10 décembre 2011 6 10 /12 /décembre /2011 05:22

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LE DESTIN DE NAÏLA

Texte et illustrations de Solenne Pourbaix


CHAPITRE 51.

 

 

            Naïla s’assit par terre devant la cheminée éteinte et fit signe à son ancien mentor de faire de même. Il l’imita puis, après un bref silence, il commença : « Bien… Je ne sais pas trop quoi te dire… Ou plutôt je ne sais pas comment te le dire.

- Tu cherches à me préserver maintenant ? C’est nouveau !, ironisa la jeune femme.

- Je sais… Alors voilà : pourquoi as-tu fais ça ? Pourquoi l’as-tu épousé ? Pourquoi l’as-tu laissé te traiter ainsi ?

- N’est ce pas évident ? Je l’aime.

- Comment peux-tu aimer un monstre pareil ? Il te bat ! Il te dénigre ! Il t’a violée publiquement ! » Naïla ne répondit rien pendant quelques longues secondes, puis, souriante, reprit : « Il me bat car il m’aime. Il ne me dénigre pas. Il ne m’a jamais violée. Il a fait beaucoup pour moi et je refuse que tu parles de lui ainsi. Surtout pas sous son propre toit ! » Du jardin parvenaient les cris et les rires de la fillette Grorque. Elle courait avec Kirouel qui semblait s’amuser comme un enfant lui aussi. « Te rends-tu compte du mal que tu me fais ? lança Râhgrabk, les larmes aux yeux.

- Et toi mon bon, te rends-tu comptes de ce que tu m’as fait en épousant puis engrossant Régiss ? Crois-tu que je l’ai bien vécu ?

- Ce n’était pas pareil, je te croyais morte. Je t’ai tellement aimée, tu sais !

- Et moi je t’aime encore… Même si je ne peux te le montrer. Je n’ai pas accepté ça pour te faire du mal, je l’ai fait pour me faire du bien ! Je suis bien avec cet homme !

- Il n’a rien d’un homme, c’est un démon ! Il te mènera à ta perte !

- Peut-être, mais alors, je mourrai heureuse. » Râhgrabk pleurait désormais. Naïla se leva et sortit, suivie par le Grorque. Ils rejoignirent Kirouel et la petite dehors puis, après un vague échange de banalités, les deux orcs partirent. Quand l’ancien mentor de Naïla se retourna, il vit la jeune femme dans les bras de son Maître, l’embrassant tendrement.

          Le couple retourna à l’intérieur et ils montèrent dans la chambre de Kirouel. Ils se blottirent l’un contre l’autre sur le lit, dans le silence, bercés par le brouhaha inhabituel de la rue et s’endormirent.

            Quand ils se réveillèrent quelques heures plus tard, le soleil éclairait la chambre d’une belle lumière jaune. Après qu’ils se furent tous les deux vêtus, Kirouel prit son élève par la taille et lui dit : « Tu vas retourner voir Râhgrabk. Tu vas t’excuser, lui montrer tes marques et lui expliquer que la fatigue t’a rendue agressive. Je veux que tu lui fasses passer un bon moment, je veux qu’il te voie comme avant.

- Mais, mon Prince, répondit Naïla, il ne voudra jamais laisser son enfant seule… Et peut-être même ne voudra-t-il pas me suivre.

- Vous m’emmènerez la fille. Je m’en occuperai ! Je crois qu’elle m’aime bien et je peux bien faire quelques sacrifices pour faire souffrir un être que j’abhorre !

- J’imagine oui… » Naïla avait l’air perturbée. Peut être aimait-elle encore vraiment son ancien mentor ? Elle n’aimait pas l’idée de devoir lui faire du mal. Elle n’aimait pas l’idée que, tôt ou tard, il perdrait sa fille, elle savait que ça le détruirait. Elle n’aimait pas l’idée de le savoir si seul. Elle se tourna vers Kirouel et, essayant de cacher ses larmes, elle lui répondit dans un souffle : « Bien, Maître. Je ferai comme il vous plaira, et si la souffrance de mon ancien ami peut vous procurer joie et soulagement, je vous satisferai. » Le Nouhéré prit le visage de la jeune femme dans ses mains et plongea son regard dans ses yeux. Il resta silencieux un instant, semblant sonder l’âme de son épouse, puis il conclut la discussion : « Je sais, ma douce : que ce que je te demande te coûte. Je sais bien que tu l’aimes encore. Mais je sais surtout que tu m’aimes plus encore et que tu ne me décevras pas. Sois certaine, de toute façon, que je te serai reconnaissant. J’ai conscience que tu ne pourras jamais lui faire de mal physiquement ou directement, mais là, c’est moi qui joue avec lui, tu n’es que mon instrument. » La jeune femme, l’air sombre, et sans mot dire, partit dans sa chambre pour se passer une cape puis se dirigea vers le portail. Elle ne voulait pas se faire remarquer et se déplacerait donc à pied. Au moment de sortir, elle entendit, résonnant dans son crâne, la voix de son Maître : « Je te remercie ma douce… Pardonne-moi de te faire faire ça. » Elle se retourna et vit Kirouel lui sourire depuis le pas de la porte. Elle le salua et sortit dans la foule.

            Cela faisait près de dix minutes qu’elle essayait de se frayer un chemin au milieu de la cohue quand elle sentit quelqu’un lui agripper le poignet. Elle se retourna et se retrouva nez à nez avec le Seigneur Guerrier Nouhéré. « Mortlé que me veux-tu ? », grogna Naïla « Tu veux m’abattre devant tout le monde ?

- Non Naïla, répondit le Guerrier, je voulais juste te dire… Pardonne-moi… et… tu étais magnifique ! » Puis il disparut dans la foule. La jeune Dragonnière resta à se faire bousculer un instant, sans comprendre ce qui venait de se passer, et repartit vers le quartier Grorque, perplexe.

            Arrivée devant la porte de Râhgrabk, Naïla prit une longue inspiration, essaya de ne pas penser à ce qu’elle allait faire puis frappa enfin. La petite Grorque, qui faisait déjà presque la taille de la jeune femme, lui ouvrit et lui sauta au cou. « Il est où Tonton Kirouel ? », hurla-t-elle dans l’oreille de la jeune femme. « Il est chez lui, tu veux passer l’après-midi avec lui ? lui répondit Naïla, surprise de la réaction de l'enfant.

-Oui ! Je veux ! Je veux ! » La grorque fut décollée de la jeune guerrière par son père et ils entrèrent dans ses appartements. Râhgrabk s’assit sur son lit et demanda : « Pourquoi es-tu ici ?

- Je voudrais te parler. Veux-tu bien venir avec moi ?

- Et que ferai-je de ma fille ? Je ne vais pas la laisser là !

- Kirouel accepte de s’en occuper. Je crois qu’il l’aime bien. » Le Grorque hésita puis répondit : « Bien, je n’ai aucune confiance en lui, mais j’ai confiance en toi. Et j’ai envie d’être avec toi. » Naïla prit la fillette par la main, Râhgrabk par l’autre main et ils filèrent vers la demeure de Kirouel où ils expédièrent l’enfant qui courut se jeter dans les bras du Nouhéré, souriant.

 

 

 

 

CHAPITRE 52.

 

            Quand Naïla et Râhgrabk furent enfin seuls, la jeune Dragonnière mena son ami vers la sortie de la cité. Une fois dehors, elle appela Dynaste d'un long sifflement et le dragon vint atterrir dans un lourd battement d’ailes à côté d’eux. Naïla se hissa sur son dos gracieusement et demanda à Râhgrabk de la suivre. Le Grorque, impressionné, et a priori très intimidé, n’osait pas s’approcher. Le grand dragon blanc le regardait d’un œil doux et se coucha doucement, le poussant vers lui du bout du nez. La jeune femme rit et caressa l’animal si doux et gentil. Elle accueillit son ancien mentor derrière elle en riant et le taquinant sur sa peur. Ce dernier ne put pourtant s’empêcher de crier quand Dynaste prit son envol. « Un truc aussi lourd ne peut pas voler ! Ce n’est pas normal ! » hurla-t-il. Naïla lui répondit d’un rire sonore et sincère. Son ancien maître d’armes, si puissant, était terrifié sur le dos de ce si gentil dragon.illustr

            Dynaste, comme s’il savait où il devait se rendre, prit la direction de la source de Vie, volant lentement et pas trop haut afin de ne pas paniquer plus que de raison la grosse créature qui se cramponnait tant bien que mal à sa frêle maîtresse, enfonçant sans le vouloir ses griffes dans ses côtes. Arrivé à destination, il se posa le temps que les deux amis descendent puis il repartit, les laissant seuls à l’endroit où le destin de Naïla avait prit, quelques années plus tôt, un tournant radical.

