9 décembre 2011 5 09 /12 /décembre /2011 17:57

Nous publions ce soir le dernier chapitre écrit à ce jour du roman La Magie des Mots. Souhaitons que Doris ne nous fasse pas trop attendre et que la suite arrivera bientôt sous nos yeux gourmands !

 

Bonne lecture !



la magie des mots La Magie des Mots
de Doris Facciolo

   Deuxième partie -   New Earth
Chapitre 8 : Les Terriens

 

 

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Habitants humanoïdes de la planète Terre. Humains de taille et de poids approximativement identiques à ceux des autres mondes. Leur couleur de peau varie du teint très clair au noir profond. Plus évolués technologiquement que la plupart des autres humanoïdes, ils pensent pourtant être les seuls êtres intelligents dans tout l’univers. Les Eaux leur on bloqué l’accès au Monde Central il y a une trentaine de repousses.

 

******

 

Galak avait repris son quart tandis que nous descendions vers notre dortoir. Les prochains jours risqueraient d’être tendus et il valait mieux profiter de chaque occasion pour se reposer. Déjà trois membres de l’équipage savaient que nous étions Terriens. Combien de temps faudrait-il pour que tous soient au courant ? Quelle serait leur réaction ? Allaient-ils nous considérer comme des démons et nous jeter par-dessus bord ou au contraire nous servir comme des dieux ? Dès le lendemain matin, il nous faudrait en informer les nôtres. Il fallait absolument qu’ils sachent dans quelle situation nous étions et cela pour deux raisons : la première étant que nous étions tous concernés, la seconde que nous devions éviter de parler ouvertement de la Terre si nous voulions éviter les problèmes.

A mon grand soulagement, ma mère dormait déjà. Je m’installai sur ma paillasse, non loin d’elle. Edwin fit de même, entourant Gwendoline de ses bras alors que je m’enroulai, seul, de mes draps. Cette nuit-là, je dormis d’un sommeil profond et sans rêve. Nulle question ne vint perturber mon esprit et je me réveillai le lendemain avec le cri apparemment habituel de Todoc annonçant que le repas était prêt.

Quelques-uns d’entre nous montaient déjà vers la cuisine alors que je m’évertuai à me réveiller complètement tout en me frottant les yeux.


-          Bonjour m’man ! Lui lançais-je alors qu’elle se levait pour suivre les autres.


Je n’obtins aucune réponse, pas même un regard. Elle m’ignora totalement et, bien que je fasse comme si de rien n’était, cela me serra le cœur. Me faire pardonner ne serait pas aussi aisé que je  l’avais espéré. Une boule au ventre m’oppressait : ma mère était définitivement vexée par mon attitude d’hier soir. Je m’étais déjà fâché avec Edwin quelques jours plus tôt, à présent il s’agissait de ma mère, ma seule famille. Qu’avais-je donc fait pour que le sort s’acharne contre moi ?


-          Tu ne prends pas ton petit-déjeuner ? Me demanda Gwen qui se dirigeait vers la trappe en compagnie d’Edwin.

-          Si, j’arrive.


On nous servit le même repas que la veille. J’imagine qu’il n’était pas prévu de vivres pour autant de personnes supplémentaires et qu’il était plus simple pour Todoc de puiser dans les réserves de céréales et de garder les biens périssables pour l’équipage. Une fois mon tour arrivé, le cuistot me tendit un bol rempli à ras bord en me gratifiant d’un large sourire. Le gars derrière moi n’eut droit qu’au bol et à une moue de mécontentement.

Je montai sur le pont pour déguster mon petit-déjeuner en compagnie de mes amis. Ma mère restait hors de vue. Georges, par contre, mangeait seul en observant l’horizon. Je proposai à Gwen et Edwin de le rejoindre.


-          Bonjour Georges, lui lançai-je.

-          Bonjour gamin, répondit-il.


Je grognai silencieusement à cette réplique. La journée avait mal débuté, ce n’était certainement pas en m’appelant « gamin » que mon humeur s’arrangerait.


