LA VALLEE AUX STATUES
(de Christian Perrot)
Ce texte, écrit par Gaztasgon "le Miraculé", décrit son court passage dans un bien étrange lieu :
« Nos pas nous avaient conduits dans le petit village de Horawix, connu pour ses boissons fortes et ses alentours chargés de légendes et de dangers. Notre groupe ne pouvait passer inaperçu parmi la majorité paysanne des lieux. Nos armures et nos armes de combat, patinées par un long usage, nous cataloguaient dans la grande race des aventuriers itinérants, toujours en quête d'aventures palpitantes et de pièces trébuchantes. Nous n'avons pas eu longtemps à attendre une occasion, et, bientôt, tandis que nous désaltérions nos gosiers asséchés par la route dans la seule auberge du village : Au Dragon Pétrifié, le dirigeant de Horawix vint nous trouver. Poliment, et après avoir payé une tournée, il nous expliqua que son modeste village était menacé. En effet, depuis des années, une créature horrible vivait à proximité. D'une voix blanche, il nous conta la légende de la vallée voisine, surnommée la Vallée aux Statues :
Autrefois, dans un royaume voisin, vivait une belle jeune femme appelée à devenir reine. Hélas, elle aimait un paysan et elle partit un matin avec celui-ci, abandonnant sa famille, son rang et son futur époux désigné par l'usage. Ce dernier, ulcéré de perdre la femme et le trône de roi, s'aliéna les services d'un sorcier afin de jeter une cruelle malédiction sur celle qui l'avait délaissé, pour un vulgaire paysan.
Le pacte fut conclu, et la magie exécutée. La jeune femme se changea en une horrible créature : possédant un corps parfait et jeune, mais des serpents en guise de cheveux. De plus, son regard transformait en pierre tout être vivant la regardant dans les yeux. La première victime de son regard fut, bien évidemment, son amant, dont le seul crime avait été d'aimer une future reine.
Ecrasée par le chagrin et le dégoût de sa nouvelle apparence, la "jeune femme" s'exila. Elle se réfugia dans une vallée encaissée et déserte, hélas proche de Horawix, afin de ne plus causer de mal à quiconque.
Hélas, des aventuriers curieux ou des créatures errantes traversaient parfois la vallée. Ils en subirent tous les conséquences et furent changés en pierre.
Au cours des ans, la malédiction changea peu à peu l'esprit de la "jeune femme", qui devint un être vil et malfaisant. Aujourd'hui, elle pétrifie les intrus pour le seul plaisir de voir leurs visages horrifiés se changer en pierre. Malheur à ceux qui s'aventurent dans la vallée, ils finissent leurs jours sous la forme de statues criantes de vérité.
Parfois, la nuit, on entend les gémissements et les plaintes des âmes des malheureux pétrifiés. Cela empêche souvent les habitants de notre village de dormir. De plus, il arrive (heureusement assez rarement) que la "méduse" sorte de sa vallée pour transformer en pierre un ou deux paysans imprudents. On murmure même que des personnes sans scrupule viendraient parfois "récupérer" des statues afin de les revendre, à prix d'or, à des collectionneurs aux goûts morbides.
Au nom du village, j'ai parfois demandé à des aventuriers de passage de nous aider à nous débarrasser de ce fléau. Mais, jusqu'à ce jour, il n'y eu que des échecs. Dans le pire des cas, les personnes "engagées" ne revinrent pas, dans le meilleur, elles revinrent à demi folles et défigurées par la peur. Notre village attend toujours celui ou ceux qui pourront l'aider. Une cagnotte est constituée, d'année en année, afin de faciliter un éventuel engagement.
Après son récit, ponctué de tournées d'hydromel, il nous offrit une somme rondelette si nous acceptions de nous occuper de son problème avec, comme il disait : Nos lames acérées, et nos cœurs endurcis. Son offre étant plus que généreuse, nous avons accepté. Nous pensions faire une bonne affaire, notre groupe ayant déjà, par le passé, affronté et occis des Méduses. Nous savions quoi faire pour nous protéger efficacement et remporter le combat sans risquer nos vies.
C'est le cœur léger que nous avons quitté le village, sous les bénédictions des paysans. Puis, nous avons dirigé nos pas vers la vallée.
Traversant cette dernière nous avons pu constater qu'elle contenait une flore assez riche, qui lui aurait donné des allures d'Eden si elle n'avait pas été enlaidie par des dizaines d'êtres pétrifiés. Nous y avons vu des statues de presque toutes les races : Humains, Nains, Elfes, Hobbits, Orques, Gobelins, Ogres, oiseaux, sangliers, lapins, cerfs et même deux Dragons. Ces créatures, figées dans leur mort minérale, étaient éparpillées un peu partout dans la vallée. Elles avaient toutes des postures différentes, mais leur point commun était la peur et la douleur inscrites sur leurs visages.
Tout nous laissait donc à penser que nous nous trouvions dans l'antre d'une Méduse. Cela s'avéra être une erreur fatale, sans doute déjà commise par la plupart des "statues" ornant la vallée.
Car soudain, tout bascula : un déluge de feu et de sortilèges s'abattit sur notre pauvre groupe. Dès les premiers instants, je fus soufflé par les forces déchaînées. Mon corps désarticulé vint se coincer entre deux lourdes roches couvertes de lierre. Et, c'est ce qui sauva ma vie. Si mon corps était pris en étau dans la pierre, et complètement paralysé, ma position me permettait de voir mes amis livrer un combat désespéré.
Nous avions été trompés : la vallée n'abritait pas une Méduse, mais quatre Beholders (Spectateurs).
Je n'oublierai jamais le massacre de mes amis. Malgré leur force, ils ne purent que tenter de retarder l'inévitable, et hurler de douleur. En moins de temps qu'il ne faut à ma main tordue pour l'écrire, je demeurais l'unique survivant ; tandis que la vallée comptait de nouvelles statues, quelques tas de cendres fumantes et un surplus de nourriture pour les Beholders.
Occupés à leur festin, ils ne firent pas attention à moi. Je pus ainsi quitter la vallée en rampant sur mes membres brisés. Ne sachant si les villageois étaient au service des monstres, je m'éloignais le plus possible, préférant une mort calme à une agonie horrible. Les Dieux de la chance devaient veiller sur moi car je fus découvert par un voyageur, qui me conduisit à la ville la plus proche, où je fus soigné.
Depuis, j'ai abandonné mon ancien métier de voleur pour devenir un mendiant anonyme, vivant grâce à la générosité des habitants de la ville de Fandosa. La plupart ont pitié d'un pauvre infirme au corps tordu et couvert de brûlures.
Mais je n'ais pas oublié mon aventure. Aussi, lorsqu'un groupe de voyageurs insouciants m'offre un verre pour connaître les légendes de la région, je leur conseille de se méfier de la Vallée aux Statues.
Hélas, bien peu me croient, et la plupart s'y rendent pour ne plus en revenir. Ce texte sera mon dernier avertissement aux futurs aventuriers de passage. Ma vie s'achève dans la douleur. Je souhaite que mes conseils sauvent plusieurs vies dans l'avenir. Priez les Dieux de la chance, c'est votre seul espoir…