            La jeune fille enleva sa cape, dévoilant une longue robe de soie noire dont la taille était ceinte d’une cordelette rouge, mettant en valeur sa finesse et sa grâce naturelle. Elle alla s’asseoir à côté de la source, sur des rochers, plongeant la main dans l’eau fraîche et fit signe au Grorque de la rejoindre. Il prit place près d’elle et ils restèrent silencieux un instant, perturbés par les seuls bruits de l’eau et des oiseaux dans les arbres. Après de longues minutes, Naïla prit enfin la parole : « Voilà, je voudrais m’excuser pour tout à l’heure… Je n’ai pas été très aimable.

- Je sais, j’étais là, répondit Râhgrabk l’air triste. Mais pourquoi ?

- Écoute, je dois te montrer quelque chose. » Elle se leva et ôta sa robe. Elle ne portait qu’une simple culotte de dentelle noire, contrastant terriblement avec la blancheur parfaite de sa peau et les traces rosées de ses cicatrices.

            Le Grorque vit tout de suite les marques du fer et se sentit brusquement mal. Naïla s’approcha de lui et le força à les toucher. La douleur que cela lui infligea fut atroce mais elle fit de son mieux pour ne rien en montrer, souriant tendrement à son ami. « Comment a-t-il osé te faire ça ? grogna Râhgrabk entre ses dents. Comment a-t-il pu mutiler un corps d’une pareille beauté ? Quelle horreur…

- Non mon ami, répondit la jeune femme, ce n’est pas une horreur… C’est une preuve de mon Amour pour lui ; de mon Amour éternel. Son nom est sur mon cœur, ses armes sur mes reins. Je lui appartiens tout comme je t’ai appartenu. J'aurai pu être encore à toi si tu ne m'avais pas trahie... Maintenant, même si je t’aime toujours, je ne peux plus être à toi. C’est ainsi. Mais cela ne veut pas dire que je ne peux plus te voir. Je voudrais que nous recommencions comme avant, le sexe en moins bien sûr… » Le Grorque resta silencieux, il avait l’air perdu dans ses pensées. Naïla, n’ayant pas de réponse, s'éloigna de lui et plongea dans l’eau qui se réchauffa rapidement autour d’elle. Curieusement, elle n’eut pas de douleur. Ni ses marques fraîches des coups de fouet, ni ses brûlures ne la faisaient souffrir, au contraire, elles semblaient vibrer et être envahies d’une douce chaleur et de légers picotements, comme si ses plaies se refermaient.

            Râhgrabk finit par la rejoindre et l’enlaça. Il pleura longuement de joie, profitant du bonheur intense de retrouver celle qui avait été son amie, son amante, son élève, son Amour, profitant du plaisir qu’il croyait ne plus jamais éprouver de sentir sa peau sous ses doigts, il la serra contre lui tendrement, l'effleurant, sentant son parfum... Après une longue baignade, ils sortirent se sécher au soleil et ils réussirent à discuter normalement, de tout et de rien, comme de vieux amis, comme s'ils n'avaient jamais été séparés. Le soir approchant, Naïla rappela Dynaste et ils rentrèrent. Râhgrabk récupéra sa fille endormie sur les genoux de Kirouel. Elle était ravie de son après-midi et le Nouhéré cachait de son mieux sa fatigue et son impatience.

            Quand ils furent partis, le bel elfe fit venir Naïla à lui et l’embrassa : « J’ai passé un des pires moments de ma vie… » soupira-t-il « je t’en supplie ma douce, ma belle épouse, occupe-toi de moi comme jamais tu ne l’as fait ! Fais du mieux que tu peux… » Ils montèrent dans sa chambre et la jeune épouse fit montre de tout son talent pour satisfaire au mieux son Maître et époux. Ils s’endormirent ensemble, épuisés l’un et l’autre. Dans son sommeil, Kirouel enlaça tendrement son aimée.

          Le lendemain, le jour s’était levé depuis longtemps quand Naïla se réveilla. Kirouel dormait toujours à ses côtés, respirant calmement. La jeune femme fatiguée de sa journée de la veille se blottit contre lui. Il gémit et la prit dans ses bras et ils restèrent ainsi quelques heures, le brouhaha de la rue remontant jusqu’à eux par la fenêtre ouverte.

            Ils ne sortirent pas de la journée, préférant en profiter pour se reposer. Kirouel se montra tendre et aimant, s’excusant une fois de plus pour ce qu’il forçait à faire à Naïla. À chaque fois qu’il en parlait, la jeune femme ne pouvait s’empêcher de se sentir triste et seule. Elle avait du su rendre à l’évidence, elle aimait toujours son ancien ami.



 

CHAPITRE 53.

 

            Le quatrième jour des festivités, Kirouel proposa à sa jeune épouse d’aller se mêler à la foule. Il aimait être admiré et ces fêtes étaient là pour ça après tout ! Le jeune couple s’offrit alors un bain de fleurs parfumées puis Naïla fut coiffée et maquillée. Elle revêtit un long pagne de cuir noir fermé par une large ceinture et un corset rouge, orné d’entrelacs noirs. Le décolleté du vêtement laissait apparaître la marque sur sa poitrine. Le Nouhéré passa au cou de son amante un large collier de cuir portant un pendentif aux armes de celle-ci. Lui, comme à son habitude, avait revêtu une de ces longues robes noires qui lui donnaient l’air si noble et si gracieux.

            Quand ils sortirent, se tenant par la main, les gens s’écartaient de leur chemin. De nombreuses femmes les félicitaient pour leur Union, pour leur Amour. Naïla, mal à l’aise au milieu de la foule, se serrait contre son époux. Ils firent le tour de la ville puis décidèrent de s’arrêter un instant dans l’auberge Nouhéré. Ils prirent place au fond de la salle et se firent servir une boisson alcoolisée datant de la grandeur de Néhioglôr. Les gens les regardaient beaucoup mais très peu osaient s’approcher ce qui convenait parfaitement à la jeune femme.

            Pourtant, ils étaient servis depuis quelques minutes quand ils furent interrompus dans leur conversation. « Je ne pensais pas que vous sortiriez. » Quand ils levèrent les yeux, ils firent face à Mortlé, le Seigneur Guerrier. « Que fais-tu là, infâme traître ? » lança Kirouel sèchement. L’importun s’assit à leur table sans y prêter attention et reprit : « Kirouel écoute-moi, je ne suis pas là pour vous nuire, ni à toi, ni à ta douce. Je voudrais juste que nous parlions.

- Et pour dire quoi ? répondit le Dragonnier. Pour ressasser nos souvenirs communs si agréables ? Comme la fois où vous avez tenté de nous tuer par exemple ? Ou bien la fois où tu nous as fouettés presque à mort, ma femme et moi ? » Mortlé parut gêné, il n’avait pas aimé ces moments-là, il s'était contenté d'obéir. Il était enfant quand leur ville avait été attaquée et ne savait donc de Kirouel que ce que les autres sang-pur lui avaient appris, que c’était un être faible et lâche, mais jamais on n’avait su lui dire pourquoi. Il savait juste qu’au lieu de préparer la guerre, d’agrandir leur territoire, d’asservir les autres peuples, il avait consacré son temps et ses moyens à organiser fêtes inutiles et autres exhibitions culturelles ou intellectuelles. Néanmoins, si, de par son rôle, il jugeait la violence nécessaire, il n’aimait pas y avoir recours sans que cela ne soit justifié, or Kirouel ne lui avait personnellement jamais rien fait, et Naïla encore moins… et elle était si belle, si spéciale.