-          Georges, il faut qu’on discute, reprit Edwin. Et il vaudrait mieux que l’équipage ne nous entende pas…


Georges, qui portait une cuillère de céréales à ses lèvres, interrompit son geste pour se tourner vers nous. Après une brève appréciation de notre attitude, il se décida à nous suivre, comprenant qu’il s’agissait là d’une affaire sérieuse. Le seul endroit où l’équipage de la Chope Noire ne venait presque jamais était la calle, notre dortoir.  C’est là que nous expliquâmes à notre représentant ce que Galak nous avait confié la veille.


-          A vrai dire, je n’ai pas compris grand-chose de ce que le second nous a raconté, commença Edwin. D’après lui, l’île sur laquelle nous nous sommes échoués a recueilli d’autres naufragés avant nous, et il y en aura encore. Il a parlé d’autres mondes… de colons… d’autres Terriens sont venus ici mais il n’y en a plus eu depuis longtemps et ça semble anormal que nous soyons ici. A vrai dire je trouve ça anormal aussi…

-          Edwin, tu n’as donc rien compris de ce que Galak nous a dit ? S’énerva Gwendoline.

-          J’avoue ne pas comprendre ce qu’il tente de m’expliquer, moi non plus, intervint Georges.

-          Ha ! Les hommes ! Soupira Gwen. Bon, je vais reprendre : l’Ile des Naufragés, comme ils l’appellent sur ce monde, semble être un refuge pour ceux qu’on appelle ici « les colons ». Les colons sont des gens qui proviennent d’autres mondes, tout comme nous. Comment sont-ils arrivés ici et pour quelle raison, Galak n’en a rien dit. Mais il semblerait que la Terre ne soit pas la seule à abriter une vie intelligente et que toutes les autres planètes qui en possèdent sont liées d’une façon où d’une autre à cette île. Les Terriens qui se sont échoués sur l’île avant nous ont migré vers une autre région de ce monde, et c’est sans doute là-bas qu’on nous emmène. Ce qui semble très étrange, c’est qu’il y ait eu de nouveaux colons régulièrement, mais plus de Terriens depuis des années. D’après Georges, les Eaux décident de laisser la voie ouverte ou non aux colons des différents mondes. S’il n’y en a plus eu depuis si longtemps depuis la Terre, c’est que ce chemin a été condamné. D’après ce que j’ai compris, une fois que la voie est barrée, c’est à jamais.


Gwen fit une pause avant de reprendre avec gravité :


-          Georges, ce que vous devez comprendre, c’est que nous aurions dû mourir dans ce naufrage. Si les gens de ce monde apprennent que nous sommes Terriens et que nous venons seulement d’arriver chez eux, nous ne savons pas quelle pourrait être leur réaction.

Le militaire pris une longue inspiration tout en caressant sa barbe poivre et sel qui avait bien poussé depuis notre arrivée sur la plage de l’île. Je me demandais à quoi je pouvais bien ressembler moi-même. Je n’avais pas croisé mon reflet depuis des semaines.

-          C’est incroyable… admit-il. Cela fait des décennies que nos meilleurs scientifiques cherchent une trace de vie dans notre univers sans rien trouver, et nous, sans le vouloir, nous découvrons non seulement un autre monde mais qui en plus, abrite les peuples d’une multitudes d’autres planètes !


Il avait raison, c’était incroyable. Difficilement concevable pour nos esprits convaincus que nous étions uniques. Il nous faudrait du temps avant de l’accepter, tout comme il avait fallu du temps avant de croire en l’existence de la petite fée Magie. Je trouvais d’ailleurs étrange que Georges accepte si facilement notre histoire en comparaison de toute la force de conviction dont il avait fallu user pour qu’il admette la réalité de Magie.


-          Je crois qu’il faut avertir les autres, dis-je en mettant fin au lourd silence qui nous entourait. Galak et Mira sont déjà au courant de notre provenance. Galak a été très surpris mais n’a pas marqué de réaction particulière vis-à-vis de nous. Quant à Mira… elle n’a pas réagi face à nous mais qui sait ce qu’elle pourrait décider ? Si les autres viennent à savoir que nous sommes Terriens, ils pourraient nous balancer par-dessus bord pour nous rendre aux Eaux ou que sais-je encore !

