20 août 2011 6 20 /08 /août /2011 00:57

Meduse-pour-LA-VALLEE-AUX-STATUES.jpg

LA VALLEE AUX STATUES

(de Christian Perrot)

Ce texte, écrit par Gaztasgon "le Miraculé", décrit son court passage dans un bien étrange lieu :

« Nos pas nous avaient conduits dans le petit village de Horawix, connu pour ses boissons fortes et ses alentours chargés de légendes et de dangers. Notre groupe ne pouvait passer inaperçu parmi la majorité paysanne des lieux. Nos armures et nos armes de combat, patinées par un long usage, nous cataloguaient dans la grande race des aventuriers itinérants, toujours en quête d'aventures palpitantes et de pièces trébuchantes. Nous n'avons pas eu longtemps à attendre une occasion, et, bientôt, tandis que nous désaltérions nos gosiers asséchés par la route dans la seule auberge du village : Au Dragon Pétrifié, le dirigeant de Horawix vint nous trouver. Poliment, et après avoir payé une tournée, il nous expliqua que son modeste village était menacé. En effet, depuis des années, une créature horrible vivait à proximité. D'une voix blanche, il nous conta la légende de la vallée voisine, surnommée la Vallée aux Statues :

Autrefois, dans un royaume voisin, vivait une belle jeune femme appelée à devenir reine. Hélas, elle aimait un paysan et elle partit un matin avec celui-ci, abandonnant sa famille, son rang et son futur époux désigné par l'usage. Ce dernier, ulcéré de perdre la femme et le trône de roi, s'aliéna les services d'un sorcier afin de jeter une cruelle malédiction sur celle qui l'avait délaissé, pour un vulgaire paysan.

Le pacte fut conclu, et la magie exécutée. La jeune femme se changea en une horrible créature : possédant un corps parfait et jeune, mais des serpents en guise de cheveux. De plus, son regard transformait en pierre tout être vivant la regardant dans les yeux. La première victime de son regard fut, bien évidemment, son amant, dont le seul crime avait été d'aimer une future reine.

Ecrasée par le chagrin et le dégoût de sa nouvelle apparence, la "jeune femme" s'exila. Elle se réfugia dans une vallée encaissée et déserte, hélas proche de Horawix, afin de ne plus causer de mal à quiconque.

Hélas, des aventuriers curieux ou des créatures errantes traversaient parfois la vallée. Ils en subirent tous les conséquences et furent changés en pierre.

Au cours des ans, la malédiction changea peu à peu l'esprit de la "jeune femme", qui devint un être vil et malfaisant. Aujourd'hui, elle pétrifie les intrus pour le seul plaisir de voir leurs visages horrifiés se changer en pierre. Malheur à ceux qui s'aventurent dans la vallée, ils finissent leurs jours sous la forme de statues criantes de vérité.

Parfois, la nuit, on entend les gémissements et les plaintes des âmes des malheureux pétrifiés. Cela empêche souvent les habitants de notre village de dormir. De plus, il arrive (heureusement assez rarement) que la "méduse" sorte de sa vallée pour transformer en pierre un ou deux paysans imprudents. On murmure même que des personnes sans scrupule viendraient parfois "récupérer" des statues afin de les revendre, à prix d'or, à des collectionneurs aux goûts morbides.

Au nom du village, j'ai parfois demandé à des aventuriers de passage de nous aider à nous débarrasser de ce fléau. Mais, jusqu'à ce jour, il n'y eu que des échecs. Dans le pire des cas, les personnes "engagées" ne revinrent pas, dans le meilleur, elles revinrent à demi folles et défigurées par la peur. Notre village attend toujours celui ou ceux qui pourront l'aider. Une cagnotte est constituée, d'année en année, afin de faciliter un éventuel engagement. 

Après son récit, ponctué de tournées d'hydromel, il nous offrit une somme rondelette si nous acceptions de nous occuper de son problème avec, comme il disait : Nos lames acérées, et nos cœurs endurcis. Son offre étant plus que généreuse, nous avons accepté. Nous pensions faire une bonne affaire, notre groupe ayant déjà, par le passé, affronté et occis des Méduses. Nous savions quoi faire pour nous protéger efficacement et remporter le combat sans risquer nos vies.

C'est le cœur léger que nous avons quitté le village, sous les bénédictions des paysans. Puis, nous avons dirigé nos pas vers la vallée.

Traversant cette dernière nous avons pu constater qu'elle contenait une flore assez riche, qui lui aurait donné des allures d'Eden si elle n'avait pas été enlaidie par des dizaines d'êtres pétrifiés. Nous y avons vu des statues de presque toutes les races : Humains, Nains, Elfes, Hobbits, Orques, Gobelins, Ogres, oiseaux, sangliers, lapins, cerfs et même deux Dragons. Ces créatures, figées dans leur mort minérale, étaient éparpillées un peu partout dans la vallée. Elles avaient toutes des postures différentes, mais leur point commun était la peur et la douleur inscrites sur leurs visages.