            Il baissa les yeux et, après un bref silence, il reprit la parole : « Je voudrais m’excuser pour ça… Pour tout, auprès de vous deux. J’ai été tout ce temps manipulé par ton père. Je croyais ce qu’il disait. Je croyais que tu étais mauvais et responsable de notre défaite… Je me suis leurré. Pardonne-moi, Kirouel.

- Et qu’est-ce qui t’a fait changer d’avis ?

- Pendant des siècles depuis l’attaque, ton père n’a pas arrêté de nous dire que tout était de ta faute et de celle des humains. Qu’ils nous avaient souillés de leur médiocrité et qu’il ne fallait les garder que comme esclaves. Mais comment pourrais-je continuer à croire une chose pareille après avoir vu ta belle faire tout ce qu’elle a fait ? Après l’avoir vue arriver ici, dans la forteresse et après l’avoir vue s’élever jusqu’à nous ? Comment croire que les humains sont si inutiles ? Certes, tous ne sont pas si vaillants mais qu’en savons-nous ? Nous ne leur avons jamais laissé l’occasion de montrer leur valeur. » Le silence se fit autour de la table puis Naïla prononça doucement : « Moi je vous crois, et je vous pardonne ce que vous m’avez fait. En revanche, même si vous faisiez preuve de toute l’amitié possible, je ne pourrai jamais vous pardonner ce que vous avez fait à mon Maître, jamais.

- Je le comprends, jeune Dragonnière, répondit Mortlé, impressionné par la rousse, je sais que ton amour pour Kirouel est sincère et puissant. Très puissant… Et j’espère que ton époux te porte le même amour car tu le mérites vraiment. » En disant cela, il avait prit la main de la jeune femme qui, gênée, avait détourné les yeux. Kirouel les sépara sèchement et dit : « Bien, maintenant, que vas-tu faire ?

- Je suis lié par mon serment de Seigneur Nouhéré à ton père, je ne le trahirai donc pas. Cependant, crois-moi, tu peux me compter parmi tes alliés.

- Et comment puis-je te croire après tout ce que tu m’as fais subir ?

- Tu ne le peux. Tu ne peux que me faire confiance.

- Je ne te croirai jamais sans preuves, or tu refuses de m’en apporter. Je comprends ta lâcheté mais dès que j’aurai repris la place qui m’est due, j’espère que tu me seras aussi loyal qu’un chien soumis… tout comme tu l’es avec mon père. » Mortlé acquiesça et se leva. Il fit un baisemain à Naïla en la complimentant encore sur sa beauté, salua Kirouel et partit.

 

 

 

 

 

CHAPITRE 54.

 

            Le cinquième jour de fête, Kirouel et son épouse passèrent la journée à la source de vie. Ils se reposèrent, se baignèrent, joutèrent, et profitèrent du calme et du frais de l’endroit. Personne ne parla ni de Râhgrabk ni de Mortlé. L’heure était au bien-être et à la détente. Naïla se sentait bien, libre. Curieusement, elle se sentait belle. Elle ne savait si c’était le lieu où l’ambiance, mais elle avait l’impression d’être gracieuse et légère. Elle n’avait jamais été très familière avec l’eau et pourtant elle se sentait encore plus irrésistible en se baignant dans cette petite mare. À croire que l’esprit de Kupr y vivait vraiment et qu’il la sublimait !

            Kirouel ne la lâchait d'ailleurs pas des yeux, il la dévorait du regard, contemplant tous ses gestes, tous ses mots. Il était subjugué par sa beauté, par l’impression de fragilité qui émanait d’elle. Il avait envie de la serrer contre lui et pourtant, à ses côtés, il se sentait étrangement petit, intimidé. Il avait le sentiment qu’elle pouvait le détruire d’un regard, comme si, au fond d’elle, était tapi quelque chose d’infiniment puissant qui attendait le bon moment pour se montrer. Ils finirent tout de même par rentrer, la nuit était tombée depuis quelques heures et les rues étaient assez calmes. Ils se couchèrent et firent l’amour jusqu’au matin puis s’endormirent l’un contre l’autre, heureux.

            Quand Naïla se réveilla, elle trouva le lit vide. Elle se leva, se baigna et se vêtit puis descendit dans le jardin voir Leukkéhir, légèrement inquiète. Il l’accueillit d’un hennissement sonore et ils jouèrent pendant près d’une heure. Alors que la jeune femme tentait d’apprendre à sa monture à se coucher sans se débattre et lui casser quelque chose, elle entendit le portail de la demeure s’ouvrir. Elle se rua vers l’entrée pour saluer son époux mais tomba nez à nez avec trois puissants Grorques. Elle les connaissait de vue mais ne savait pas qui ils étaient ni ce qu'ils venaient faire là. Kirouel, fermant la marche, enlaça sa douce et invita tout le monde à rentrer.

            Il fallut faire de la place pour les trois géants puis le Nouhéré s’installa sur son fauteuil, faisant agenouiller Naïla entre ses jambes. Les mastodontes s’assirent face à eux et Kirouel prit la parole : « Mes chers camarades Grorques, comme vous le savez, vous êtes ici pour une affaire qui doit rester secrète coûte que coûte. Cela concerne Râhgrabk, l’ancien mentor… et amant, de ma tendre épouse. » Un éclair de colère passa dans son regard. « Vous ne saurez pas les raisons pour lesquelles je veux le faire souffrir et comme je vous paie bien, c’est le cadet de vos soucis. Ce que vous devez savoir, c’est ce que vous avez à faire: vous sympathisez avec Râhgrabk, vous devenez amis proches, puis une fois qu’il aura en vous une confiance aveugle, vous violerez sa fille, tous, un par un ou tous ensemble, peu importe, devant lui. » Le Nouhéré avait le regard dans le vague mais il émanait de lui une aura de haine et de colère qui fit frémir les trois Grorques et glaça Naïla qui ne put retenir un violent frisson. Elle ressentit au plus profond d’elle-même une soudaine peur, très fugace, comme si d’un seul coup elle s’était souvenu de quelque chose et l’avait ré-oublié. Kirouel fini par se lever et alla chercher une lourde bourse de cuir. Il la donna au plus grand des trois orques et ces derniers partirent, a priori satisfaits.

            Le Seigneur Nouhéré se rassit, souriant, et commença à caresser les cheveux de son épouse, quand elle se leva brusquement et couru vomir par la fenêtre. Lorsqu’elle eut terminé, elle se tourna vers son amant, en pleurs et cria : « Mais pourquoi faites-vous ça devant moi ? Pourquoi dois-je participer à votre horrible jeu malsain ? J’aime encore Râhgrabk et ce que vous lui faites subir ou allez lui faire subir est atroce, immonde, répugnant ! Je ne peux pas vous empêcher de vous faire plaisir mais je vous en supplie, ne me mêlez pas à ça ! Vous êtes cruel, méchant et mesquin ! Je sais bien que vous ne m’aimez pas et que vous ne m’utilisez que pour reprendre je ne sais comment votre place… » Elle fut coupée dans son élan par un gifle magistrale qui l’envoya violemment contre les escaliers. Kirouel fulminait de rage, les poings serrés, des larmes roulaient sur ses joues et les veines de son cou ressortaient de manière inquiétante. « Crois-tu vraiment ce que tu viens de dire ? » hurla-t-il « Crois-tu que je ne t’aime pas ? Que je t’ai menti depuis le début ? » En disant cela il avait défait sa ceinture et rouait de coups la jeune femme blottie dans les escaliers, couvrant sa tête de ses bras. « Crois-tu que je me serais laissé battre et humilier devant une simple humaine ? » Il s’arrêta soudain et tomba à genoux à côté de son élève, l’enlaçant et l’embrassant. Il pleurait à chaudes larmes. « Pardonne-moi, reprit-il après un instant, je me suis laissé emporter ma douce, ma belle enfant. Je veux juste que tu me croies quand je te dis que… » il hésita puis pris le visage de Naïla dans ses mains pour qu’elle lui fasse face et, tout en couvrant son visage et ses yeux de baisers, il dit gravement : « Je t’aime Naïla. Je t’aime comme je n’ai jamais aimé. Jamais je n’ai été si heureux qu’avec toi… Je t’en supplie, crois-moi. » Puis il se remit à pleurer. La jeune femme se leva et sortit, laissant son amant seul, en larmes dans l’escalier.