-          Tu as raison, gamin. Il faut les informer, mais discrètement. Les faire tous venir ici soulèverait trop de questions. Mieux vaut que nous nous séparions et informions de petits groupes de ne surtout pas parler de la Terre et de nos origines en présence de l’équipage. Les autres détails leur seront confiés plus tard, quand nous en aurons l’occasion.


C’est ainsi que nous nous séparâmes pour avertir nos comparses de la situation. Je tentais de garder un air nonchalant pour ne pas éveiller les soupçons des marins qui travaillaient autour de nous et persuadais mes interlocuteurs de faire de même. Je répétais les paroles de Georges à trois petits groupes des nôtres avant de me diriger vers le pont arrière, d’où provenaient des cris menaçants. Les gens s’étaient formés en cercle autour de deux personnes que je ne parvenais pas à distinguer mais dont je captais tout de même les voix.


-          Puisque je te le dis ! s’éleva une voix railleuse.

-          Je m’en moque ! C’est au capitaine de décider ! Répondit l’autre avec agacement.


Une dizaine des nôtres entouraient les protagonistes tandis que Woak, le géant à la peau sombre, et Jef le mousse se tenaient prêts à intervenir.


-          Regarde-les donc ! Ne vois-tu pas ces vêtements ? Ces choses bizarres qu’ils traînent avec eux ? s’emporta Ulak, que je distinguais à présent.

-          Ça ne veut rien dire. Tous les colons ont des vêtements différents des nôtres et transportent des objets que nous ne connaissons pas, répondit l’officier Nireb avec conviction.

-          Tous, oui ! Mais les vieux vêtements des Terriens sont les mêmes que ceux de ces gens ! renchérit Ulak en pointant la foule qui l’entourait.


Mon sang ne fit qu’un tour avant de s’évaporer. Ulak savait. Le jour précédent, il avait demandé à Georges de quel monde nous provenions et ce dernier lui avait répondu en toute franchise. J’avais presque oublié que le second n’était pas le seul matelot au courant de nos origines. Mira savait, elle aussi. Elle nous avait pourtant laissé vivre à bord de son navire… jusqu’à présent. Pourquoi diable Ulak faisait-il un esclandre pareil aujourd’hui ?


-          Quand bien même ces naufragés seraient Terriens, ce n’est pas à moi de décider de leur sort. A toi encore moins !

-          Les Eaux vont se venger sur nous ! Nous n’avions pas à les secourir ! Nous allons couler et tout ça parce que tu n’as pas voulu rendre ces Terriens aux Eaux !

Ulak s’était empourpré par la fureur qui l’habitait et s’apprêtait à plonger sur l’officier sous les cris et exclamations du public, majoritairement composé des nôtres. Les naufragés s’affolaient, aucun ne voulait être jeté par-dessus bord, la panique prenait peu à peu le dessus. Woak, qui n’avait pas bougé jusque-là, s’avança d’un pas et décroisa les bras.

-          Il suffit !


Woak s’était exprimé très calmement mais sa voix, aussi sombre et grave que le personnage, était puissante et s’ancrait dans les esprits. Cet homme parlait rarement et n’usait jamais de mots superflus. Son calme et sa stature imposaient d’eux-mêmes le respect. Ulak lui-même semblait s’être calmé. Malheureusement cela ne dura que quelques secondes. Une fois son regard reporté sur Nireb, sa rage reprit de plus belle et il lui fondit dessus comme un aigle sur sa proie.