Tout nous laissait donc à penser que nous nous trouvions dans l'antre d'une Méduse. Cela s'avéra être une erreur fatale, sans doute déjà commise par la plupart des "statues" ornant la vallée.

Car soudain, tout bascula : un déluge de feu et de sortilèges s'abattit sur notre pauvre groupe. Dès les premiers instants, je fus soufflé par les forces déchaînées. Mon corps désarticulé vint se coincer entre deux lourdes roches couvertes de lierre. Et, c'est ce qui sauva ma vie. Si mon corps était pris en étau dans la pierre, et complètement paralysé, ma position me permettait de voir mes amis livrer un combat désespéré.

Nous avions été trompés : la vallée n'abritait pas une Méduse, mais quatre Beholders (Spectateurs).

Je n'oublierai jamais le massacre de mes amis. Malgré leur force, ils ne purent que tenter de retarder l'inévitable, et hurler de douleur. En moins de temps qu'il ne faut à ma main tordue pour l'écrire, je demeurais l'unique survivant ; tandis que la vallée comptait de nouvelles statues, quelques tas de cendres fumantes et un surplus de nourriture pour les Beholders.

Occupés à leur festin, ils ne firent pas attention à moi. Je pus ainsi quitter la vallée en rampant sur mes membres brisés. Ne sachant si les villageois étaient au service des monstres, je m'éloignais le plus possible, préférant une mort calme à une agonie horrible. Les Dieux de la chance devaient veiller sur moi car je fus découvert par un voyageur, qui me conduisit à la ville la plus proche, où je fus soigné.

Depuis, j'ai abandonné mon ancien métier de voleur pour devenir un mendiant anonyme, vivant grâce à la générosité des habitants de la ville de Fandosa. La plupart ont pitié d'un pauvre infirme au corps tordu et couvert de brûlures.

Mais je n'ais pas oublié mon aventure. Aussi, lorsqu'un groupe de voyageurs insouciants m'offre un verre pour connaître les légendes de la région, je leur conseille de se méfier de la Vallée aux Statues.

Hélas, bien peu me croient, et la plupart s'y rendent pour ne plus en revenir. Ce texte sera mon dernier avertissement aux futurs aventuriers de passage. Ma vie s'achève dans la douleur. Je souhaite que mes conseils sauvent plusieurs vies dans l'avenir. Priez les Dieux de la chance, c'est votre seul espoir…

Partager cet article
Repost0
20 août 2011 6 20 /08 /août /2011 00:48

Tolkien---pour-VISIONS.jpg


VISIONS
(de Christian Perrot)


Le soleil hivernal baignait de ses rayons orangés la végétation montagnarde endormie. Un froid crépuscule s’étendait peu à peu, des vals aux monts, engourdissant la nature. Un petit chalet de bois se blottissait au cœur de la forêt envahissant une colline. Une lumière filtrait au travers des volets du premier étage. La pièce, chichement éclairée par une simple lanterne, abritait un vieil homme. Sa chevelure couleur de givre entourait un visage débonnaire creusé de rides. Penché au-dessus de son bureau de bois, il noircissait de nombreuses pages d'une écriture déliée.

Reuel était écrivain et achevait son dernier roman. Il avait passé sa vie à écrire. Ses livres, qui se comptaient par dizaines, possédaient tous le même point commun : ils se déroulaient dans un monde imaginaire entièrement créé par le romancier. Des terres merveilleuses, peuplées de créatures mythiques, où de nombreux héros vivaient ou mourraient au gré de l'imagination de l'auteur. Bien plus que cela encore, le plus grand amour du vieil homme. Peut-être même l’unique. Malgré son caractère virtuel, la terre sortie de son imagination faisait partie de son existence à la manière d’une amie fidèle, presque comme une femme toujours présente auprès de lui. L’endroit où il s’égarait dans ses moments de doutes ou de fatigue. Un véritable havre de paix intérieure !

Reuel aurait eu encore matière à écrire. Il ne pensait pas avoir tout dit concernant sa création. Pourtant, il savait signer là son dernier ouvrage. Il était vieux à présent et sa vie s'achevait.

Les docteurs étaient formels : malgré sa retraite loin de l'agitation des villes, son cœur accusait la fatigue du temps passé. Après une vie de bons et loyaux services, l'organe vital voulait se reposer, lui aussi. Malgré sa fin proche, Reuel n'avait pas peur. Il avait assez bien vécu pour ne rien regretter...

La dernière feuille de son roman rédigée, le vieil homme y apposa sa signature avant de la ranger, avec les autres, dans la pochette en carton préparée pour son éditeur. Eteignant sa lampe, il alla s'asseoir dans son fauteuil. Restant dans l'obscurité pour reposer ses yeux, il attrapa sa pipe et l'alluma. Il resta ainsi longtemps, se contentant d’inhaler la fumée.

Les médecins lui avaient bien interdit le tabac, mais c'était là son seul plaisir en dehors de l'écriture... Aussi, mourir pour mourir !