            Elle courut jusqu’au quartier Grorque et, après avoir pris Râhgrabk par la main et l'avoir emmené avec elle sans rien lui dire, ils s’envolèrent avec Dynaste et se rendirent à la source de Kupr. Elle y passa la nuit, dans les bras de son ancien mentor, dans le silence le plus total. Les seuls bruits qui leur parvinrent étaient ceux du vent qui soufflait avec une force terrible depuis qu’elle avait quitté la demeure de Kirouel. Râhgrabk, trop intimidé pour parler, se contenta du bonheur d’avoir son unique Amour auprès de lui et de pouvoir être là pour elle. Il savait que c’était exactement ce dont elle avait besoin.

            Quand le jour se leva, le vent s’était calmé. La jeune femme se réveilla dans les bras de son ancien amant, apaisée, comme si cette nuit de calme et de tendresse lui avait permis de faire le vide. Enfin, après de longues embrassades et quelques mots doux, elle le ramena chez lui puis rentra chez Kirouel.

 

 

 

 

CHAPITRE 55.

 

            Naïla poussa la porte doucement, craignant l’ire de son Maître. Ce dernier était dans l’escalier, les genoux pliés serrés contre lui, comme s’il n’avait pas bougé de toute la nuit. En entendant le bruit des pas, il leva les yeux et, voyant son amante, il se précipita pour l’enlacer. Ses yeux étaient rouges et gonflés, ses joues humides et il portait de profondes blessures sur les bras et les épaules. Une pluie fine commença à tomber alors que le soleil brillait et qu’aucun nuage n’était présent.

         Naïla le prit par la main et le mena dans sa chambre. Elle l’allongea sur le lit à baldaquins et commença à soigner ses plaies. Il s’était a priori déchiré la chair avec ses propres ongles. Lui se contentait de la regarder faire, n’osant croiser son regard. Après qu’elle eut fini, il la saisit et la fit asseoir doucement à ses côtés. Il lui caressait doucement la main, baissant toujours les yeux, puis, trouva enfin le courage de parler. « Merci d’être revenue… Pardonne-moi encore, je t’en prie. » Naïla se tourna vers lui et lui répondit : « Je vous aime et je vous dois trop pour me passer de vous. C’est à moi de m’excuser, j’ai oublié ma place un instant, je vous ai manqué de respect.

- Non ma douce. J’ai été cruel avec toi. Je me dois d’être sévère mais pas injuste. Je veux me faire pardonner. Cette nuit, j’ai beaucoup réfléchi et j’ai un cadeau pour toi. » Il se leva et descendit au rez-de-chaussée. Là, il prit une longue boîte en bois posée devant l’âtre éteint et la tendit à Naïla. Elle s’en saisit et y découvrit deux longues tiges métalliques dont l’une des extrémités était ornée d’un symbole. La première portait les armes de la jeune femme et l’autre son nom en Nouhéré. Kirouel passa derrière elle et la prit dans ses bras : « Je veux te prouver mon Amour. » Il se tourna vers la cheminée qui s’embrasa d’un coup et y plongea les fers puis il fit face à Naïla et la saisit par les épaules, les larmes aux yeux. La pluie dehors battait les carreaux et toujours aucun nuage ne venait assombrir le ciel, un immense arc-en-ciel trônait même au dessus du cratère. « Je t’aime vraiment, Naïla, sincèrement, je ne cherche pas à te manipuler ou à t’utiliser. » La jeune femme sentait sa familière boule d’angoisse se former au creux de son estomac, elle savait ce qu’il voulait et elle ne savait que penser ni que faire. Elle commença à pleurer et Kirouel lui prit les mains, plongeant son regard clair dans ses yeux. Il avait soudain l’air déterminé et terriblement sûr de lui. Il se dévêtit, passa le fer au nom de Naïla à la jeune femme, puis s’agenouilla devant elle et la regarda droit dans les yeux. Son regard trahissait son anxiété mais il dit : « Je t’en prie, soit ferme, je le souhaite vraiment. » La jeune femme tenait le manche de cuir, tremblante, fixant l’extrémité rougie du fer. Elle regarda le Nouhéré et, d’un geste vif et précis, elle lui appliqua sa marque sur le cœur. L’elfe hurla, l’odeur de la chair brûlée envahie la pièce et donna la nausée à la jeune épouse.

            Après quelques minutes, Kirouel, se contrôlant du mieux qu’il pouvait tendit l’autre tisonnier à Naïla, les mains tremblantes, puis se mettant dos à elle, il susurra : « Et maintenant, prends moi. Je veux aussi t’appartenir. » Émue, elle lui apposa du même mouvement ses armoiries sur les reins. Encore les hurlements. Encore l’odeur de brûlure. Enfin c’était fini. Naïla rejeta le deuxième fer dans l’âtre et enlaça son époux. Il pleurait doucement et elle le couvrit de baisers, embrassant chaque marque doucement, faisant miraculeusement disparaître la douleur.

            Le dernier jour de fête se déroula dans une tendresse toute neuve et un Amour infini. Jamais Naïla n’aurait cru pouvoir vivre quelque chose d’aussi fort, surtout pas avec un Elfe. Dehors, le soleil avait repris tous ses droits.




CHAPITRE 56.

 

            Quelques semaines étaient passées depuis la fin de la cérémonie de mariage et les choses avaient reprit leur cours, laissant juste le vague souvenir d’une liberté passagère à la cité. Naïla et Kirouel avaient repris leurs entraînements. La jeune femme étant désormais aussi douée que son Maître avec les Dragons, la plupart du temps, leurs chevauchées servaient surtout à s’offrir de longues escapades plutôt que de réelles séances de travail, mais ce qui avait vraiment changé, c’étaient les intérêts d’étude du jeune couple.

            griffon.jpgKirouel avait décidé de prendre son temps pour récupérer la place sur son trône. Il devait faire cela bien et se préparer comme il se devait ; il commença à étudier la magie noire. Son amante désapprouvait ce choix mais il la rassurait régulièrement en lui disant qu’il ne s’intéressait qu’à la théorie, trouvant la pratique trop compliquée pour si peu de résultats. Il maîtrisait déjà parfaitement la magie de ses ancêtres et la magie du feu des Dragonniers, la magie noire n’avait donc que très peu de choses concrètes à lui apporter mais il se devait d'explorer toutes les possibilités qui lui permettraient de devenir plus puissant.

            Naïla quant à elle, motivée par Râhgrabk qu’elle avait le droit de voir une fois par semaine, étudiait la magie verte. Son ancien mentor avait remarqué que d’étranges phénomènes météorologiques apparaissaient quand elle ressentait de puissantes émotions. Peut être possédait-elle cette magie de la nature et des éléments sans le savoir ? Malheureusement, jusqu’à présent, aucun des sorts que la jeune femme avait essayé d'apprendre ne marchait. Elle continuait néanmoins à se plonger dans ses livres. Elle y avait appris que la plupart des pouvoirs de magie verte étaient conférés par Kupr, que cette magie permettait non seulement de maîtriser les éléments naturels tels que la terre, le vent, le tonnerre, et la végétation, mais aussi, à plus haut niveau, elle pouvait soigner les maladies et allonger, voire même créer la vie. Cela expliquait, selon les légendes, pourquoi la race des elfes était immortelle. Ils avaient été les premiers serviteurs et adorateurs de Kupr qui leur avait alors offert en récompense la vie éternelle. Naïla trouvait cela très injuste et jugeait que dans ces cas là, tous ses serviteurs, quelle que soit leur race, auraient dû recevoir ce don aussi, vu qu'il suffisait de le servir pour être immortel. Râhgrabk la réprimandait doucement quand elle tenait ce genre de propos, lui déconseillant de blasphémer le nom du Dieu de la Vie alors qu’elle avait le droit de chevaucher son incarnation Draconnique.