Ce petit homme était maigre mais musclé, comme la plupart des hommes nerveux qui font un travail très manuel. Quant à Nireb, il était plus vieux mais aussi plus développé. Bien stable sur ses jambes, il repoussa Ulak de la main gauche alors que la droite s’apprêtait à le cogner en pleine mâchoire. Le petit être vif s’était élancé sans aucun moyen d’éviter le rejet de l’officier, mais pu toutefois éviter le coup de poing. Woak le recueillit sur le pont et l’emprisonna de ses larges bras sur son torse, trop haut pour que les pieds du gringalet  touchent le sol. Jef le mousse jeta un coup d’œil vers Nireb qui répondit à son regard par un « non » de la tête. Il se tenait tranquille et ne voulait pas riposter.


-          Qu’est-ce qui se passe ici ?! Interrogea le capitaine qui montait sur le pont arrière.

-          Rien, l’incident est clos, déclara Nireb.

-          Non ce n’est pas clos ! S’écria Ulak. Lâche-moi Woak !

-          Non.

-          Woak, apporte la fouine dans ma cabine, ordonna Mira. Nireb aussi, ajouta-t’elle.


Le géant noir transporta Ulak comme s’il tenait un serpent en train de se débattre pour se libérer. La fouine, comme l’avait appelé Mira, gesticulait tant et si bien dans l’étau des bras de Woak que la chemise de toile du géant s’ouvrit. J’eus à peine le temps d’apercevoir son torse, large et musclé, sur lequel se dessinait un étrange blason argenté qui contrastait fortement avec la noirceur de sa peau. L’homme se mut trop vite et je n’eus pas le temps de distinguer ce que représentait le tatouage lumineux.  Les protagonistes quittèrent le pont pour descendre vers les cabines, nous laissant finalement seuls avec nos questions et nos craintes.


-          Psssst !


Le bruit venait de derrière moi, je me retournai et cherchai du regard qui m’appelait. Tous discutaient entre eux et aucun ne semblait se soucier de moi. Je sentis alors un déplacement d’air dans ma nuque et quelque chose de léger se poser sur mon épaule, bien que cela me reste invisible.


-          Fais comme si je n’étais pas là, me souffla la voix de Magie à l’oreille. Va vite à la cabine de Mira !

-          Tu es malade ! Grinçais-je entre les dents.

-          Aïe !


La chipie m’avait mordu le lobe d’oreille !


-          Vas-y, te dis-je ! Je pourrai te rendre invisible une fois hors de vue, dans le couloir, mais pas ici !


Invisible ? Moi ?! Je savais que Magie était capable de se rendre invisible elle-même, mais je n’aurais jamais imaginé qu’elle puisse faire de même pour un être humain. Quoique, elle avait déjà utilisé ses pouvoirs pour soigner Edwin. Pas le temps de tergiverser plus avant. Je m’engageai comme prévu vers les cabines et ce n’est qu’une fois hors de vue que Magie quitta mon épaule pour se planter devant moi et rendre l’image de son corps à nouveau visible à mes yeux.


-          Magie… pourquoi es-tu floue ?

-          Je suis toujours invisible, je t’ai inclus dans le champ d’invisibilité, c’est tout.

-     Quoi ? Je suis invisible, moi aussi ? m’étonnais-je tout en observant mes mains, désormais floues, elles aussi. Incroyable…

-          Chut ! Pas si fort gros bêta ! Je t’ai rendu invisible, pas silencieux !

-          Désolé, repris-je à voix basse. Mais pourquoi te donner tout ce mal ?

-          La cabine du capitaine est au fond du couloir, sous le pont avant. Woak, Ulak et Nireb y sont déjà. Mira est partie chercher le second dans sa propre cabine tout en laissant la porte de la sienne grande ouverte. Elle ne va pas tarder à y revenir en compagnie de Galak. Dépêche-toi  d’y entrer et surtout ne fais aucun bruit !

-          Mais pourquoi ?

-          Parce que ça m’épargnera une tonne de questions par la suite. Allez maintenant !


Je marchai d’un bon pas vers cette porte ouverte, évitant soigneusement de produire le moindre son. Quelqu’un descendait l’escalier en ma direction et les battements de mon cœur se rapprochèrent dangereusement. Je m’immobilisai, dos à la paroi, et retins mon souffle le temps que Georges passe devant moi et descende à la cale. Il ne m’avait pas vu. Soulagé, je repris ma respiration et mon avancée.