 

* * *

 

Il pensa s'être endormi lorsqu'une vive lueur éclaboussa ses paupières. Il ouvrit les yeux, et demeura hébété...

La lumière n'était pas celle du jour : il s'agissait d'un éclat bleuté semblant émaner de partout, comme si la pièce se trouvait emplie d'eau limpide. Un homme se dressait au centre du bureau, appuyant son corps sur un long bâton noueux. Il portait une longue barbe blanche qui cascadait sur une robe usée par les intempéries. Reuel tiqua. Il reconnaissait le nouveau venu. Il l'avait créé, avant de le faire vivre dans ses premiers romans. Il crut avoir perdu la raison ou vivre des hallucinations de vieillard à l'agonie.

– Me reconnais-tu ? questionna le nouveau venu d'une voix claire.

– Bien sûr ! murmura Reuel. C'est moi qui t'ai imaginé. Je dois devenir fou.

– Non, mon ami, ce n'est pas ta destinée. Je suis venu te chercher. Le monde que tu as imaginé t'attend. Il a besoin de son créateur comme une âme dédoublée en quête de sa moitié. Ton destin est là-bas !

– Allons, je suis bien trop vieux pour vivre sur une terre aussi agitée. Je ne me sens pas capable d'affronter les dangers qui y règnent.

– En ce cas, les terres que tu as sorties des gouffres du néant vont disparaître à jamais ! murmura l'homme.

– Mon monde n'existe que dans mon imagination, rétorqua Reuel. Dans mes livres également. De toute façon, il disparaîtra après ma mort ! Si l’analogie est plaisante à entendre, il n’en demeure pas moins que cette âme dédoublée ne pourra survivre à mon trépas.

– Tu te trompes ! Seule ta présence peut redonner une nouvelle vie à ces terres lointaines. Grâce à toi, ton univers poursuivra son existence dans les cœurs et les âmes de tous ceux qui ont lu tes romans. À jamais il existera si tu acceptes de rejoindre ta création. Dans le cas contraire, la mémoire s'effacera lentement, renvoyant dans les brumes de l'oubli ton monde imaginaire avec tous ses habitants.

Reuel haussa les épaules. Il se sentait fou. Néanmoins, le discours de son interlocuteur irréel paraissait sincère. De plus, ce personnage avait toujours fait preuve d'une sagesse et d'une bonté dignes d'un héros. L'auteur sourit, voilà qu'il commençait à croire à l'existence de ses créations. Cela engendra une longue introspection. Certes, le nouveau venu n’avait pas tord, il était plus qu’un simple romancier doué. Il n’avait pas seulement insufflé la vie à un monde irréel, il l’avait porté en lui de la même manière qu’une femme l’aurait fait d’un bébé, avec tout l’amour de son cœur et de son âme. Oui, cet univers hors du commun s’était affiné au fil des années d’écriture, prenant toujours plus de consistance en lui. Cela se ressentait dans ses livres pour qui savait en saisir l’essence. Au fond, tous ses personnages littéraires n'existaient-ils pas un peu dans chaque lecteur ?

– Pourquoi pas, après tout, répondit-il finalement à l'homme en robe ! Qu'ai-je à y perdre ?

– Rien, mon ami !

– En ce cas, je te suis ! Dois-je emporter quelque chose ?

– Rien que toi, cela suffira.

– Et ma pipe ! J'ai toujours rêvé de goûter à l'herbe à fumer d'une certaine région chère à mon cœur.

– Viens à présent !

Reuel prit la main tendue de son hôte. Aussitôt, la lueur recouvrit le duo. Une poignée de secondes plus tard, les deux hommes avaient disparu sans laisser nulle trace.

 

* * *

 

Reuel n'en croyait pas ses yeux. Non seulement il avait rejoint le monde de sa création, mais en plus, il y avait recouvré la jeunesse. Son nouveau corps n'avait pas connu plus de trente printemps et c'est d'un pas léger qu'il suivait son guide en robe. Chaque nouvel horizon lui prouvait l'existence de sa création. Il se sentait chez lui, comme s'il y était né ; mieux encore, à la manière d’un enfant retrouvant les bras de sa mère, pour ne pas dire la matrice elle-même.

Avant la fin du jour, ils atteindraient la dernière maison familière construite aux pieds de hautes montagnes. Il tardait à Reuel de voir ses plus belles créations : les Elfes...

 

* * *

 

Ce fut son fils qui trouva le corps de Reuel. Le vieil homme s'était éteint paisiblement dans son fauteuil préféré, sa pipe à la main.

Lorsque l'on débarrassa le chalet, on récupéra le dernier manuscrit pour le confier à l'éditeur.

À aucun moment on ne s'aperçut que Reuel souriait par-delà sa mort. Il était heureux...

 

 

----------

Note de l'auteur : Ce texte n'est qu'un modeste hommage à un auteur prestigieux, aujourd'hui disparu. Puisse son âme demeurer dans sa création la plus fameuse dont il était sans équivoque tombé amoureux. De même que ses humbles lecteurs…

Partager cet article
Repost0