            De temps à autre, la nuit, Mortlé venait visiter les jeunes époux. Kirouel n’avait toujours aucune confiance en lui, mais Naïla, même si elle gardait quelques rancœurs contre lui, croyait en sa bonne volonté. Ses visites permettaient aux deux amants de savoir ce qui se passait pendant les conseils Nouhérés. Ils savaient donc que le roi préparait quelque chose contre les Dorélhôrs mais ce plan étant encore approximatif et assez secret, il préférait ne rien en dire tant que tout ne serait pas certain. Il avait en tout cas, arrêté de s’en prendre à son fils, a priori assez inquiet par la présence de Naïla à ses côtés. Ces nouvelles réjouissaient Kirouel car il sentait peu à peu le contrôle de son destin lui revenir.

 

 

 

 

 

CHAPITRE 57.

 

            Cela faisait bientôt un an et demi que le couple menait ce train de vie. Naïla se battait toujours mieux, surpassant bientôt Mortlé qui prenait grand plaisir à jouter contre elle en secret. Elle avait fini par l’apprécier et lui accorder sa confiance, oubliant qu’il l’avait battue ainsi que son Maître et qu’il avait tenté de les tuer.

            Un matin, alors que la jeune femme était partie s’entraîner dans les montagnes avec Dynaste, Kirouel, seul dans le salon devant l’âtre fumant, lisait un ouvrage ancien sur la Magie du Sang, un type de sorcellerie très puissant et interdit depuis des millénaires avant sa naissance, réservé aux adorateurs d’Allard et aux mages noirs ; mais alors qu’il faisait une courte pause pour reposer ses yeux et regarder la neige tomber doucement dehors, le Nouhéré entendit un énorme fracas puis fut projeté contre un mur avec une force terrible. Il eut à peine le temps de se retourner pour apercevoir Râhgrabk, enragé, se ruer sur lui à nouveau. Il était couvert de sang et portait sa lourde armure de Guerrier Grorque. Un de ses cimeterres était cassé et pendait à sa ceinture.

            Il accula le Nouhéré dans un angle et commença à lui asséner de nombreux coups de poing et de pied, laissant ses armes au fourreau. Il hurlait et pleurait, frappant l’elfe de toutes ses forces en criant : « Pourquoi m’as-tu fais ça, espèce de chien ? Pourquoi ? Qu’est-ce qu’elle t’avait fait ? Sale ordure ! » Il saisit le Nouhéré et le jeta par la fenêtre. Dans un grand fracas de bois et de verre, Kirouel la traversa et roula dans la neige fraîche. Il saignait du nez et de la bouche et son corps était meurtri, rendant ses mouvements plus difficiles. Il se releva lentement pendant que le Grorque arrivait sur lui, dégainant son arme. Il porta un coup à l’elfe en difficulté qui esquiva laissant sa chemise sur la lourde lame. Râhgrabk s’arrêta soudain. Il avait vu la marque sur le torse de son ennemi. Il ne savait pas, Naïla ne lui en avait rien dit. Alors il l’aimait vraiment ? Mais pourtant c’était un être sans cœur et malfaisant ! Il savait que sa fille… La mort de sa petite fille était de sa faute ! Ce ne pouvait être que lui ! Lui seul lui voulait tant de mal ! Mais alors… Il fut sorti de ses pensées par une douleur atroce et fulgurante dans tout le corps. Il avait l’impression que ses veines allaient éclater.

          Kirouel, debout face à lui, une main tendue dans sa direction, récitait des paroles dans une langue inconnue. Après quelques instants, alors que le Grorque était complètement paralysé, l’elfe prit la parole : « Que me veux-tu sale cafard ? Que t’arrive-t-il ?

- Vous… avez tué… ma fille ! grogna l’orc.

- Pas directement. Mais c'est vrai. Est-ce que ça t’a plu ? » En disant cela, il s’était rapproché de Râhgrabk et souriait, laissant le sang couler sur sa poitrine. « J’aime ton amie et tu l’as blessée en donnant son nom au fruit de ta trahison. Tu n’imagines pas comme elle a souffert. Encore maintenant, cette enfant ne lui inspire que haine et dégoût. Je ne pouvais quand même pas te laisser impuni ! » Le Grorque, dans un hurlement, réussit à se dégager de l’étreinte magique et attaqua à nouveau Kirouel. Il le mit à bas et lui posa sa lame sur la gorge. « Si tu l’aimes tant que ça, prouve que tu es à sa hauteur en survivant aux mêmes choses qu’elle ! » Et il commença à trancher, très doucement, la gorge de l’elfe impuissant. Il souriait, il jubilait de dominer ainsi celui qu’il abhorrait, celui qui se croyait si puissant. Kirouel tentait de se débattre mais la puissance du Grorque était impressionnante et il ne pouvait que s’égorger un peu plus lui-même. Il eut peur. Il sentait la chaleur de son sang, contrastant avec le froid qui se propageait dans ses membres. Il savait qu’il allait mourir.

          Râhgrabk leva finalement le bras pour lui porter le coup de grâce quand il vit Naïla sauter devant lui, armes au poing. Elle lui décocha un coup de pied qui le sépara de Kirouel et il roula plus loin. Depuis quand avait-elle la force nécessaire pour mettre à bas un Grorque ? Il aurait pourtant dû se douter qu’elle arrivait, la neige tombait puissamment et le vent soufflait en puissantes rafales. Dynaste volait au dessus de la cité et on pouvait voir les traces de pas dans la neige, sur les toits, par lesquels était passée la jeune femme avant d’atterrir dans le jardin. Paniquée, elle demanda, essayant de hurler le moins possible : « Mais qu’est-ce qu’il se passe ici bordel ? Vous avez perdu la raison ?

- Naïla, répondit Kirouel, il est venu me tuer. Sa fille est morte. » La jeune femme baissa ses armes un instant puis reprit, n’osant regarder son ancien mentor : « Râhgrabk, je savais que cela allait arriver. Kirouel m’avait informé de ses projets et comme tu le sais, je ne pouvais pas l’en empêcher et même si cela m’a fait mal de participer à ce plan… Si je ne t’ai rien dis, c’est sûrement qu’au fond, j’approuvais ! Tu m’as fais très mal et j’ai longtemps songé à me venger… Peut être pas ainsi mais… Je n’ai jamais aimé ta fille. 

- Mais moi si ! répondit le Grorque abasourdi, et en larmes. Moi je l’aimais… Et je dois la venger. Je le dois. Elle n’était pas si forte que toi, Naïla. Elle n’aurait jamais pu les punir seule, je dois la venger ! » Après un long silence, alors que la neige tombait plus fort mais que le vent s’était calmé, la jeune femme, les larmes aux yeux, secoua la tête et prononça : « Je ne te laisserai pas faire. » Kirouel, toujours au sol derrière elle, se sentait faiblir, sa vue se brouillait, il lui semblait voir une grande ombre rouge derrière sa femme. Le géant Grorque le regarda, regarda Naïla, puis leva son arme et chargea l’elfe.

          C’est au moment où il passa à côté de Naïla qu’il sentit la douleur. Son ventre le brûlait. La jeune femme avait à peine bougé et une de ses lames était maintenant profondément enfoncée dans l’abdomen de son vieil ami, ressortant dans son dos. D’un geste lent, elle remonta son arme dans le torse de Râghrabk qui finit par s’écrouler. Le sang noir tapissait la neige. Naïla se retourna lentement, rengaina ses doubles lames, et ramena son Maître à l’intérieur. Dynaste hurlait de toutes ses forces et volait en tous sens se tordant comme un serpent agonisant. Jamais encore il n’avait hurlé comme ça. Sa voix puissante faisait vibrer toutes les vitres de la cité et résonnait dans le silence de mort qui pesait soudainement dans la forteresse.