Deux mètres devant moi, une porte s’ouvrit et les voix de Mira et Galak se firent entendre. Ils sortaient… Plus une seconde à perdre ! Je m’élançai en direction de la cabine de Mira, faillis lui rentrer dedans lorsqu’elle fit un pas de côté mais l’évitai de justesse et je réussis enfin à pénétrer dans l’antre du capitaine. Woak tenait toujours Ulak dans l’étau de ses bras, bien que la fouine se soit calmée. Nireb, quant à lui, se tenait à gauche de l’entrée de ce qui ressemblait plus à un bureau qu’à une cabine de bateau. Je choisis de me placer à droite, dans un coin ombragé et près de la porte, au cas où je devrais sortir d’urgence. Les deux dirigeants entrèrent ensemble et l’entrée - devenue la sortie – fut fermée en un geste sec.


 

-          Cap’tain, dites-lui de me lâcher maintenant ! Demanda Ulak avec exaspération.

-          S’il te libère, tu as intérêt à te tenir à carreaux, sinon tu auras affaire à moi !


Le ton employé par Mira et le regard glacial qu’elle lui lança prouvaient qu’elle ne plaisantait pas. Après un instant qui dut paraître une éternité pour Ulak, Woak relâcha son emprise.


-          Bien, approuva Mira alors que la fouine restait relativement calme. Il semblerait qu’un différend vous sépare au sujet de ces naufragés.

-          Et comment ! Coupa Ulak. Ce sont des Terriens ! Des Terriens ! S’emporta-t-il en s’avançant vers le bureau du capitaine.

-          La ferme Ulak ! Lança-t-elle. Ne m’oblige pas à commettre l’irréparable.


L’intéressé ravala sa salive de même que sa hargne. Le menaçait-elle de le jeter à l’eau ? Pire encore ? Quoi que soit l’objet de la menace, cela semblait fonctionner. Ulak recula, la tête basse, et n’interrompit plus l’autorité suprême du navire.


-          Oui, ce sont des Terriens, confirma Mira.


Ulak ne dit mot, mais un sourire de satisfaction naquit sur ses lèvres.


-          Leur navire a coulé et ils se sont échoués sur l’Ile des Naufragés. Tout comme nous, ajouta-t-elle en lançant un regard complice à Nireb.


J’eus du mal à rester immobile, plus encore à ne pas émettre un hoquet de surprise. Je me contins néanmoins afin de garder mon invisibilité intacte. Un frisson d’effroi ne cessait de parcourir mon échine. Si je me faisais prendre, je ne donnais pas cher de ma peau.


-          Vous ne pouvez tout de même pas comparer notre voyage à celui de ces Terriens ! s’offusqua Ulak. Il n’y a plus eu de nouveaux Terriens depuis des lustres ! Leur présence est anormale… ils n’auraient pas dû échapper aux Eaux. Il faut les leur rendre !

-          Ce n’est pas à toi de prendre ce genre de décision mais à notre capitaine, intervint Nireb pour la première fois depuis le début de cet entretien.

Il poussa un soupir avant de reprendre :

-          Capitaine, si je peux me permettre, je pense qu’il ne nous revient pas d’abandonner ces naufragés à une mort certaine. Si les Eaux n’avaient pas voulu d’eux sur nos terres, elles auraient déjà pris leur vie. Personne ne peut échapper aux Eaux.


 

La tension était palpable dans la cabine. Ulak serrait et desserrait les poings, Nireb restait immobile, concentré sur l’attitude de Mira et attendant avec crainte son verdict. Woak n’avait pas bougé depuis qu’il avait lâché Ulak, aucune émotion ne pouvait se lire sur son visage. On aurait dit une statue. Galak avait écouté les différentes interventions avec attention, mais n’avait dit mot. Après notre discussion de la veille, je doutais qu’il prendrait parti pour Ulak. Cependant je ne le connaissais que très peu. Je ne pouvais me fier à quiconque parmi l’équipage, pour l’instant. La capitaine, quant à elle, méditait ce qu’elle venait d’entendre. De mon côté, mon cœur battait si fort que je craignais que quelqu’un puisse l’entendre.


