas été invité pour le baptême et ni l’un ni l’autre n’avait jamais vu leur neveu. Seul Mathieu, usant de la neutralité que lui offrait son statut de prêtre, s’était régulièrement rendu au chevet de Flora, que ce soit pendant sa grossesse, alors que son seigneur et mari guerroyait, qu’à la naissance de l’enfant. Si lui-même avait bel et bien assisté au baptême, Thomas, qui s’était rendu présent pour cette cérémonie, avait déjà insisté pour qu’elle soit conduite par le curé de la paroisse et non par son cousin.

Le cimetière se trouvait accolé à l’église du bourg. Si le château possédait bien sa propre chapelle, où la cérémonie s’était déroulée, la famille seigneuriale de Piéval reposait auprès de la demeure de Dieu. Néanmoins, le caveau se distinguait par son architecture qui n’était pas sans rappeler celle du château. Tout autour, se dressaient essentiellement de simples croix, en bois la plupart du temps pour les plus modestes, en pierre ou en fer forgé selon s’il s’agissait là d’artisans ayant travaillé de telles matières. Quelques tombes éparses étaient recouvertes d’une dalle de pierre et étaient ornées de statuettes représentant la Vierge ou de Saints Patrons. De fait, les caveaux étaient moins nombreux encore. Il y avait là une riche famille ayant fait fortune dans le commerce et là encore celle d’un chevalier qui s’était distingué lors d’une bataille auprès du Roi.

Au travers de ses défunts, l’histoire de Piéval se dévoilait. Certes le domaine n’avait pas toujours figuré parmi les plus puissants du royaume mais il avait su tenir une place importante. On racontait qu’en des temps plus reculés, les domaines de Piéval et de Monval n’en formaient qu’un seul et qu’il avait appartenu, aux origines, à un général Romain. Histoire ou simple légende, le souvenir de cette période ne se transmettait plus que lors des veillées hivernales, déformé par les orateurs successifs. Le bourg de Piéval, son église et son cimetière avaient trop connu de transformations pour que des vestiges d’un passé aussi lointain soient demeurés.

Thomas, dont l’esprit s’était égaré en songeant à la trace qu’il laisserait ou pas dans l’histoire de son domaine, réalisa soudain qu’il se trouvait l’intérieur du caveau. On venait de déposer le petit cercueil dans son berceau de pierre. Les artisans avaient travaillé vite et bien même si, à défaut d’avoir pu les sculpter, ils avaient simplement peint les angelots qui orneraient le sarcophage. Bientôt la petite statue d’un chérubin serait posée sur le couvercle et viendrait veiller au sommeil éternel du petit garçon.

Le Père Gaël, sous l’œil critique de Mathieu, aspergea le cercueil d’eau bénite une dernière fois avant de prononcer les paroles rituelles. Il se tourna ensuite vers le second cercueil dans lequel reposait le corps de la nourrice. Elle avait tenté de sauver l’enfant au péril de sa propre vie. Il était sans doute déjà trop tard quand elle avait rejoint le nourrisson. Malgré tout, elle avait cherché à le protéger jusqu’à la fin. Par reconnaissance envers elle et envers sa famille, Thomas avait décidé qu’elle partagerait la dernière demeure du petit André.

De nouveau submergée par une émotion trop forte, Flora ne put contenir un autre long sanglot. Ysabeau serra sa sœur contre son cœur et d’un regard silencieux vers son époux et son beau-frère indiqua qu’elle la raccompagnait au château. Les deux jeunes femmes s’éloignèrent tandis que la foule qui s’était amassée à l’entrée du cimetière s’écartait humblement pour les laisser passer. Elles furent bientôt suivie par le reste du cortège et même rejointes par le Père Mathieu.

Thomas et Gyls étaient restés dans le caveau, toujours en compagnie du Père Gaël. Le seigneur de Piéval s’agenouilla devant le sarcophage dans lequel reposait désormais son enfant. Les larmes qu’il avait retenues jusque-là se mirent à couler silencieusement. Il sentit que l’on posait une main bienveillante sur son épaule. Gyls souhaitait lui montrer qu’il partageait sa douleur et qu’il voulait lui communiquer son soutien. Le prêtre pressentant que rien de fâcheux ne se produirait entre les deux frères se retira discrètement, l’ombre d’un sourire se dessinant sur ses lèvres.


— Pourquoi ? murmura Thomas. Pourquoi ?


Gyls s’abstint de répondre car il n’avait aucune réponse à apporter. Il n’aurait dit que des banalités, de celles que Mathieu aurait probablement énoncées, teintées de volonté divine. Il se contenta de serrer plus fort l’épaule de son frère afin de lui assurer qu’il n’était pas seul dans cette épreuve. Il n’avait jamais voulu les différents qui l’avaient opposé à Thomas. Il était temps qu’ils prennent fin et que leurs domaines prospèrent de nouveau ensemble.