            La jeune femme soigna Kirouel puis le coucha, priant Kupr qu'il l'aide à guérir. Quand il fut endormi, elle alla s’isoler dans sa chambre au sous-sol. Elle n'y était pas retournée depuis son mariage mais là, elle avait besoin de la familiarité et de l'exiguïté du lieu. Elle n’arrivait pas à pleurer. Dehors, elle entendait les gobelins en train de nettoyer les dégâts, en train de traîner le corps de Râhgrabk... Elle se sentait soudain vide. Seule. Comme si quelque chose en elle était s'était brisé, était mort. Elle venait de commettre le pire acte qu'elle pouvait imaginer et sa souffrance était telle qu'elle l'anesthésiait totalement, l'empêchant de penser... l'empêchant de ressentir autre chose que ce vide intense.

            Dans les jours qui suivirent, personne n’osa aborder le sujet de ce qu'il s’était passé. Naïla apprit que Râhgrabk avait massacré les trois mercenaires payés par son Maître et tué les sentinelles demi-sang. Elle ne réussit jamais à pleurer la mort de son ami mais elle ne réussit jamais à l'oublier. Elle pensait à lui tous les jours, toutes les nuits dans ses cauchemars où il mourait sans cesse de sa main.




CHAPITRE 58.

 

            Depuis l’incident avec Râhgrabk, les choses avaient peu changées. Mortlé rapportait régulièrement les échos des conseils. A priori, les plans du Roi contre les Dorélhôrs se précisaient mais il en taisait encore les détails, peut-être craignait-il une trahison ? La seule chose que le Seigneur Guerrier savait, c’est qu’ils allaient avoir besoin de Naïla et de sa connaissance du Sud.

            Près de six mois de plus s’étaient encore écoulés quand Kirouel reçut ordre de se rendre au prochain Conseil Nouhéré avec sa compagne. Les choses allaient bientôt bouger. Il allait pouvoir faire entendre ses conditions, s’ils voulaient utiliser son élève, cela ne se ferait pas gratuitement.

            Le couple se prépara, Naïla devait être belle, elle devait une fois de plus éblouir et intimider. Son époux la vêtit d’une robe de cuir noir très stricte, au col montant et aux longues manches serrées, ne laissant apparaître que sa tête et ses mains. Elle aurait les cheveux lâchés, justes tenus par deux mèches nouées ensembles. Lui, comme à son habitude, passerait ses habits de cuir noir et rouge.

            Quand ils entrèrent, tous les Seigneurs Nouhérés étaient déjà installés à la table du Conseil. Kirouel et Naïla s’assirent à leur tour et Zaoûlko prit la parole. « Mon fils, si je t’ai fait venir, c’est parce que je sais que la lutte contre les Dorélhôrs t’a toujours tenu à cœur. Si j’ai fait venir ta jeune épouse, c’est parce qu’elle en a déjà une connaissance importante… En tout cas, plus importante que nous. Voilà donc un long moment que nous travaillons tous ensembles sur un plan d’attaque contre nos chers ennemis. Bien sûr, j’aurais préféré ne pas avoir à faire appel à vos services à l’un comme à l’autre mais, après de longs débats et discussions, nous en avons tous conclu que c’était la seule solution possible.

- Venez-en aux faits, coupa Kirouel.

- Oui, voilà, le plan serait d’infiltrer quelqu’un chez eux…

- Ça c’est moi, le quelqu’un ! chuchota Naïla.

- Ne me coupez pas, demoiselle. En effet, c’est vous. Vous connaissez leur langue, leurs coutumes, leur ville, et même un membre haut placé de leur hiérarchie. Vous serez idéale pour ce travail. De plus, vous ne pourrez pas nous trahir car vous aimez l’un… des nôtres… Cela signerait sa perte en cas d’assaut ennemi. Qu’en pensez-vous, jeune Dragonnière ?

- Qu’est-ce que nous y gagnons ?

- Et bien, dès votre retour de mission, vous serez justement récompensée, des droits, une place, le rang officiel de Seigneur Nouhéré. Quant à votre époux, peut être… peut-être pourrait-il reprendre sa place d’antan ?

- Et qu’est-ce qui me dit que vous tiendrez parole ? Vous renonceriez au trône juste pour aller tuer du blondinet ?

- Allons demoiselle, vous savez très bien que nous craignons tous… plus ou moins bien sûr, votre ire. Nous ne savons pas comment contrer vos capacités et vus vos progrès fulgurants, à peine aurions-nous trouvé un moyen, que vous auriez déjà inventé autre chose pour nous attaquer.

- Cela durerait combien de temps ? demanda Kirouel, l’air inquiet.

- Pas plus d’une année. Nous savons que les humains ne sont pas éternels et nous ne souhaitons pas vous séparer trop longtemps. De plus, une année est largement suffisante pour recueillir les informations dont nous avons besoin. Bien sûr, notre Seigneur Mage joindra au moins une fois par mois télépathiquement notre jeune espionne, pour avoir ses informations et pouvoir la rapatrier au cas où il y aurait des problèmes. Cela vous convient-il ? » Kirouel hésita, n’osant croiser le regard de son Aimée. Il savait qu’elle serait d’accord si cela pouvait l’aider, lui et son peuple. Il savait désormais que, quel que soit le prix à payer, elle était prête à tout pour lui, prête à tout perdre, à tout sacrifier, juste pour lui, elle le lui avait déjà prouvé.

          Il la prit par la main puis, fixant son père d’un regard noir, il donna son accord. Le Roi eut l’air ravi. Il leur expliqua ensuite comment il comptait procéder. Elle se ferait passer pour une captive évadée et dirait avoir des informations importantes à délivrer. Connaissant le Prince Dorélhôr, elle ne devrait pas avoir de mal à se faire recevoir. Après avoir reçu ces consignes, Kirouel et Naïla repartirent chez eux, silencieusement.

            Quand ils arrivèrent, Kirouel prit son épouse dans ses bras et la couvrit de baisers. Elle devrait partir le lendemain et cela le torturait. Dynaste la mènerait avec Leukkéhir à proximité de Laureliane et elle finirait la route à cheval. Mais pourquoi si tôt ? Ils n’avaient même pas le temps de se dire au revoir ! Il lui avoua ses craintes d’un complot de son père pour les séparer mais elle le rassura en lui disant que si cela devait être le cas, elle le saurait et rentrerait très vite. Il sourit, la mena à l’étage, la dénuda et la fit agenouiller devant le lit puis, se serrant contre son dos, il lui susurra : « Naïla ma douce, tu sais comme je t’aime et tu sais que je ne veux pas te perdre… Je vais devoir te battre. Si tu dois te faire passer pour une esclave, tu dois être crédible. Je sais que ton corps est déjà bien marqué mais… Je veux aussi que tu gardes mes traces le plus longtemps possible.

- Bien sûr mon Maître, je le comprends…

- Non arrête. Je ne veux pas que tu m’appelles comme ça… Pas dans un tel moment. Pour une fois, sois toi-même. » La jeune femme se retourna vers lui les larmes aux yeux et lui répondit : « Bien mon Amour. Je veux porter tes marques, je veux te garder présent avec moi, même séparés si longtemps, si loin l’un de l’autre. Quoi qu’il arrive, je serai toujours à toi et je te servirai toujours. Pas parce que je te crains, mais parce que je t’aime, que je te respecte et que je te dois beaucoup. Cette année de séparation sera une torture mais elle me paraît nécessaire pour que tu puisses reprendre ce qui t’es dû. » Kirouel embrassa fougueusement son épouse puis il la fit remettre face au lit et sortit un long chat à neuf queues aux lanières ornées de petites lames de corne.

          Il porta un premier coup timide puis, excité par la vue du sang et les gémissements de sa compagne, il les enchaîna puissamment pendant un temps qui parut infini à Naïla. Elle fit de son mieux pour retenir ses cris mais la douleur fut telle qu’elle fini par craquer et demander d’arrêter. Son amant la prit alors dans ses bras, l’embrassant passionnément, et ils firent l’amour jusqu’au milieu de la nuit où, l’un et l’autre épuisés, s’endormirent ensembles, sans se séparer un instant.

 

 

 

 

 

CHAPITRE 59.