-          Vous avez tous deux raison, finit-elle par dire. Ces hommes et ces femmes viennent de la Terre. C’est un fait. Aucun Terrien n’a survécu à un naufrage depuis près de trente repousses. Les Eaux n’en veulent plus. Il est très étrange que ceux-ci aient réussi à survivre.

-          J’ai parlé avec le p'ti jeune et ses amis, intervint le second. Ils n’savent pas s’qui s’passe ici. Ils n’connaissent pas nos terres ni nos Eaux. Ils n’ont pas idée de comment ni pourquoi ils vivent toujours. Si vous voulez mon avis, l’un d’eux a la Volonté. Mais ils n’en savent encore rien. Et si c’est l’cas, c’est sûrement pas à nous de s’en débarrasser.

-          Les Eaux vont se venger de nous ! s’exclama Ulak, furibond.

-          Si c’était ce qu’elles voulaient, elles l’auraient déjà fait à notre arrivée, lui rappela Mira. Si Galak a raison et que l’un d’eux possède la Volonté, cela expliquerait bien des choses.

-          Je ne vois pas ce que ça expliquerait !


Mira se leva de son siège pour se placer face à Ulak et le percer de son regard bleu-gris.


-          As-tu déjà oublié notre voyage ? As-tu oublié que les plus grands mages d’Aurora se sont sacrifiés pour forcer un passage de notre monde vers celui-ci ? Nous n’avons pas emprunté les voies naturelles pour sauver nos peaux, nous non plus. Pourtant, les Eaux nous ont épargnés. Jamais elles n’ont tenté de prendre nos vies alors que nous avions changé notre destin en même temps que celui de ce monde. Mieux encore, notre navire est l’un des seuls que les océans acceptent. Ces Terriens ne sont pas si différents de nous, ne l’oublie pas.


Ulak semblait avoir compris qu’il avait perdu le combat. Il courba légèrement les épaules et se tint tranquille. Mira reprit sa place et décréta que les naufragés seraient transportés à New Earth comme prévu. Elle congédia alors tous les protagonistes à l’exception de Galak.

J’hésitai à sortir en même temps que les matelots, si bien que la porte se referma sans que j’eus l’occasion de m’éclipser. Je restai donc camouflé dans les ombres, attendant une meilleure opportunité. Je reportai mon regard vers le second et la capitaine. Je retins mon souffle alors que cette dernière semblait avoir les yeux rivés sur moi. J’observai mes mains qui étaient toujours floues à mes yeux. Mira avait-elle le pouvoir de discerner l’invisibilité ? Pourquoi Magie ne m’avait-elle pas avertie ?

La petite fée se matérialisa soudain sur l’épaule du capitaine. Galak eut un sursaut de surprise en me regardant et je compris que j’étais à nouveau perceptible aux yeux de tous. Mes mains n’étaient plus floues.

 

 

-          Approche-toi Arvin, me dit le capitaine Ferhinn.


Je m’exécutai après avoir dégluti. Magie m’avait trahi. Edwin avait raison finalement, ce n’était qu’un sale petit insecte doué de magie qui ne faisait que s’amuser du mauvais sort de son entourage. Je lui lançai un regard noir.


-          Ne blâme pas Magie pour cette petite trahison, la défendit Mira. Cette petite fée est capricieuse mais pas malsaine. Elle a bien fait, finalement. Tu as tout entendu de notre conversation ?

J’acquiesçai.

-          Bien. J’imagine que tu as des questions. Tu peux les poser.

-          Qu’allez-vous faire de moi ? répondis-je sans réfléchir.


Elle éclata de rire. Qu’avais-je dis de si drôle ?


-          Qu’allons-nous faire de toi ? Ha ! Ces Terriens ont décidément un sacré sens de l’humour ! Hé bien, Galak, qu’en penses-tu ? Reprit-elle avec plus de sérieux.