Thomas se signa et, à contrecœur, se redressa. Il sembla hésiter un instant puis se retourna pour faire face à son frère. Les yeux rougis, il plongea le regard dans celui de son aîné et commença :


— Gyls…


— Non, Thomas. Pas ici. Pas maintenant. Je peux te laisser seul si tu veux te recueillir encore un moment.


— Merci. Je pense qu’il est temps de retourner auprès de nos épouses. Flora m’inquiète. La présence d’Ysabeau et même de Mathieu lui font du bien mais je crains de la voir sombrer après leur départ.


— Je suis certain qu’Ysabeau se fera une joie de rester auprès de sa sœur quelques jours durant. Je peux lui demander, si tu le souhaites.


À l’extérieur, un vent glacial s’était levé et saisit les deux hommes au moment où ils sortaient. Ils ne purent retenir un frisson et s’ébrouèrent simultanément. Soudain, ils tournèrent la tête tous deux dans la même direction comme s’ils avaient vu quelqu’un ou quelque chose se faufilant entre les tombes. Ni l’un ni l’autre n’en parlèrent mais chacun aurait juré avoir aperçu une silhouette encapuchonnée. La vision avait été trop fugitive pour qu’elle ne soit autre chose que le fruit de leur imagination.

Ils songèrent alors à une légende que leur avait racontée leur mère ou bien, peut-être, celle d’Ysabeau et Flora. Il y était question d’une sorte de spectre portant un long manteau à capuche et qui venait chercher les âmes des défunts pour les emmener dans le royaume des morts ou le monde des esprits, quelque chose comme ça. Dans leur souvenir, le spectre était un homme au visage ridé et aux longs cheveux gris conduisant un attelage. Hallucination ou pas, ils étaient certains que la silhouette aperçue n’était pas celle d’un homme même s’ils n’avaient pas eu le temps de voir son visage.

Ils gardèrent donc le silence et ce fut sans un mot qu’ils retournèrent au château. Les rues du bourg étaient de nouveau désertes. Nul ne travaillerait cependant ce jour. On se retrouverait en famille, installé près du feu à se remémorer d’autres temps plus cléments, où les deux domaines étaient amis et unis dans l’adversité, où le malheur ne frappait pas d’une façon aussi odieuse. Peut-être que cette période maudite était enfin révolue mais qu’il avait fallu une invasion de rats et la mort d’un enfant innocent pour y mettre un terme. On se mettrait alors à croire en des jours meilleurs.

La silhouette regardait les deux jeunes hommes s’éloigner. Dissimulée par l’angle de mur d’une maison, tout en ne cherchant pas réellement à se cacher, elle les observa longuement jusqu’à ce qu’ils disparaissent au tournant d’une ruelle. Elle resta là un moment encore avant de se détourner et de repartir en direction du cimetière. Elle ne semblait guère plus se soucier d’être aperçue si jamais elle l’avait été un peu plus tôt.

Elle portait un manteau sombre en laine de bure et une capuche lui recouvrait la tête mais son port léger et ses mouvements gracieux laissaient supposer qu’il s’agissait bien d’une femme. La tête penchée vers l’avant lui permettait de dissimuler ses traits sous la capuche. Si elle ne craignait pas d’être vue, elle redoutait par contre, selon toute vraisemblance, d’être reconnue.

À l’approche du muret qui délimitait le cimetière, ses pas se firent plus pressants comme si tout d’un coup, elle réalisait que quiconque pouvait bel et bien la surprendre. Et c’est pratiquement en courant qu’elle franchit le passage, une ouverture discrète pratiquée dans le muret, qui permettait d’entrer, ou de sortir, du cimetière côté rue sans passer par l’enceinte de l’église. C’est alors qu’elle disparut comme si elle n’avait jamais existé et qu’elle n’avait toujours été qu’un songe.

La silhouette réapparut près de l’entrée du caveau seigneurial et jeta un dernier coup d’œil derrière elle avant de franchir le seuil. Une fois à l’intérieur, elle retira sa capuche tout en s’approchant du sarcophage le plus petit. La femme, puisqu’il s’agissait bien d’une femme, avait de longs cheveux gris striés de blanc. Les traits de son visage étaient fins et doux. Il était malgré tout difficile de lui donner un âge véritable. Ses yeux gris et l’expression de son regard témoignaient cependant d’un certain vécu.

Ses longs doigts suivirent le contour du dessin de l’angelot que l’on avait tracé sur le couvercle en attendant d’y placer le gisant. Non, se souvint-elle, ce ne serait pas un gisant, mais la statuette d’un angelot. Une larme roula le long de la joue de la mystérieuse femme et termina sa course sur la lourde dalle de pierre blanche. Elle n’y laissa aucune trace mais l’espace d’un bref instant, une violette crût et déploya sa collerette. La fleur semblait émettre sa propre lumière et brilla de mille feux  le temps de son existence éphémère.