 

            Les deux amants n’étaient endormis que depuis deux heures quand ils furent réveillés par le Seigneur Mage. « Allez, le couple du siècle ! » lança-t-il en leur enlevant le drap. « Debout ! La gloire n’attend pas ! » Kirouel le fusilla du regard et Naïla lui jeta son oreiller en plein visage. Il l’attrapa et le sentit longuement. « Quel dommage, reprit-il en regardant la jeune femme, que nous n’ayons jamais pu faire plus ample connaissance… » Elle se leva, ignorant comme elle pouvait les profondes plaies de son dos et ses épaules et, récupérant brusquement son projectile elle poussa le Mage qui tomba contre un meuble et lui dit, souriante : « Allons mon cher, vu la réputation que vous avez dans toute la ville je ne suis pas sûre que j’aurais grand-chose à craindre de vous à ce niveau-là ! » Puis elle le poussa hors de la pièce par de petits coups de pieds. Le Nouhéré ulcéré sorti de la demeure en claquant toutes les portes. Kirouel souriait tristement. Il avait toujours aimé l’arrogance de cette frêle humaine et cela allait terriblement lui manquer.

            Quelques minutes après, ils descendirent et furent accueillis dehors par tous les Seigneurs Nouhérés. Leukkéhir était apprêté avec une simple corde autour de l’encolure. En passant à côté du Roi, celui-ci arracha les vêtements de la jeune fille. « Vous devez porter des haillons, ma chère, pour être convaincante ! » Il lui jeta au visage ce qui devait avoir été une robe, dans un tissu gris d’une propreté plus que douteuse et rongée par des créatures dont Naïla préférait ignorer l’existence. Elle eut droit à une culotte de tissu noir d’un confort très approximatif et, d’après Zaoûlko, elle pouvait déjà s’en réjouir.

            Une fois aux portes de la ville, les Seigneurs Nouhérés repartirent ne souhaitant pas être témoins de pathétiques scènes d’adieux. Dynaste était couché non loin, attendant son travail. Comment faisait-il pour toujours savoir ce qu’on attendait de lui sans que l’on ai besoin de le lui dire ? Cet animal était étonnant. « Bien, commença Kirouel tristement, nous y sommes. Tu t’en vas… Tu repars d’où tu viens.

- Ce n’est que temporaire, beau Prince. Je te reviendrai bientôt. » L’elfe enlaça sa compagne, essayant de cacher qu’il était terrifié à l’idée d’un potentiel complot de son père. Ils s’embrassèrent longuement puis, sans mot dire, Naïla monta sur son Dragon qui s’empara du cheval et décolla en direction du Sud rapidement, comme s'il était heureux d'emmener la rousse loin d'ici. La jeune femme n’osa pas se retourner. Kirouel, lui, fut raccompagné par Mortlé. Une légère bruine tombait sur la cité.

            Dynaste volant à une vitesse folle, ils devaient arriver à destination très vite. Naïla pensa aux propos de son époux. Et si c’était vraiment une ruse de son père ? Que pourrait-elle faire ? Elle n’avait aucun pouvoir, elle ne saurait même pas ce qui arriverait à son aimé. Cela l’inquiétait bien plus que de devoir entrer désarmée au sein même de la meute de loups.

            Au bout de deux jours, Dynaste se posa, il était temps pour Naïla de continuer sa route à cheval. Qu’elle vole un cheval passe encore mais personne ne volerait un dragon ! Surtout pas celui là ! Elle lui fit un baiser sur le nez et, après qu’il eut, comme à son habitude, posé un de ses grands doigts sur sa tête, il s’envola. Elle savait que lui, même si elle ne le voyait pas, serait là en cas de problème. Après l’avoir vu disparaître à une hauteur incroyable au dessus d’elle, elle talonna Leukkéhir qui s’élança dans un grand galop, et, trop heureux d’enfin pouvoir voyager décemment, lança quelques ruades de joie. Il faut dire qu’il n’avait jamais connu que des paysages montagneux, et la plaine qui s’étendait devant lui était une joyeuse découverte. Il filait comme le vent, Naïla en avait les larmes aux yeux à cause de la vitesse. Elle était grisée.

          Après quelques heures à ce rythme, alors que Leukkéhir se couvrait d’écume et que le soir tombait, Naïla décida de s’arrêter bivouaquer. Elle voyait déjà au loin les lueurs de la grande cité. Elle ramassa un peu de bois avant de se rendre compte qu’elle n’avait rien pour allumer un feu puis elle réussit, avec l’aide de son cheval, à trouver deux lapins. Elle en mangea la moitié d’un mais la viande crue n’était pas vraiment à son goût. Elle offrit ses restes à sa monture qui eut l’air de se régaler. Enfin, épuisée, elle s’allongea. Malheureusement, elle fut incapable de trouver le sommeil. Kirouel lui manquait terriblement et elle se sentait désespérément seule. Elle était rongée par le doute. Après tout, depuis le temps qu’elle était partie, Léoguié l’aurait sûrement oubliée, et s’il se rappelait d’elle, que ferait-il ? Il n’avait apporté aucune aide lors de l’assaut de son village. Et s’ils se rendaient compte de ses intentions réelles ? Et si Zaoûlko profitait de son absence pour nuire à son fils ? Elle sentit sa familière boule d’angoisse lui revenir sournoisement. Comme s’il avait senti son malaise, Leukkéhir se coucha près de la jeune femme et, du bout du nez, l’invita à se mettre contre lui. Elle se blottit entre ses membres, contre son ventre, et finit par s’endormir. Une pluie très fine tombait autour d’eux.

           Les lueurs de l’aube réveillèrent Naïla qui, décidant d’en finir au plus vite avec au moins quelques-uns de ses doutes, se mit à cheval et repartit à vive allure en direction du Sud.

            Après quelques heures de galop, elle arriva enfin au pied de la citadelle. Dès qu’elle fut visible, elle se pencha en avant sur l’encolure de son cheval qui eut l’air un peu perturbé par cette position étrange, et commença à crier : « Aidez-moi ! Je vous en supplie, aidez-moi ! » Elle s’écroula au sol à une dizaine de mètres de la grande porte et les gardes se précipitèrent pour la relever. La jeune femme, dans un souffle rauque, articula : « Je vous en prie, je dois voir Léoguié, j’ai des informations sur les Nouhérés. Dites-lui… Dites-lui que Naïla est revenue. » Et elle s’écroula.

          Elle entendit le garde qui la tenait ordonner à l’autre d’aller chercher le Général Dorélhôr suivi d’un bruit de pas rapides. Elle se sentie soulevée et menée quelque part, a priori dans une salle de garde, où elle fut allongée sur une couche de bois. Dehors, elle percevait quelqu’un essayant de chasser Leukkéhir qui, semblait-il, n’était pas décidé à partir.

            Quelques minutes plus tard, la porte s’ouvrit et le silence se fit dans la pièce. Elle sentit une main sur son front et on lui glissa quelques gouttes d’un liquide très doux dans la bouche. Elle ouvrit doucement les yeux, devinant que ce breuvage devait être un remontant, et se retrouva face à face avec un grand elfe roi. Ses longs cheveux dorés tombaient en cascade autour de son visage et ses yeux bleus scrutaient la jeune femme. Il demanda sèchement : « Pourquoi ai-je l’impression de vous connaître alors que vous prétendez arriver de chez les Nouhérés ? » Après avoir prit quel

ques longues inspirations, elle répondit : « Avant, je vivais à Lessya, je suis venue ici une fois petite ; mon géniteur avait sauvé la vie du prince.

- Je me souviens de cet incident. Pourquoi demandez-vous à voir le Seigneur Léoguié ? » Naïla ne pouvait pas dire qu’ils étaient amis d’enfance… Elle répondit en Dorélhôr : « Je lui dois beaucoup… Je lui dois la vie. Je vous en supplie… » L’elfe se leva et partit en disant qu’il allait voir ce qu’il pouvait pour elle puis il donna l’ordre de la vêtir et de la laver. On lui ramena une blouse grise et un seau d’eau chaude et elle fut laissée seule.