-          Si Magie dit vrai, il a la Volonté. Faut qu’il apprenne à la maîtriser.

-          Quoi ?! Je regardai Magie, éberlué. Qu’est-ce que tu as été leur raconter ?!


Elle haussa ses petites épaules d’un air nonchalant.


-          La stricte vérité. Tu as annulé mon invisibilité sur la plage, tu as pêché plus de poissons que ce que les Eaux ne te l’auraient permis grâce à la Volonté, tu as aussi ordonné à la jungle de se retirer et elle a obéi…

-          Tu mens ! C’est impossible ! Ca ne peut pas exister, ça ne peut pas être vrai !

-          Pourquoi le nier ? Tu l’as fait, tu l’as vu, des témoins l’ont vu… renchérit Mira.

-          Je ne me souviens de rien ! répondis-je d’une voix tremblante.


Mira se recula contre le dossier de sa chaise, les bras croisés sur la poitrine, perdue dans ses pensées. Galak m’observait, partagé entre crainte et révérence. Magie, quant à elle, se promenait sur le bureau d’un air insouciant. Ma voix n’était pas la seule à trembler. Tous mes membres semblaient être devenus de coton. Je serrai les poings pour éviter que mes mains ne me trahissent. Cela recommençait… à nouveau on me prenait pour un monstre doté de pouvoirs surnaturels. Un monstre ou un messie, mais pour moi ces deux mots étaient synonymes.


-          Comment expliques-tu ça, Magie ? demanda Mira.

-         Je ne sais pas, répondit-elle en m’observant. C’est bizarre qu’un Terrien ait la Volonté. Je n’en ai jamais vu capable d’utiliser la magie.

-          Tu n’pourrais pas nous montrer c’que tu peux faire ? me demanda Galak.

-          Heu… mais… je ne sais pas comment !

-          Hmm. Faut le former, dit le second à son capitaine.

-         Je suis bien d’accord, mais nous n’avons personne qui en soit capable à bord. Même sur la terre ferme je ne suis pas certaine de pouvoir trouver le formateur idéal. Rares sont ceux qui maîtrisent les éléments, plus rares encore sont ceux qui connaissent parfaitement les anciennes légendes. Nous verrons ça une fois au port. En attendant, gardez tout ceci secret. Si cette sale petite fouine d’Ulak venait à savoir que le gamin possède la Volonté, il nous attirerait encore des ennuis.


Je poussai un soupir de soulagement. J’allais rester dans l’ombre, au moins jusqu’au prochain port. Je ne tenais vraiment pas à ce que les autres naufragés me traitent comme un démon. Certains continuaient à se méfier de moi, bien entendu. Il me suffisait de les éviter. Cependant si ce soi-disant pouvoir qui m’était attribué venait à être révélé au grand public, les choses pouvaient changer du tout au tout. Je préférais définitivement l’ombre à la lumière.


-          Bien, vous pouvez disposer. Arvin, essaie de ne rien faire… d’anormal, pendant la traversée, ajouta Mira.


Je me retirai en acquiesçant. Il me paraissait plus probable que Magie fasse des choses anormales que moi, mais je gardai cette réflexion sous silence.

Je pivotai vers la porte, en évitant soigneusement de regarder les personnes présentes dans la pièce. Pourtant, sur ma gauche, mes yeux se posèrent droit dans ceux d’un jeune homme dont les cheveux châtains tombaient presque sur des yeux de la même couleur. Quelque chose dans son regard me surprit, et il semblait être aussi surpris que moi. Je connaissais cet homme. Pourtant, j’avais du mal à retrouver ses traits sous cette barbe fine mais longue, comme celle d’un adolescent qui la laisse pousser pour la première fois. Je passai la main dans cette barbe de plusieurs mois et vis ma main apparaître dans le petit miroir accroché au mur de la cabine. Avais-je tant changé que cela ?

J’eus du mal à arracher mon regard de mon reflet. Cependant je le fis, assez vite même. Je préférais ne pas attirer l’attention sur moi. Pas plus que ça n’était déjà le cas.


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