Durant cet instant hors du temps, les murs du mausolée s’effacèrent et un paysage de collines fleuries s’offrit au regard. Là où aurait dû se trouver le sarcophage se tenait un petit garçon, accroupi, cueillant des fleurs. Il releva la tête et sourit à la femme qui se tenait toujours près de lui. Tout comme le décor s’était modifié, elle aussi avait changé. Ses cheveux étaient maintenant d’un blanc lumineux et son manteau n’était plus de bure sombre mais d’une belle étoffe de velours purpurin aux liserés d’or. Elle avança une main pour caresser le visage du petit garçon mais la scène s’évanouit.


— Il a été baptisé selon les principes chrétiens. Son âme appartient à Dieu, Dame Émeline.


Cela avait été dit simplement, comme une constatation, sans la moindre arrogance ni amertume. Le Père Gaël se tenait à l’entrée du tombeau, les mains croisées devant, sa silhouette se détachant dans l’embrasure de la porte.

La femme ne se releva pas et ne se retourna pas.


— D’après ce que je comprends, tu peux toujours me voir, Gaelc. Et ce malgré ton revirement. Aurais-tu des doutes en ta foi nouvelle ou bien songes-tu encore à faire volte-face ?


— Ma foi nouvelle ne m’aveugle pas. Au contraire, elle m’éclaire. J’ai l’esprit suffisamment ouvert pour voir bien des choses que le commun des mortels ne perçoit pas forcément.


— Ce dont je me souviens, quant à moi, c’est d’un jeune druide qui s’opposait avec force et conviction à la religion qu’imposait le roi à ses vassaux et à ses sujets. Tu as même été celui qui a conduit les rires sacrés lorsque mon âme a rejoint le monde des esprits. Et puis, après ça, tu es parti. Et quand tu es revenu…


La femme se redressa et fit face au prêtre dont les lèvres semblaient esquisser un sourire, à peine perceptible, certes, mais elle l’aurait juré. L’endroit n’était probablement pas le plus approprié pour tenir une conversation, comme l’avait fait remarquer Gyls à son frère Thomas un peu plus tôt. Seulement, le temps était compté pour Dame Émeline ; il lui faudrait bientôt repartir.


— Je suis revenu pour apporter la parole de Dieu à tous ceux qui étaient prêts à l’entendre, voilà tout. Je suis parti parce que j’ai compris que le temps des esprits était révolu et parce que je voulais combler le vide que cela laissait en moi. C’est ainsi que j’ai trouvé la foi et que j’ai pu panser mon cœur meurtri.


Émeline n’en croyait pas un mot. Pourtant les paroles du prêtre étaient empreintes d’une grande sincérité. Il n’avait pas parlé avec véhémence comme l’on aurait pu s’y attendre et comme elle l’en avait connu capable autrefois. Il s’était exprimé avec douceur et bienveillance. Il la regardait comme s’il cherchait à la convaincre du bienfondé de son discours. Le sourire esquissé était maintenant bien présent. Il avait ouvert les bras et tendait ses paumes ouvertes vers elle comme s’il l’invitait à le rejoindre.

Elle demeurait impassible. Si elle peinait à le croire, elle n’était plus aussi certaine qu’il jouait la comédie. Oui, il avait bel et bien changé. Cet ardent défenseur de leurs antiques croyances était désormais un guide spirituel convaincu de la nouvelle religion. S’il la voyait toujours, c’était parce qu’il n’avait pas totalement rejeté ce qu’il avait été mais pour combien de temps encore ?

Réalisant sans doute qu’elle n’était pas tout à fait réelle ou bien qu’elle ne changerait pas d’avis, le Père Gaël finit par s’écarter pour la laisser sortir. Réajustant sa capuche sur sa tête, Émeline passa dignement devant lui. Dès qu’elle se retrouva au-dehors, elle sembla perdre de la consistance. Elle devenait translucide. Elle se retourna pour faire face au prêtre qui se tenait de nouveau dans l’embrasure de l’entrée du mausolée comme si maintenant il s’en faisait le gardien et qu’il lui en interdisait l’accès.


— Malgré les tentatives de mon époux pour me convaincre et me convertir, je ne sais pas très bien comment fonctionne ta religion. Tout ce que je te demande, c’est de veiller sur l’esprit… sur l’âme de cet enfant. Il est la victime innocente d’une guerre invisible. Mon maître et moi ignorons encore qui sont exactement les belligérants mais il semble bien que ce soit nos deux mondes qui s’affrontent.


Le Père Gaël se contenta de hocher de la tête tandis que Dame Émeline disparaissait totalement.


— Oui, murmura-t-il, il s’agit bien d’une guerre et dans cette guerre, il vous faudra choisir un camp.

 

 

 

 

 

 

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