            Cela faisait un long moment qu’elle attendait et elle avait eu le temps de répéter dans sa tête tout ce qu’elle devait dire ou taire une bonne dizaine de fois quand la porte s’ouvrit. Elle le reconnut tout de suite. Léoguié ferma la porte derrière lui. Il était magnifique et devait bien la dépasser de deux têtes, ses cheveux blonds lui tombaient jusqu’aux reins, ses yeux étaient doux et vifs, d’un bleu violet électrique très étrange. Il portait une longue tunique bleu ciel ornée de broderies d’or, de nombreuses bagues et ses oreilles étaient piercées sur toute leur longueur.

            Naïla se leva et se jeta dans les bras du Prince, espérant de toutes ses forces qu’il ne la repousserait pas ; mais au contraire, il la serra contre lui et lui baisa le front. « Eh bien Naïla, dit-il doucement, je ne pensais pas te revoir un jour… Tu es immense ! Et si belle !

- Merci Léoguié. Merci d’être venu. Je t’en supplie, écoute-moi. » Il s’assit à côté de la jeune femme et la regarda. « Mon Dieu, ma belle, souffla-t-il choqué, quelles sont toutes ces marques disgracieuses sur ton visage ? » Naïla commença à pleurer et répondit en sanglotant : « J’ai été si souvent battue. C’était si dur ! J’ai été capturée, j’ai été violée ! J’ai été vendue comme esclave à un Nouhéré ! C’était atroce Léoguié ! » L’elfe la prit dans ses bras et il écouta patiemment son récit. Elle lui raconta à quel point sa vie avait été horrible, comme elle avait été battue, comme elle avait été humiliée. Puis elle lui dit qu’elle avait néanmoins pu apprendre des choses intéressantes mais qu’elle ne voulait les dire qu’à lui. À condition que, cette fois-ci, il ne la laisse pas tomber et lui offre des choses en échange. A ces mots, Léoguié se sentit penaud et il promit à son ancienne amie qu’il ferait tout pour qu’elle ai la meilleure vie possible dans cette ville. Il prit ensuite la jeune femme par la main et l’emmena dans ses appartements.

            Il vivait dans la tour Royale, et en possédait un étage entier. Tous les murs extérieurs étaient couverts de vitres donnant sur la cité. Les pièces étaient luxueusement aménagées et décorées. Ici, la richesse se devait de s’exhiber. Le jeune Prince fit venir des couturières afin qu’elles arrangent des robes pour Naïla. Elle fut donc engoncée dans un corset trop serré, une large fraise couvrant son cou et de nombreuses épaisseurs de jupons gênant sa marche. Elle se sentait ridicule et l’horrible coiffe qu’on lui plaça sur la tête n’était pas là pour la mettre plus à l’aise.

          Après les presque deux heures de préparatifs qu’il avait fallu pour emprisonner Naïla dans toutes ces étoffes tape-à-l’œil, Léoguié put enfin emmener la jeune fille auprès de sa mère. Il la pria bien de ne rien révéler de leur passé complice et elle promit de se taire s’il tenait ses engagements.

 




CHAPITRE 60.

 

            Quand ils pénétrèrent dans la grande salle du trône, celle-là même où Naïla avait été reçue petite, tous les yeux se tournèrent vers elle. Léoguié la poussa un peu devant lui et il s’adressa directement à sa mère : « Puissante Reine Nayélia, je viens ici plaider la cause de cette pauvre créature qui revient tout droit de l’enfer. Elle a d’importantes informations à nous… négocier sur le peuple et les armées Nouhérés. J’ai déjà entendu son histoire, elle a été enlevée pendant l’assaut des villes d’élevage et, après avoir fréquenté pendant les 16 dernières années un haut membre Nouhéré, elle a pu apprendre leur langue et donc avoir accès à de nombreux secrets. » La reine jaugea la jeune femme de son regard bleu perçant puis demanda à son fils : « Et que demande-t-elle en échange de ses connaissances ?

- Elle souhaite vivre ici avec un bon statut ; elle souhaite garder sa… monture, c’est grâce à elle, après tout, qu’elle a pu revenir vers nous ; c’est tout Majesté.

- Eh bien, il vaut mieux, dans ce cas, que les connaissances apportées soient utiles. » Naïla s’inclina et commença à donner de fausses informations : nombre de troupes fictif ; oubli de certaines races ; points faibles imaginaires des Nouhérés. Quand elle eut fini, la reine parut satisfaite. Elle se leva et tapota, sûrement amicalement, la tête de la jeune femme puis dit à Léoguié que maintenant, il en était responsable et qu’il pouvait en faire ce que bon lui semblait.

            Quand ils se retrouvèrent dans ses appartements, elle le supplia de lui enlever l’horrible tenue qu’elle portait puis il la prit dans ses bras, heureux de la retrouver et de pouvoir la garder. Cette nuit, elle dormirait chez lui et dès demain, il lui ferai aménager ses propres appartements. Une fois à l’aise, Naïla se jeta sur une corbeille de fruits posée non loin puis, après s’être sustentée, elle demanda à Léoguié : « Pourquoi m’as-tu laissée tomber quand ils ont attaqué ? Pourquoi m’as-tu fait ça ? » Le Dorélhôr, pris au dépourvu, ne sut d’abord que répondre puis il finit par dire, n’osant poser les yeux sur elle : « J’étais jeune. J’avais peur. Tu ne sais pas de quoi ma mère est capable. Elle est si cruelle parfois… Si elle avait découvert que je te fréquentais, elle m’aurait sûrement tué… Ou même, pire encore !

- Et qu’y a-t-il de pire que la mort ?

- L’exil, voyons, je te l’ai déjà dit la dernière fois ! Je n’aurais jamais pu le supporter…

- As-tu seulement pensé à moi ?

- Je m’en suis tellement voulu, Naïla. Mais qu’aurais-je pu faire ? J'étais un enfant !

- Oui, c’est vrai, qu’aurais-tu pu faire, toi, le demi-dieu, le fils de la toute-puissante Reine Nayélia ? Je croyais vraiment que vous étiez là pour nous protéger… » La jeune femme se tut, retenant ses pleurs, puis se leva et partit. Quand le Dorélhôr chercha à la retenir, elle l’esquiva d’un mouvement vif et lui lança un regard noir, en larmes, puis quitta la pièce. Elle retrouva Leukkéhir en bas de la tour et partit avec lui faire le tour de la ville.

          Naïla rencontra quelques humains mais soit c’étaient des femmes esclaves à la langue coupée, soit c’étaient des catins qui s’éloignaient à son approche. Elle voulu entrer dans le camp de militaires humains mais on lui en refusa l’accès. Une fois qu’elle eut visité une grande partie de la ville, elle se dirigea vers la sortie afin de retourner dans son village natal, mais les gardes lui interdirent formellement de quitter l’enceinte de la cité. Ils avaient reçu l’ordre de ne pas la laisser sortir sans un Dorélhor important avec elle. Elle fit donc demi-tour et rentra chez Léoguié.Naila-copie-1.jpg

            Ce dernier se comportait avec la jeune femme de manière exemplaire. Il se montrait doux et attentionné, lui passant toutes ses colères et toutes ses peines. Il la laissait monter son cheval démoniaque en toute quiétude et s’arrangeait pour qu’elle garde ses privilèges malgré les réticences de la reine.

            Naïla, en revanche, allait mal. Kirouel lui manquait. Elle regrettait ses longues étreintes passionnées, ses fougueux et doux baisers, ses caresses ; elle regrettait les hauts murs noirs de la cité, les orcs et les gobelins, les dragons et les ouargues… Elle passait des heures le soir assise sur le balcon dominant la grande ville à regarder l’horizon, espérant voir l’ombre de Dynaste, l’ombre de l’armée Nouhéré, pleurant en silence. Elle était inconsolable et même Leukkéhïr, qui lui manifestait une affection brutale, restait sans résultats.

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commentaires

S
<br /> Bah moi non plus je m'y attendais pas quand j'ai commencé à écrire... Mais ça s'est fait comme ça... Et j'ai bien pleuré! ^^ Pauv' Râhgrabk...<br />
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A
<br /> trop hâte à la suite, je ne m'Attendais vraiment pas à ce qu'elle tue rho....rah....hgalll   enfin quelques chose comme ça, son ancien mentor, ça m'a fait un pincement, trop hâte à la suite.<br />
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